Une nouvelle vision de la formation des étoiles (23 Janvier 2008)
Une équipe internationale d’astrophysiciens, dirigée par Emanuele Daddi du Service d’Astrophysique du CEA-IRFU, vient de découvrir d’énormes réserves de gaz d’hydrogène moléculaire – la matière première des étoiles- au sein de galaxies massives de l’univers lointain. Cette découverte inattendue, réalisée grâce à l’interféromètre IRAM du plateau de Bure*, indique que les galaxies du début de l’Univers forment la majorité de leurs étoiles de façon beaucoup plus continue qu’on ne l’imaginait jusqu’ici. Ce résultat, qui ouvre de toutes nouvelles voies pour comprendre la formation et l’évolution des galaxies, est publié dans la revue Astrophysical Journal du 20 Janvier 2008.
Image crédits: MPIA Heidelberg (Hi_res 1.7Mo / Med_res 0.4Mo)
Comment se forment les étoiles dans l’univers jeune ?
Dans l‘univers local, la formation des étoiles se déroule selon deux mécanismes différents.
Dans les grandes galaxies spirales – comme notre Voie Lactée – les étoiles nouvelles se forment principalement dans les bras spiraux. Ces bras contiennent en effet la majorité du gaz, sous forme de molécules d’hydrogène (H2), matériau à partir duquel se forment les étoiles. Dans une galaxie comme la Voie Lactée, une quantité de gaz, équivalente à quelques fois la masse du Soleil, se transforme ainsi en étoiles chaque année et cette conversion du gaz en étoiles s’effectue sur des milliards d’années.
Quand deux galaxies spirales entrent en collision, un processus beaucoup plus efficace permet de former des étoiles plus rapidement. Durant ces collisions, le gaz moléculaire est en effet fortement comprimé, favorisant la formation brutale de nombreuses étoiles. Le taux de formation d’étoiles peut ainsi être multiplié par plus de 100. Ces galaxies que les astronomes appellent « Galaxies Infrarouges Ultralumineuses » (car elles apparaissent comme d’intenses sources de rayonnement infrarouge) épuisent alors très rapidement leur réserve d’hydrogène moléculaire.
Pour les galaxies du début de l’Univers, on ignore encore quel est le processus dominant pour la formation des étoiles. Les collisions de galaxies sont considérées comme beaucoup plus nombreuses qu’aujourd’hui, et l’on pensait jusqu’ici que même les galaxies massives ordinaires produisaient des étoiles à un taux très élevé. Restait néanmoins à mesurer le contenu exact du réservoir de gaz dans ces galaxies car jusqu’ici ce gaz n’avait été détecté qu’au sein des très rares Galaxies Ultralumineuses.
C’est en utilisant les tout nouveaux détecteurs de l’interféromètre de l’Institut de Radio Astronomie Millimétrique (IRAM) un réseau d’antennes situé sur le Plateau de Bure près de Gap, qu’une équipe internationale d’astrophysiciens a été capable pour la première fois de mesurer le gaz moléculaire contenu dans deux galaxies spirales massives, situées à plus de 9 milliards d’années de distance, correspondant à un Univers ayant seulement 30% de son âge actuel.
L’équipe, dirigée par Emanuele Daddi du SAp/IRFU et incluant des scientifiques du Max Planck Institute d’Heidelberg et de laboratoires américains et indiens, a découvert dans ces deux galaxies de gigantesques réservoirs de gaz. Les deux galaxies lointaines se comportent ainsi comme un modèle à plus grande échelle de notre Voie Lactée, avec un réservoir plus important de gaz et plus d’étoiles formées mais avec une semblable efficacité de formation d’étoiles.
Cette découverte fournit un nouvel éclairage sur la manière dont les galaxies forment leurs étoiles. Elle suggère que les collisions de galaxies ne sont pas le mécanisme principal de la formation des étoiles, même dans les galaxies lointaines de l’Univers jeune. Les réservoirs de gaz découverts impliquent que la formation d’étoiles dans ces galaxies ordinaires peut se maintenir sur plusieurs centaines de millions d’années, dix fois plus longtemps que dans les rares Galaxies Ultralumineuses observées jusqu’ici. Contrairement au scénario généralement admis, dès le début de l’Univers, la majorité des étoiles se formeraient donc « in situ » et relativement lentement.
Ces résultats ont également montré que les galaxies massives ordinaires de l’Univers lointain, 10 à 100 fois plus nombreuses que les galaxies extrêmes, sont maintenant accessibles aux observations par les interféromètres actuels comme l’IRAM et futurs comme ALMA (Atacama Large Millimeter Array), un réseau de 64 antennes actuellement en construction au Chili. Leur contenu en gaz peut désormais être mesuré. Comme ce gaz est l’ingrédient principal des étoiles, elles-mêmes constituant principal des galaxies, cette première découverte ouvre de tout nouveaux horizons pour l’exploration de la formation des galaxies.
Contacts : Emanuele DADDI, David ELBAZ
« Vigorous Star Formation with low Efficiency in Massive Disk Galaxies at z=1.5 »
Emanuele Daddi (1), Helmut Dannerbauer(2), David Elbaz(1), Mark Dickinson(3), Glenn Morrison(4,5), Daniel Stern(6) & S. Ravindranath(7)
(1) Service d’Astrophysique, CEA Saclay, Orme des Merisiers, 91191 Gif-sur-Yvette Cedex, France
(2) MPIA, Königstuhl 17, D-69117 Heidelberg, Germany
(3) NOAO, 950 N. Cherry Ave., Tucson, AZ, 85719
(4) Institute for Astronomy, University of Hawaii, Honolulu, HI 96822, USA
(5) Canada-France-Hawaii Telescope, Kamuela, HI, 96743, USA
(6) Jet Propulsion Laboratory, Caltech, Pasadena, CA 91109
(7) IUCAA, Pune University Campus, Pune 411007, Maharashtra, India
publié dans Astrophysical Journal Letters 673, L21, 20 Janvier 2008
– pour une version électronique : (fichier pdf – 412 Ko)
voir aussi :
–le communiqué de presse du Max Planck Heidelberg (en anglais, 23 Janvier 2008) |
pour plus d’information – Existe-t-il des galaxies sans étoiles ? (15 Novembre 2007)
– Débat sur la formation des étoiles(19 Octobre 2007)
– Formation d’étoiles dans l’Univers lointain (7 Juin 2007)
*L’Interféromètre du Plateau de Bure est un instrument de l’IRAM (Institut de Radio Astronomie Millimetrique), opéré conjointement par la Max-Planck-Society, l’INSU/CNRS (France), et l’IGN (Spain).