25 mai 2005
Existerait-il des noyaux superlourds stables ?

Une expérience réalisée au Ganil observe la fission quasi-immédiate des systèmes créés par la fusion de deux noyaux lourds en envoyant un faisceau d'uranium sur une cible monocristalline de nickel. L’étude de ces systèmes éphémères permet d’obtenir des informations sur la stabilité des noyaux superlourds. Cette expérience à laquelle participe le Dapnia montre que la fission d'un système de numéro atomique Z=120 intervient sur des durées relativement grandes à l’échelle des réactions nucléaires, gage d’une certaine stabilité des noyaux superlourds dans cette région. Ce résultat a été obtenu grâce à une mesure directe des temps de fission par l'observation des déviations de trajectoires des fragments de fission dans un réseau cristallin.

 

La fusion complète de deux noyaux peut se schématiser en deux étapes. Dans la première, les deux noyaux fusionnent pour former un noyau composé. Dans la seconde, le noyau composé se refroidit par émission successive de neutrons pour donner naissance à un noyau lourd. Durant cette phase de décroissance, il peut se casser en deux, empêchant la formation d’un noyau très lourd : c’est la fusion-fission. La répulsion coulombienne entre le projectile et la cible, lorsque ces derniers sont des noyaux lourds, est un frein vers la fusion. Elle conduit, le plus souvent, à une dissociation rapide du couple projectile-cible ; cette cassure rapide est appelée quasi-fission. Ces deux phénomènes rendent très difficile la synthèse des noyaux superlourds. Les temps caractéristiques de la fusion-fission (>10-19s) et de la quasi-fission (~10-21s) diffèrent sensiblement. Pour distinguer les deux processus, des physiciens du Ganil et du Service de physique nucléaire du Dapnia, en collaboration avec des équipes de l’IPN de Lyon, de l’IPN d’Orsay et du GPS de Jussieu, ont utilisé une méthode originale utilisant la déviation des trajectoires des fragments au voisinage des rangées atomiques d’un réseau cristallin (technique de blocking) qui permet une mesure directe des temps de réaction.

 
Existerait-il des noyaux superlourds stables ?

Figure 1 : Le dispositif expérimental dans la chambre à réaction. Deux détecteurs de blocking sont visibles dans la partie supérieure.

Existerait-il des noyaux superlourds stables ?

Figure 2 : Principe de la méthode de blocking

Lorsqu’un ion traverse un monocristal dans la direction d’une rangée atomique, il subit une répulsion de la part des atomes du cristal. La déviation est d’autant plus grande que la trajectoire initiale est proche d’un axe cristallin (figure 2). La distribution angulaire des ions au voisinage de cet axe est modifiée, présentant un creux dont la profondeur dépend du cristal et de la trajectoire de l’ion. Si le temps de la réaction est court (quasi-fission), les deux fragments se séparent près de la rangée cristalline où a eu lieu la réaction (trajectoire 1). Si la direction de l’un des fragments est voisine d’un axe du cristal, sa trajectoire est alors déviée, le creux est profond. A contrario, la fission étant un processus lent à l’échelle des réactions nucléaires, le noyau composé peut s’éloigner de l’axe cristallin avant de fissionner (trajectoire 2). Les trajectoires des fragments sont alors moins altérées, le creux moins prononcé.

 

Un faisceau d’uranium 238 est envoyé sur une cible monocristalline orientable dans les 3 directions de l’espace au moyen d’un goniomètre. Ainsi, les axes cristallins de la cible sont alignés vers trois détecteurs destinés à la mesure de l’angle d’un des fragments. Ces détecteurs se composent d’une chambre à ionisation, réalisée par le service d’électronique des détecteurs et d’informatique du Dapnia, suivie d’un détecteur silicium à couche résistive pour la localisation. Les autres produits de réactions sont caractérisés en numéro atomique et en énergie dans le multidétecteur Indra couvrant la presque totalité de l’espace autour de la cible (figure 1).

 
Existerait-il des noyaux superlourds stables ?

Figure 3 : Distribution angulaire de fragments autour d’un axe cristallin pour trois types d’événements sélectionnés : diffusion quasi-élastique (gauche), fission de l’uranium (centre), cassure d’un système Z=120 (droite).

Grâce à l’identification des partenaires de la collision, il est possible de distinguer différents types de réactions. Les événements de diffusion quasi-élastique (temps de réaction courts inférieurs à 10-21 s) et ceux correspondant à la fission de l’uranium (temps longs supérieur à 10-18 s) permettent de valider la sensibilité de la méthode (figure 3). La distribution angulaire des fragments, correspondant à une cassure asymétrique d’un système Z=120, montre un niveau de blocking intermédiaire ce qui montre qu’une proportion importante de ces événements est associée à des temps de réaction supérieur à 10-18s. Ces temps longs sont une signature de la formation, avec des probabilités significatives, de noyaux composés de Z=120, qui fissionnent durant leur phase de désexcitation. Ces noyaux seraient plus stables qu’attendu, résultat prometteur pour de futures expériences de synthèse de noyaux superlourds.

 

contact : Antoine Drouart

 
#647 - Màj : 16/03/2010

 

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