08 mars 2004
Le pentaquark
Une nouvelle particule a été mise en évidence au Japon, en Russie puis aux États-Unis au laboratoire Jefferson. Contrairement à tous les baryons connus, cette particule ne peut être considérée comme un assemblage de trois quarks. Il en faut au moins cinq pour la former, d'où son nom de pentaquark. L'expérience nous conduit ainsi à introduire une nouvelle catégorie de particules. 
Une bonne partie de la matière connue est formée de quarks et ces quarks n'existent pas à l'état libre : l'interaction forte les lie par l'intermédiaire de gluons à l'intérieur de particules qu'on nomme hadrons. Jusqu'à présent, on croyait que les hadrons se divisaient en deux familles : la famille des baryons, formés de trois quarks comme les protons et les neutrons, et la famille des mésons, formés d'un quark et d'un antiquark comme les pions et les kaons. Certains théoriciens avaient bien émis l'hypothèse de combinaisons plus « exotiques », mais le succès de la classification des particules existantes et le manque d'activité expérimentale dans ce domaine ne nécessitaient pas d'y faire appel. 
Sur les indications d'un théoricien russe, des physiciens japonais ont découvert un nouveau baryon qui n'entre dans aucune classification connue en envoyant un faisceau de photons de haute énergie sur une cible de carbone [1]. Parmi toutes les réactions possibles, ils ont isolé celles qui correspondent à la création d'une paire de kaons sur les neutrons des noyaux de carbone. Dans certaines d'entre elles, le neutron et le kaon positif produits semblent provenir de la désintégration d'une particule de masse bien déterminée. La collaboration CLAS du laboratoire Jefferson aux Etats-Unis, a confirmé cette découverte et lui a fourni des bases plus solides. Au sein de cette collaboration, les physiciens du service de physique nucléaire du Dapnia ont contribué à la construction du détecteur, en particulier à la cible cryogénique et à la mise au point du faisceau de photons. 
Au cours de deux expériences distinctes, un faisceau de photons a été envoyé sur des cibles de deutérium [2] et d'hydrogène [3]. Ces noyaux très simples ont été choisis comme cible car ils permettent d'identifier toutes les particules produites et d'écarter les effets subtils et indirects dus à la structure nucléaire des cibles composées de noyaux plus lourds. Le résultat de ces expériences met en évidence un « pic » caractéristique dû à la nouvelle particule avec une plus grande précision statistique (voir figure 1). La nouvelle particule a été baptisée θ+ (lire théta-plus). Sa masse, d'environ 1530 MeV, n'est pas très élevée, ce qui implique qu'elle ne peut être formée que des quarks les plus légers (u, d et s comme up, down et strange). Le θ+ est le seul baryon connu dont l'étrangeté - une caractéristique des hadrons liée à leur contenu en quarks étranges - est positive. On peut montrer facilement que la combinaison la plus simple de ces trois quarks conduisant à une étrangeté positive et une charge électrique entière doit nécessairement contenir au moins cinq composants, quatre quarks et un antiquark ; d'où le nom de pentaquark. Malgré sa désintégration, le pentaquark vit suffisamment longtemps à l'échelle des interactions fortes pour mériter le nom de particule.  
Le pentaquark

Figure 1 : Etude de la réaction γp →π+θ+K-, suivie de θ+→ nK+. L'accumulation des événements à une masse donnée du système neutron-kaon positif forme un pic caractéristique de l'existence de la nouvelle particule θ+ [3]. Une structure similaire est observée dans la réaction sur le deutérium [2].

Le pentaquark

Figure 2 : Le θ+ serait membre d'un nouveau groupe de 10 particules (un « antidécuplet »), illustré par ce triangle dont les 3 sommets, en rouge, sont des pentaquarks « exotiques ». De haut en bas, l'étrangeté diminue de +1 à -2 (on passe de la présence d'un antiquark s à celle de deux quarks s), et la masse augmente. A chaque « niveau » d'étrangeté est associé un nombre croissant de particules.

L'existence de cette particule n'est pas contradictoire avec les théories admises. Cependant, elle apporte un éclairage nouveau à la « zoologie » des hadrons, qui se révèle plus riche et diversifiée que ce qui était communément admis jusqu'à présent. On est ainsi amené à considérer l'existence d'autres pentaquarks (voir figure 2). L'observation du θ+ a également été rapportée dans d'autres laboratoires. La recherche de nouveaux pentaquarks et autres particules exotiques est aujourd'hui active. Pour autant, il n'y a pas consensus quant au mécanisme exact d'interaction qui donne naissance à cette configuration particulière. Des expériences plus complètes, dont certaines auprès du détecteur CLAS, devraient d'ici peu caractériser plus avant la nature de cette particule. La connaissance de tels états de la matière permettra de répondre de façon de plus en plus précise à la question : comment les quarks et les gluons s'organisent-ils pour former les hadrons, et en particulier les protons et les neutrons qui constituent la quasi-totalité de la matière connue ? 
Pour en savoir plus, outre les publications scientifiques dans Physical Review Letters en 2003 et 2004, on peut lire avec intérêt les entretiens rapportés dans « Le Figaro » (Le pentaquark, nouveau venu dans la matière, 3 juillet 2003) et « La Recherche » (Les quarks vont aussi par cinq, septembre 2003). [1] T. Nakano et al., Phys. Rev. Lett. 91, 012002 (2003). [2] S. Stepanyan et al. (CLAS collaboration), Phys. Rev. Lett. 91, 252001 (2003). [3] V. Kubarovski et al. (CLAS collaboration), Phys. Rev. Lett. 92, 032001 (2004).  
#238 - Màj : 08/03/2004

 

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