18 avril 2005
Plus de 1000 isotopes mesurés d’un seul coup dans la spallation de l’uranium 238
Une équipe de physiciens du Dapnia, de l’Institut de Physique Nucléaire d’Orsay, du GSI de Darmstadt en Allemagne et de l’Université de Saint Jacques de Compostelle en Espagne a pu produire et analyser le plus grand nombre d’isotopes (environ 1400 de l’azote à l’uranium) jamais observés au cours d’une seule expérience de physique nucléaire. Ces mesures permettront de franchir un pas supplémentaire dans nombre de domaines, depuis la fission nucléaire sous ses aspects fondamentaux jusqu’à la gestion des déchets nucléaires. 
Les alchimistes du Moyen Age ont essayé en vain de transmuter dans leurs creusets divers ingrédients comme l’argent, le mercure ou le plomb et quelques acides dans l’espoir d’en faire de l’or. Il a fallu attendre le XXe siècle pour réussir la transmutation par des réactions nucléaires. Aujourd’hui, un grand pas a été franchi grâce à une expérience récente utilisant l’uranium et l’hydrogène comme « ingrédients » et un accélérateur de particules comme « creuset » pour « cuire » ces ingrédients jusqu’à des températures de plusieurs milliards de degrés. Cette expérience a consisté à envoyer un faisceau d’ions uranium (238U) accélérés par le synchrotron du GSI à haute énergie (1 GeV par nucléon) sur une cible d’hydrogène liquide (des protons pour la physique nucléaire). La cible d’hydrogène liquide (Fig 1) dont la technologie était parfaitement maîtrisée au Laboratoire National Saturne de statut mixte CEA/CNRS a été un apport important de la partie française de la collaboration pour cette expérience ainsi qu’une nouvelle technique introduite au GSI. Par rapport à une cible solide en plastique CH2, elle permet de minimiser les réactions parasites sur les noyaux, autres que l’hydrogène, contenus dans la cible. L’hydrogène peut être remplacé par du deutérium liquide, ce qui permet également d’intéressantes mesures complémentaires sur le deuton, noyau composé d’un proton et d’un neutron. Depuis cette expérience, le Dapnia a construit trois autres cibles liquides pour GSI et s’apprête à en construire une nouvelle reposant sur une régulation en pression. Cette technique permettra de diviser encore par un facteur 10 environ la contribution des noyaux parasites 
Plus de 1000 isotopes mesurés d’un seul coup dans la spallation de  l’uranium 238

Fig. 1 : Cible d’hydrogène (et de deutérium) liquide construite par une équipe du LNS (maintenant au Dapnia) avec un financement DSM/IN2P3.

La collision entre l’ion uranium et le proton se décrit par un processus en deux étapes appelé spallation. Tout d’abord, une succession d’interactions a lieu au cœur du noyau d’uranium entre ses nucléons et un proton de la cible. Pendant cette « cascade intranucléaire », le noyau atteint un état très excité. Il se désexcite ensuite en émettant des particules légères et il laisse un résidu lourd ou bien encore, comme c’est très souvent le cas pour un faisceau d’uranium, il fissionne. Les fragments très divers ainsi produits pour chaque réaction, quittent la cible avec une grande vitesse proche de celle du faisceau et totalement épluchés de leurs électrons. Cette technique de « cinématique inverse » permet alors de collecter la plupart de ces fragments de désexcitation dans la petite acceptance angulaire d’un puissant spectromètre magnétique (FRS), de les compter et de les identifier. Le spectromètre FRS est une succession d’aimants qui forment une ligne d’optique magnétique de plus de 60 mètres de long comportant quatre dipôles et 20 quadripôles, ce qui permet une mesure précises de l’impulsion des particules, mais seulement si elles sont émises dans un petit cône autour de l’axe optique, ce qui est le cas ici. Précisons que dans le sens normal (faisceau de proton sur cible d’uranium), ces mesures auraient été impossibles, la plupart des fragments de désexcitation ne quittant même pas la cible. Les produits de réaction ont pu être ainsi séparés et détectés avec une grande efficacité 250 nanosecondes environ après leur formation, donc avant une décroissance significative par radioactivité α ou β. Qu’ils soient stables ou instables, tous les fragments de fission et résidus lourds ont été identifiés suivant leur numéro atomique Z et leur nombre de masse A. Leur énergie cinétique a été déterminée de même que leur section efficace de production (exprimée en barn), c’est à dire leur probabilité de production. La mesure absolue de ces quantités fondamentale a été faite à 15% près et sur une dynamique de 5000 (entre 50 millibarns et 10 microbarns). Ce travail a ainsi permis de mesurer les sections efficaces de production d’un grand nombre des nucléides de la carte des noyaux (Fig 2) pour un processus nucléaire élémentaire d’interaction entre un proton énergique et un noyau.  
Plus de 1000 isotopes mesurés d’un seul coup dans la spallation de  l’uranium 238

Fig. 2 : Carte des noyaux (nombre de protons en vertical et de neutrons en horizontal) sur laquelle tous les nucléides identifiés lors de cette expérience sont représentés selon un code de couleur indiquant leur section efficace de production. (P. Armbruster et al., Phys. Rev. Lett. 93 (2004) 212701, M. Bernas et al., Nucl. Phys. A725 (2003) 213, J. Taieb et al., Nucl. Phys. A724 (2003) 413, M.-V. Ricciardi et al., Nucl. Phys. A733 (2004) 299 )

Ceci illustre bien l’apport capital de la technique dite de « cinématique inverse » rendue possible par les faisceaux d’ions lourds de haute énergie associés à un spectromètre magnétique de haute résolution (FRS) et disponibles au GSI. D’autres expériences similaires avec des faisceaux de plomb et de fer bombardant la cible d’hydrogène ont également été réalisées sur le même poste expérimental. Ce vaste ensemble de données est précieux pour mieux comprendre l’aspect fondamental des réactions de spallation et les modéliser. Un modèle plus fiable, décrivant l’étape de cascade intranucléaire, a d’ailleurs été élaboré par les physiciens du Service de Physique Nucléaire du Dapnia en collaboration avec un théoricien de Liège. Ces réactions sont mises en jeu dans les réacteurs sous-critiques pilotés par accélérateurs et qui sont étudiés comme systèmes de destruction des déchets à vie longue produits par l’industrie électronucléaire. Elles sont également importantes pour la conception des accélérateurs du futur visant à produire des isotopes rares ainsi qu’en astrophysique pour l’étude des rayonnements cosmiques et dans le domaine spatial. Les résultats de cette expérience ont été sélectionnés parmi les « highlights-2004 » de physique nucléaire publiés par Physical Review Letters (http://www.aip.org/pnu/2004/ « Mercator of the Nuclear World »)  
Contacts : Alain Boudard, Sylvie Leray  
#619 - Màj : 18/04/2005

 

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