24 mars 2017
Une nouvelle technique expérimentale permet de révéler la structure de noyaux radioactifs très lourds
Une nouvelle technique expérimentale permet de révéler la structure de noyaux radioactifs très lourds

Visualisation du jet de gaz supersonique par fluorescence

Pour la première fois, la structure de différents isotopes d’actinium a pu être étudiée grâce à des lasers, lors d’une expérience menée au Centre de Ressources du Cyclotron de Louvain-la Neuve (Belgique). Le succès de cette expérience réside notamment dans la technique expérimentale innovante utilisée, particulièrement performante.

Elle consiste à ioniser, au moyen de lasers, des atomes transportés dans un jet de gaz supersonique. Les perspectives qu’elle ouvre, notamment en regard du programme scientifique de l’installation S3 de Ganil-Spiral2, est rapportée dans un article paru dans la revue Nature Communications*. L’expérience a été dirigée par l’Institute for Nuclear and Radiation Physics (IKS) de l'université de Louvain en Belgique, avec le concours de physiciens de l’IN2P3 et d’instruments développés au Ganil pour l’installation S3.

 

Les lasers sont utilisés de longue date dans les installations dédiées à la recherche en physique nucléaire. Ils servent notamment à ioniser de manière très sélective les atomes d’une espèce chimique donnée, en leur enlevant un ou plusieurs électrons, dans le but de constituer des faisceaux d’ions d’une grande pureté**. Les électrons occupant des niveaux d’énergie bien déterminés dans le cortège électronique et propres à chaque espèce chimique, il est en effet possible de les arracher de façon spécifique à chaque élément en leur transférant exactement l’énergie requise au moyen de lasers. 

Si ces niveaux d’énergies électroniques sont quasi-identiques pour tous les isotopes d’un élément chimique donné, de très légères variations d’énergie permettent cependant de les distinguer les uns des autres, suivant le nombre de neutrons que contiennent leurs noyaux. Ces variations sont riches d’enseignements sur la structure nucléaire et la forme de ces noyaux, qu’il devient dès lors possible de révéler en « scannant » très finement, grâce aux lasers, les niveaux d’énergies électroniques.

Cette découverte a donné lieu au développement de plusieurs techniques d’étude des propriétés fondamentales de noyaux radioactifs. L’une d’entre elles, mise au point par une équipe de l’IKS de Louvain en Belgique, est appelée « spectroscopie par ionisation laser résonante dans un gaz ». Elle consiste à produire les noyaux intéressant les chercheurs, de les arrêter dans un volume de gaz dans lequel ils se retrouvent sous la forme d’atomes radioactifs neutres, puis de les ioniser sélectivement avec des lasers. Le taux d’ionisation est maximum lorsque l’énergie des lasers est appropriée : on observe alors des pics d’énergies bien précis, appelés résonnances, dont on peut extraire des informations précieuses sur les propriétés des noyaux des atomes étudiés.

 
Une nouvelle technique expérimentale permet de révéler la structure de noyaux radioactifs très lourds

Comparaison des spectres associés au comptage de particules alpha émises par l’actinium-215 en appliquant les deux techniques d’ionisation laser dans le volume de gaz (« Gas cell » en rouge) et dans le jet supersonique (« Gas jet » en bleu). Les résonnances observées en fonction de la fréquence d’un des lasers utilisés sont bien plus fines dans le second cas, mettant en évidence les performances accrues de cette nouvelle technique.

Récemment, une expérience a été réalisée au Centre de Ressources du Cyclotron de Louvain-la-Neuve par une collaboration internationale avec des physiciens de l’IN2P3 dans le but de comparer les performances des deux méthodes en ionisant des noyaux d’actinium. Il n’en existe aucun isotope stable sur Terre : ils se désintègrent en émettant des particules alpha (des noyaux d’hélium) dont l’énergie est caractéristique. Lors de l’expérience, ils ont été produits dans la collision de noyaux stables de néon (Z=10) avec les noyaux d’une mince feuille d’or (Z=79). Plutôt que de dénombrer les atomes d’actinium ionisés, ce sont finalement les particules alpha émises par les isotopes sélectionnés au moyen des lasers qui ont été détectées, de manière à encore accroître la sensibilité de la technique.

Comme l’illustre la figure ci-contre dans le cas de l’actinium-215, les mêmes résonnances ont été observées en jouant sur la fréquence des lasers utilisés. Cependant, leur largeur est beaucoup plus fine lorsque les atomes sont ionisés dans le jet de gaz supersonique (« Gas jet » en bleu) plutôt qu’à l’arrêt (« Gas cell » en rouge). Avec ce gain en résolution de plus d’un facteur dix, des mesures très précises pourront dorénavant être effectués pour l’ensemble des noyaux très exotiques n’étant produits qu’à des taux extrêmement faibles (de l’ordre de un noyau produit toutes les dix secondes).

Outre les résultats scientifiques obtenus lors de l’expérience, la découverte de cette nouvelle technique plus performante et plus précise a valu à ce travail de faire l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Nature Communications. De nouveaux progrès sont attendus, notamment en termes d’efficacité d’ionisation, qui permettront de déployer la technique auprès d’installations dédiées à l’étude des propriétés de noyaux radioactifs très lourds tels que le « Super-séparateur-spectromètre » (S3) de Ganil-Spiral2 en produira bientôt***.

 

Références :

* R. Ferrer et al. “Towards high-resolution laser ionization spectroscopy of the heaviest elements in supersonic gas jet expansion.” Nat. Commun. 8, 14520 doi:10.1038/ncomms14520 (2017).

** http://www.ganil-spiral2.eu/leganil/actualites/production-de-faisceaux-dions-par-ionisation-laser-resonante-au-ganil

*** http://pro.ganil-spiral2.eu/spiral2/instrumentation/s3

Contact:  (Ganil)

 
#3975 - Màj : 23/05/2018

 

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