21 février 2013
Les étoiles massives façonnent les filaments interstellaires
Effets rétroactifs sur les régions de formation d'étoiles
Les étoiles massives façonnent les filaments interstellaires

RCW 36. Crédit: Novae Factory & V. Minier.

En comparant les récentes observations d'Herschel à des simulations numériques, une équipe de chercheurs du Service d'Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu a reconstruit la transformation d'un filament interstellaire en une nébuleuse de forme symétrique dite nébuleuse bipolaire, sous l'effet du rayonnement UV des étoiles. Les étoiles les plus massives produisent un fort rayonnement ultraviolet, qui en se propageant affecte leur environnement. Ces travaux démontrent que ce phénomène destructeur commence dès la naissance des étoiles dans les nuages moléculaires géants en modifiant leur structure filamentaire. Ces résultats illustrant l'effet rétroactif des étoiles massives sur leur nuage originel, sont publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics de février 2013.

 

Vela C, un nuage moléculaire presque comme les autres

Les étoiles naissent dans d'immenses réservoirs de gaz et de poussière: les nuages moléculaires. Mais tout cela se fait à l'abri des regards, invisible à nos yeux car ces nuages n'émettent pas de lumière visible. Néanmoins, la matière les constituant rayonne fortement dans l'infrarouge lointain et le "submillimétrique", à des longueurs d'onde entre 60 et 500 micromètres. Ce domaine de longueurs d'onde est celui de l'observatoire spatial Herschel qui a permis une découverte spectaculaire. Grâce à Herschel, une chose est désormas claire: tous ces nuages moléculaires sont structurés en réseaux de filaments, zones privilégiées de formation des étoiles.
Néanmoins, les images 2D produites à partir des observations ne permettent pas de comprendre la forme de ces filaments. Ils sont souvent imaginés comme des cylindres déformés ou de longues trainées nébuleuses de gaz mais en réalité nous ne voyons sur ces cartes 2D qu'une projection de formes en 3D complexes.

Vela C est un de ces nuages moléculaires géants de notre galaxie qui n'échappe pas à la règle. Situé dans la direction de la constellation des Voiles (Vela), Vela C est éloigné de nous de 2100 années-lumière. Il a été observé par l'observatoire spatial Herschel dans le cadre du programme clé HOBYS qui a fourni une cartographie précise du nuage moléculaire, de son squelette de filaments interstellaires, et des cocons d'étoiles à naitre.

 
Les étoiles massives façonnent les filaments interstellaires

Image combinée (PACS & SPIRE/Herschel) de Vela C. Au centre, en forme de papillon, RCW 36. Le rouge (-250°C) est plus froid que le bleu (-240°C). Le rouge est plus dense que le bleu. Les densités maximales sont de l'ordre de mille milliards de milliards de fois moins dense que l'air. Pourtant c'est là que se forment les étoiles par milliers. La zone présentée ici mesure 100 années-lumière de long, et pèse 30 000 fois la masse du soleil. Crédits: ESA/Herschel, programme HOBYS, Hill et al. 2011.

Une cavité creusée par les UV

Pourtant le nuage Vela C se distingue des autres nuages moléculaires. Le centre de Vela C est dominé par une zone en forme de papillon: il s'agit de RCW 36. Les astronomes préfèrent décrire ce type d'objet sous le nom de nébuleuse bipolaire en raison de sa forme symétrique. RCW 36 est situé au centre du filament principal de Vela C, et à l'intérieur, une étoile massive (~16 fois la masse de notre soleil) irradie fortement au point de creuser une cavité dans son environnement. En irradiant le gaz, les rayons ultraviolets (UV) de l'étoile ont produit un gaz chaud ionisé de 10 000°C en expansion. Cette onde de choc se propage et repousse le nuage moléculaire par l'intérieur, créant ainsi une cavité autour de l'étoile ionisante. La poussière, réchauffée par les UV, émet plus fortement dans l'infrarouge lointain. Au bord de la cavité se forment des cocons de gaz et des structures complexes dans lesquelles de nouvelles étoiles pourraient se former.

 
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Ionisation du milieu interstellaire par un rayonnement UV (venu de la gauche au début de la simulation numérique) produit par une étoile massive. Le gaz est repoussé par la pression due à l'ionisation et sculpté en des formes complexes où la matière s'accumule pour former de nouvelles zones plus denses. Crédit: Pascal Tremblin & Bruno Thooris, CEA/Irfu, Tremblin et al. 2012.
 

Des filaments plus profonds que larges

A partir de simulations numériques 3D, il a été possible de remonter le temps et de comprendre les différentes étapes de la genèse de la nébuleuse bipolaire. Tout commence dans un filament interstellaire, comparable à ceux observés dans Vela C, à droite et à gauche de RCW 36. Long, profond et étroit, ce filament ressemble plus à une feuille vue par la tranche qu'à un cylindre. Lorsqu'une étoile nait et commence à irradier l'intérieur du filament, un anneau de matière repoussée par les UV se forme autour de l'étoile, laissant le rayonnement s'échapper dans la direction perpendiculaire et formant ainsi les deux lobes de la nébuleuse. Les simulations montrent que toute cette évolution se déroule en ~1 million d'années.

 
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Film d'animation illustrant la formation stellaire et l'impact du rayonnement UV dans Vela C. Crédit: Picturing star motion par V. Minier & Novae Factory (herschel.fr).
 

Au delà du cas de RCW 36, deux enseignements peuvent être tirés de cette étude combinant observations en 2D et simulations numériques en 3D. Tout d'abord, l'observation d'un filament interstellaire peut résulter d'un effet de projection optique. Et c'est le produit final de l'évolution d'un filament qui nous révèle sa réelle morphologie. Ensuite, les étoiles massives peuvent modifier violemment la structure originelle des nuages moléculaires. Destructrices au premier abord, les étoiles massives contribuent néanmoins aussi à rassembler et comprimer le gaz pour former de nouveaux cocons d'étoiles.

 

 


Contacts : Vincent Minier, Pascal Tremblin

Publication :
Ionisation impact of high-mass stars on interstellar filaments. A Herschel study of the RCW 36 bipolar nebula in Vela C
Minier V., Tremblin P. et al., publié dans la revue Astronomy & Astrophysics de février 2013

- pour une version électronique :  sur ADS database

 

Voir également : « Herschel dénoue les filaments interstellaires », 12 avril 2011
                          " Bouleversement dans la compréhension des étoiles", 29 avril 2011

Voir aussi            - le site du télescope spatial Herschel

 


Rédaction: Vincent Minier

 
#3277 - Màj : 25/02/2013

 

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