Un nouvel état de la matière formé dans les collisions centrales de noyaux d'or étudiées au collisionneur RHIC de Brookhaven ?
 
09/10/2003



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Jean Gosset

Les premiers résultats définitifs de l'expérience Phenix concernant les collisions de noyaux d'or Au + Au étudiées au collisionneur RHIC de Brookhaven (USA) à une énergie de 200 GeV dans le centre de masse nucléon-nucléon ont été publiés récemment dans Physical Review Letters. Le « facteur de modification nucléaire » mesuré dans les collisions les plus centrales pour la production de π0 à grande impulsion transverse correspond à une atténuation d'un facteur 5 par rapport aux collisions p + p à la même énergie. C'est une indication en faveur de la formation d'un nouvel état de la matière, appelé plasma de quarks et de gluons.

A très haute énergie, la production de hadrons de grande impulsion transverse résulte de processus dits durs, manifestation de la structure en quarks et gluons des nucléons. Les collisions entre noyaux lourds à ces énergies sont étudiées pour produire des conditions extrêmes de température et de pression, sous lesquelles la chromodynamique quantique (théorie de l'interaction forte entre quarks et gluons) prédit la formation d'un nouvel état de la matière, appelé plasma de quarks et de gluons, dans lequel les quarks et les gluons ne sont plus isolés à l'intérieur des nucléons comme dans la matière ordinaire. Si un tel plasma est produit, les hadrons produits à grande impulsion transverse peuvent être fortement ralentis ou absorbés dans ce milieu très dense. Leur production doit être fortement affectée par rapport à ce que l'on observe dans les collisions nucléon-nucléon. On mesure cet effet par une quantité R appelée « facteur de modification nucléaire ». Ce facteur vaut 1 si la production résulte d'une superposition de collisions nucléon-nucléon indépendantes. Il est inférieur à 1 si un plasma de quarks et de gluons est formé au cours de la collision noyau-noyau. Ce facteur R a été mesuré pour la première fois par l'expérience Phenix dans les collisions Au + Au à une énergie de 200 GeV dans le centre de masse nucléon-nucléon au collisionneur RHIC à Brookhaven (USA). La qualité des mesures de R est garantie par le fait que les collisions p + p ont été étudiées à la même énergie avec le même dispositif expérimental. Pour les π0 d'impulsion transverse supérieure à 4 GeV/c, suffisamment grande pour garantir un processus de production dur, le comportement de R est montré sur la figure en fonction de la « centralité » des collisions Au + Au. La centralité est estimée par le nombre Npart de nucléons participant à la collision, lui-même obtenu à partir des informations fournies par des détecteurs annexes de l'expérience. Pour les collisions les plus périphériques (les deux noyaux d'or se frôlent), R est voisin de 1. Au fur et à mesure que les collisions deviennent de plus en plus centrales (les deux noyaux d'or se heurtent de plein fouet), R diminue et atteint une valeur d'environ 0,2.

Ces résultats, acquis pendant l'hiver 2001-2002, ont été publiés récemment dans Physical Review Letters (vol. 1, n°7, 15 août 2003). Plusieurs interprétations ont été avancées pour rendre compte de cette suppression.
La première est le très fort ralentissement des partons (quarks et gluons) à l'origine de ces π0 dans le milieu très chaud et très dense formé dans les collisions les plus centrales. La valeur 0,2 ainsi atteinte peut être reproduite par des calculs de perte d'énergie des partons dans un milieu opaque tel que le plasma. Sa dépendance en fonction de la centralité, ainsi qu'en fonction de l'impulsion transverse, elle aussi mesurée par l'expérience, impose des contraintes fortes sur les détails de la perte d'énergie et sur les propriétés du milieu.
Une seconde interprétation fait appel à des effets subtils de la distribution des gluons dans les noyaux lourds entrant en collision, sans formation de plasma. Pour lever cette ambiguïté, il faudrait mesurer le facteur de modification nucléaire dans les collisions proton-or (p + Au) dans lesquelles seul le second effet peut être présent. Techniquement, seules des collisions deuton-or (d + Au) sont réalisables au RHIC. Elles sont une bonne approximation des collisions p + Au et ont été étudiées pendant l'hiver 2002-2003. Bénéficiant de l'acquis des expériences précédentes, les données ont pu être analysées très rapidement. Aucune suppression n'est observée. Il ne reste donc, pour l'interprétation de la suppression dans les collisions Au + Au, que la formation d'un milieu très dense et chaud comme le plasma de quarks et de gluons. Signalons de plus que les résultats de Phenix concernant les collisions d + Au sont en accord avec les résultats des trois autres expériences installées sur le collisionneur RHIC. Tous les résultats d + Au ont été publiés dans le même numéro de Physical Review Letters que les résultats Au + Au de Phenix, et ils en font la page de couverture.

Une équipe du Service de physique nucléaire du Dapnia est impliquée dans l'expérience Phenix depuis la fin de l'année 2000. Elle a participé aux deux dernières campagnes de mesure. Elle s'intéresse plus particulièrement à la production des résonances J/Ψ, un autre type de particule dont le taux de production est très sensible à la présence du plasma. Les premiers résultats significatifs sur la production de ces résonances seront obtenus pendant la campagne de mesure 2003-3004.





Facteur de modification nucléaire R mesuré par l'expérience Phenix pour les π0 de grande impulsion transverse produits dans les collisions Au + Au à l'énergie maximale (200 GeV dans le centre de masse nucléon-nucléon) du collisionneur RHIC à Brookhaven, en fonction de la centralité des collisions, représentée par le nombre Npart de nucléons participant à la collision. Les collisions les plus (moins) centrales correspondent aux plus grandes (petites) valeurs de Npart. Les incertitudes indiquées sont purement statistiques (barres d'erreur) et systématiques, relatives à l'estimation de Npart (bandes en grisé).