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Description de l'expérience Double Chooz

La physique des neutrinos a accompli dans les cinq dernières années des progrès considérables. De tous ces travaux, il résulte que les neutrinos sont massifs, bien que plusieurs millions de fois plus légers que l’électron, et que les trois espèces de neutrinos existantes (νe, νμ, ντ) ont cette propriété étonnante de convertir leur saveur leptonique par le phénomène d’oscillation. Il s’agit d’un indice tangible de l’existence d’une physique non décrite par le Modèle Standard Minimal de la physique des particules.

D’une façon similaire à ce que l’on observe dans le secteur des quarks, le phénomène d’oscillation de neutrinos dépend de trois angles de mélange, θ12, θ23 et θ13, ainsi que d’un terme complexe, la phase de violation de symétrie CP. Ce dernier terme pourrait être à l’origine de l’asymétrie matière antimatière de l’Univers observable. L’amplitude de la violation de CP dans le secteur des leptons dépend directement de la valeur des angles de mélanges θ12, θ23 et θ13, mesurables par les expériences d’oscillation de neutrinos. Jusqu'à présent, seuls les deux angles θ12 et θ23 ont été mesurés de façon assez précise. Ils ont tous deux des valeurs étonnamment élevées en comparaison avec le secteur des quarks. Par contre, la valeur de l’angle θ13 reste mal connue. Autant pour comprendre la phénoménologie des oscillations de neutrinos, qu'en vue d'une mesure de violation de CP dans le secteur des leptons, une expérience mesurant proprement θ13 permettrait de définir clairement la feuille de route de la physique des neutrinos dans les vingt prochaines années.

 Parmi tous les moyens déjà envisagés pour mesurer cet angle de mélange, l’expérience Chooz (France) a seulement réussi à contraindre sa valeur, sin2(2θ13)<0,20 (90% C.L., pour Δm2atm = 2,010-3 eV2). Il s’agit de la meilleure contrainte mondiale actuelle ; elle nous apprend déjà que θ13 est significativement plus petit que les deux autres angles θ12 et θ23. L’expérience Double Chooz se propose d’améliorer la sensibilité de la première expérience en recherchant la troisième oscillation de neutrinos (1 à 3) jusqu’à sin2(2θ13)>0,04-0,05 (découverte à « 3σ », Δm2atm=2,0 10-3 eV2 et connu avec une précision de 20%). Par contre la limite supérieure serait améliorée à sin2(2θ13)<0,02-0,03 (90% C.L., Δm2atm=2,0 10-3 eV2) si aucune disparition d’antineutrinos électroniques n’était observée. Bien qu’il n’y ait pas de consensus dans ce domaine, certains modèles prévoient actuellement des valeurs de θ13 proches de la limite actuelle donnée par l’expérience

Principe de la mesure de l'angle θ13 dans Double Chooz

Depuis la découverte des antineutrinos par Reines et Cowan en 1956 jusqu'à la mise en évidence récente de la disparition d'antineutrinos de réacteurs à grande distance (200 km) par l'expérience KamLAND au Japon, les expériences d'oscillation de neutrinos auprès de réacteurs nucléaires n'ont jamais quitté le devant de la scène. Elles exploitent les antineutrinos électroniques de faible énergie (2-10 MeV) produits au cours des désintégrations bêta lors des fissions nucléaires, sources de la production d’énergie au cœur des réacteurs.

Les réacteurs nucléaires sont des sources copieuses d’antineutrinos électroniques. Ces derniers sont susceptibles de se transformer périodiquement en antineutrinos d’une autre saveur au cours de leur propagation : c’est le phénomène d’oscillations de neutrinos recherché. Pour mettre en évidence cet effet, il faut mesurer les flux de neutrinos à différentes distances.

Le concept novateur de Double Chooz est d’utiliser deux détecteurs identiques de neutrinos. Le premier détecteur (dit « détecteur proche ») sera localisé à 400 mètres des deux cœurs de la centrale de Chooz pour mesurer précisément le flux et le spectre énergétique des antineutrinos émis. Un nouveau laboratoire devra être construit à cet effet pour abriter le détecteur, en partenariat avec EDF qui a donné son aval à l’implantation de l’expérience sur le site de la centrale. Le second détecteur (dit « détecteur lointain ») sera localisé à 1 kilomètre des cœurs, dans la cavité déjà construite et aménagée par EDF pour la première expérience à Chooz, dans les années 1990. La disponibilité du site lointain constitue l’avantage principal de faire une deuxième expérience à Chooz.

Pour atteindre la précision voulue il faut minimiser les bruits de fond les plus nuisibles qui sont induits par le rayonnement cosmique naturel et les matériaux du détecteur (contraintes de basse radioactivité). Il est nécessaire « d’enterrer » les deux détecteurs. Le site du détecteur lointain est déjà construit sous 100 mètres de roche (l’équivalent de 300 mètres d’eau). Le détecteur proche devra quant à lui être protégé par environ 45 mètres de roche ou équivalent (enterré, et recouvert d’un monticule de terre ou de gravier).

Le principe de la mesure est de chercher une déviation à la loi en 1/D2 aux distances (D) des deux détecteurs qui serait directement imputable au phénomène d’oscillation des neutrinos ; l’observation et la mesure d’une telle déviation permettraient de remonter à la valeur de l’angle de mélange recherché. Comparativement aux meilleures expériences déjà réalisées dans ce domaine – la première expérience à Chooz en France, et l’expérience KamLAND au Japon – la nouvelle expérience d’oscillation de neutrinos de réacteurs devra réduire les erreurs systématiques de mesure du signal. Pour obtenir la sensibilité requise, l’ensemble des erreurs systématiques de cette mesure doit être ramenée au dessous du pourcent (entre trois et cinq fois plus faible que la première expérience à Chooz). C’est le défi technique de cette expérience. La comparaison directe entre les signaux des deux détecteurs présente l’avantage de minimiser un grand nombre d’effets systématiques détériorant la précision de la mesure de θ13. Des simulations ont été effectuées, et ont montré que l’objectif de l’expérience pouvait être atteint.

La détection des antineutrinos utilise la réaction anti-νe + proton donne positron (e+) + neutron. Le ralentissement du positon (e+), puis son annihilation, suivi quelques dizaines de µs plus tard du signal de la capture du neutron, signent cette réaction. L’énergie du positron doit être mesurée pour remonter à l’énergie de l’antineutrino incident.

 

 

 

 

 

 
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Courbe donnant la sensibilité de l'expérience Double Chooz en fonction du temps de prise de donnée avec un puis deux détecteurs.

Résultats attendus pour la mesure de l'angle de mélange θ13

La meilleur contrainte sur l’angle de mélange θ13 a été donnée par l’expérience Chooz ; elle a seulement réussi à contraindre sa valeur, sin2(2θ13)<0,20 (90% C.L., pour Δm2 = 2,0 10-3 eV2).

L’expérience Double Chooz se propose d’améliorer la sensibilité de la première expérience en recherchant la troisième oscillation de neutrinos (1à3) jusqu’à sin2(2θ13) > 0,04-0,05 (découverte à « 3σ », Δm2=2,0-2,4 10-3 eV2 et connu avec une précision de 20%).

Par contre la limite supérieure serait améliorée à sin2(2θ13)<0,02-0,03 (90% C.L., Δm2=2,0-2,4 10-3 eV2) si aucune disparition d’antineutrinos électroniques n’était observée.

L’expérience Double Chooz a une sensibilité meilleure que les expériences sur accélérateurs en cours de construction ou en démarrage : MINOS ou OPERA; en effet, ces dernières ont été optimisées pour d’autres objectifs de physiques. Double Chooz aura une sensibilité similaire aux futures expériences T2K et Nova. Ces dernières mesurent cette oscillation dans un autre canal (transition de neutrinos muoniques vers électroniques) ce qui rend les deux types de mesure complémentaires. Double Chooz est une expérience à plus petite « échelle » que les projets sur accélérateurs, mais elle pourrait être la première à observer la 3ème oscillation des neutrinos si sin2(2θ13)

 

 
#1527 - Màj : 13/06/2007

 

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