L’Univers observable contient plusieurs centaines de milliards de galaxies, dont la nôtre : la Voie Lactée. Comme celle-ci, les galaxies sont de gigantesques structures faites de gaz, d’étoiles, de poussières et de matière noire, des composants liés entre eux par la gravitation. Au cours de leur vie, elles transforment le gaz qu’elles contiennent en étoiles, et, par analogie, la fin des processus de formation stellaire s’apparente à leur “mort”. Depuis la découverte par l’astronome Américain Edwin Hubble que la Voie Lactée n’était pas la seule galaxie dans l’Univers (Hubble, 1925), l’astrophysique a connu de grands progrès scientifiques : nous savons maintenant que l’Univers n’est pas immobile, mais qu’il est au contraire en expansion accélérée, et que les galaxies qu’il contient s’éloignent les unes des autres d’autant plus vite qu’elles sont distantes. Pour étudier les galaxies, les astrophysiciens les observent principalement en collectant la lumière émise par les étoiles, et celle diffusée par le milieu interstellaire, mais l’évolution des galaxies est un domaine de recherche complexe et il y reste encore de nombreuses zones d’ombre. Cette thèse a pour but de donner des éléments de réponse à deux des grandes questions que les astrophysiciens se posent encore aujourd’hui : pourquoi certaines galaxies arrêtent-elles subitement de former des étoiles ? Pourquoi les modèles actuels prédisent-ils des galaxies trop massives par rapport aux galaxies observées dans l’Univers ? La distribution en masse actuelle des baryons (la matière ordinaire, sous forme de gaz, d’étoiles, de poussière, etc.) dans l’Univers est bien connue, et est dérivée notamment de la nucléosynthèse primordiale (e.g. Olive et al., 2000) — selon laquelle la plupart des éléments légers (tels que l’hydrogène, le deutérium, l’hélium et le lithium) ont été produits entre quelques secondes et quelques minutes après le Big Bang. Toutefois, les modèles basés sur ce contenu en masse produisent des galaxies trop massives et contenant trop d’étoiles par rapport aux galaxies observées dans l’Univers (e.g. Croton et al., 2006). En effet, les lois de la gravitation prédisent que tous les baryons devraient maintenant se trouver à l’intérieur des galaxies. Au contraire, on observe que seulement 20 % des baryons se trouvent à l’intérieur des galaxies (Sommer-Larsen, 2006), une petite fraction des 80 % manquants se trouvant autour des galaxies les plus massives. Cette tension entre les modèles et les observations est connue sous le nom de “problème des baryons manquants”. Comme aucun mécanisme physique connu à ce jour n’est capable d’empêcher efficacement les baryons de tomber dans les galaxies à long terme (presque l’âge de l’Univers), les astrophysiciens se tournent vers des processus physiques capables d’éjecter rapidement la plus grande partie du contenu des galaxies dans le milieu intergalactique afin d’améliorer leurs modèles. Les conséquences directes de cette éjection subite sont la fin de la formation d’étoiles faute de gaz, et la diminution lente de luminosité des galaxies, du fait du vieillissement des étoiles déjà formées. Plus le processus d’éjection du gaz est subit, plus l’arrêt des processus de formation stellaire est rapide. C’est cet arrêt rapide de la formation stellaire que l’on appelle, faute d’un mot adapté en français, le “quenching”. Ce mot, qui signifie à la fois étanchement (de la soif) et trempe (du métal), décrit un processus qui fait passer instantanément (relativement aux échelles de temps caractéristiques) un système d’un état à un autre, comme un métal en fusion qui se refroidit instantanément quand on le trempe dans de l’eau froide. Comme l’activité de formation stellaire est associée à la vie des galaxies, le “quenching” peut être compris comme leur étouffement, ou leur étranglement. Toutefois, d’autres scénarios que le quenching sont envisagés par les théoriciens pour expliquer la mort des galaxies, notamment l’arrêt de leur alimentation en gaz, menant à leur mort lente par inanition. Les astrophysiciens n’ont donc pas encore identifié avec certitude le ou les phénomènes physiques qui sont à l’origine de l’existence des galaxies ne formant plus, ou presque plus, d’étoiles. Pour apporter des éléments de réponse à cette question, je me suis penchée durant mon doctorat sur l’étude de phénomènes qui pourraient jouer un rôle dans la mort subite des galaxies lointaines, à savoir les processus de rétro-action provenant des étoiles et des trous noirs supermassifs en phase active, la formation stellaire, et les vents galactiques. Le premier chapitre présente toutes les notions astrophysiques nécessaires à la compréhension du problème : la notion d’Univers proche, d’Univers lointain et de décalage vers le rouge (ou redshift) cosmologique (utilisé pour mesurer le temps cosmologique depuis le temps présent, voir Section 1.1.1) ; les caractéristiques des galaxies typiques de l’Univers proche et lointain (voir Section 1.1.2) ; les vents galactiques (voir Section 1.1.3) ; la mort des galaxies (voir Section 1.1.4) ; les composants essentiels que sont les trous noirs supermassifs en phase active (aussi appelés noyaux actifs de galaxies ou AGN, voir Section 1.2) et les étoiles (voir Section 1.3) ; ainsi que les effets que ceux-ci ont en retour sur la galaxie qui les abrite (la rétro-action). De façon résumée, je m’intéresse aux galaxies de l’Univers lointain (ou galaxies à haut redshift), qui, comme leurs analogues plus proches, sont des galaxies en forme de disque produisant des étoiles à un taux élevé. La principale différence entre les galaxies de ces deux époques1 est le rapport entre la masse de gaz et la masse d’étoiles. Les galaxies lointaines contiennent ainsi beaucoup moins d’étoiles par rapport à leur masse de gaz, simplement parce que la majorité d’entre elles n’ont pas encore eu le temps de naître. Les galaxies de l’Univers lointain ont donc une forte fraction de gaz, qui rend les disques plus instables et empêche la formation des bras spiraux caractéristiques des galaxies locales. Ainsi, je m’intéresse aux galaxies lointaines plutôt qu’aux galaxies locales car leur forte instabilité implique une plus forte activité de formation stellaire au niveau cosmologique (e.g. Madau et al., 1998; Madau & Dickinson, 2014) et des phases actives plus fréquentes pour les trous noirs supermassifs (e.g. Richards et al., 2006; Madau & Dickinson, 2014). De la même façon que la galaxie agit sur les étoiles et le trou noir supermassif en entretenant la formation des premières et l’activité du second avec le gaz qu’elle contient, les étoiles et le trou noir en phase active rétro-agissent sur la galaxie, notamment par l’intermédiaire des photons qu’ils émettent. La rétro- 1En astrophysique, plus un objet est lointain par rapport à la Terre, plus il est situé loin dans le passé. On le voit aujourd’hui comme il était quand les photons qui nous parviennent l’ont quitté, parfois il y a plusieurs milliards d’années action provenant des étoiles et du trou noir actif peut prendre différentes formes, parmi lesquelles l’ionisation du gaz et son éjection via de puissants vents à l’échelle galactique (pour plus de détails, voir les Sections 1.2.5, 1.2.6, 1.3.3 et 1.3.4). Cette rétro-action sous ses différentes formes est soupçonnée de jouer un rôle dans la mort des galaxies-hôtes. Dans un deuxième chapitre, je présente les techniques numériques utilisées lors de ces trois années de thèse : tout d’abord, les simulations numériques astrophysiques en général (voir Section 2.1), le code de simulations astrophysiques Ramses en particulier (voir Section 2.1.1 et Teyssier, 2002) et d’autres codes utilisés par la communauté (voir Section 2.1.2) ; puis des éléments pour comprendre ce que sont les simulations numériques : les conditions initiales (voir Section 2.1.3) et les équations et modèles dont l’évolution temporelle est résolue pas à pas afin de calculer l’état d’une galaxie (voir Section 2.1.4). En second lieu, ce chapitre présente le code de transfert radiatif Cloudy (voir Section 2.2 et Ferland et al., 1998, 2013), que j’ai utilisé pour développer une méthode de post-traitement afin de calculer l’état d’ionisation d’une galaxie. Le troisième chapitre détaille le travail qui a occupé la première partie de ma thèse et a mené à la publication de l’article Roos et al. (2015). Il s’agit de post-traiter une simulation de galaxie lointaine à haute résolution (6 pc), afin d’y étudier les effets de la rétro-action des trous noirs supermassifs en phase active sous deux forme : thermique, et radiative. Alors que la rétro-action thermique était déjà prise en compte de façon récurrente au début de ma thèse, les modèles étaient principalement arbitraires, car encore mal contraints. Afin de mieux les contraindre mais aussi d’étudier les effets à grande échelle de la photo-ionisation par le trou noir en phase active — qui était peu étudiée précisément car complexe et coûteuse en temps de calcul, j’ai développé une méthode pour traiter de façon précise le transfert radiatif dans une simulation de galaxie et ainsi calculer la distribution du gaz ionisé par le trou noir actif. Il en ressort qu’à haute résolution (i.e. avec un milieu interstellaire présentant de forts contrastes de densité), la radiation et la rétro-action thermique d’un trou noir supermassif typique en phase active — même couplées — sont incapables de stopper la formation stellaire de façon soudaine, et ne sont par conséquent pas responsables du “quenching” des galaxies. Cependant, des galaxies ne formant plus, ou presque plus, d’étoiles sont observées dans l’Univers, et leur existence doit être expliquée. Une des pistes pour y arriver est de s’intéresser au couplage entre les différentes sources de rétro-action que sont les trous noirs actifs et les étoiles. Le quatrième chapitre présente les résultats du projet POGO (Physical Origins of Galactic Outflows — Origines Physiques des Vents Galactiques), avec lequel j’ai étudié l’interaction entre la rétro-action des étoiles et celle des trous noirs actifs. J’ai montré que même si les trous noirs actifs sont la source principale des vents galactiques, il est important de prendre en compte la rétro-action stellaire de façon précise. En effet, la présence de celle-ci change les caractéristiques des vents galactiques en fonction de la masse de l’hôte : à la masse la plus basse que nous avons étudiée, les rétro-actions des étoiles et du trou noir actif donnent lieu à des vents plus forts que ceux générés par la seule rétro-action des trous noirs actifs. À la masse intermédiaire, au contraire, la combinaison des deux rétro-actions génère des vents plus faibles qu’avec la seule rétro-action du trou noir actif. Toutefois, même pour la plus petite galaxie étudiée, les vents ne sont pas assez forts pour tuer subitement la galaxie hôte. En conclusion, même si j’ai pu donner des éléments de réponse aux deux grandes questions qui ont motivé cette thèse, il y a encore beaucoup à faire dans le domaine pour trouver une réponse définitive. Pour résumer, durant cette thèse, j’ai montré que les trous noirs actifs abrités par des galaxies lointaines typiques n’étaient pas en mesure de tuer subitement leur hôte, même en prenant en compte la rétro-action des étoiles. J’ai également montré que les vents provenant des étoiles et des trous noirs actifs dans les galaxies moyennement massives n’expliquent pas la présence de 80 % des baryons dans le milieu intergalactique, puisque leur couplage a au contraire tendance à réduire les vents. Toutefois, les vents générés par le couplage de la rétro-action des étoiles et de celle du trou noir actif dans les galaxies peu massives peuvent en expliquer une partie, même s’il reste à en déterminer quelle fraction. Le cinquième et dernier chapitre fait un état de l’art du domaine avant et pendant mon doctorat, reprend les conclusions de cette thèse et donne quelques perspectives à ce travail, notamment en ce qui concerne le rôle additionnel des rayons cosmiques dans la mort des galaxies, et la présence de tant de baryons autour d’elles. Deux annexes s’ajoutent à ce manuscrit : la première (voir Annexe A) présente les différentes routines que j’ai développées et/ou utilisées au cours de cette thèse (en bash, Python, Fortran 90 et IDL), tant pour exploiter les résultats des simulations Ramses que pour le post-traitement avec Cloudy. La deuxième annexe (voir Annexe B) est destinée aux personnes voulant débuter dans l’art de simuler des galaxies avec Ramses (incluant un trou noir supermassif actif, des étoiles, de la formation stellaire, etc.). Cette section retrace les différentes étapes physiques et techniques à respecter pour simuler une galaxie proprement, et détaille les techniques de raffinement, ainsi que les modèles de formation stellaire, de trous noirs (en phase active ou non) et de rétro-action. Une section spéciale est dédiée aux mots-clés liés aux trous noirs actifs dans les namelists de Ramses : ils sont listés de façon exhaustive avec leur signification et leur valeur recommandée. La dernière partie détaille la marche à suivre pour générer simplement un film à l’exécution d’une simulation. Mots-clés: Simulations numériques, évolution des galaxies, trou noir supermassif, noyau actif de galaxie, formation stellaire, rétro-action, vents galactiques