La redécouverte d’un précieux document chinois de la Route de la Soie
Un document spectaculaire de l’histoire de l’astronomie vient d’être remis en lumière par l’étude d’un groupe de chercheurs conduit par Jean-Marc Bonnet-Bidaud du Service d’Astrophysique du CEA-Irfu [1].
Le document, désigné sous le nom de carte de Dunhuang et conservé à la British Library de Londres, est un atlas céleste complet découvert en 1900 parmi 40 000 manuscripts précieux entreposés dans les Caves de Mogao, un monastère bouddhique sur la Route de la Soie chinoise. Cachés dans une grotte aux alentours du XIe siècle, ces manuscrits, principalement des textes religieux bouddhiques ont été miraculeusement préservés grâce au climat très aride. L’étude scientifique détaillée de la carte réalisée par les chercheurs a permis de conclure que l’atlas qui contient plus de 1300 étoiles a été composé dans les années +(649-684). Utilisant des méthodes de projections mathématiques précises, il conserve une précision de 1,5 à 4° pour les étoiles les plus brillantes. C’est la plus ancienne carte d’étoiles connue toutes civilisations confondues et la première représentation graphique de l’ensemble des constellations chinoises.
L'atlas est presenté dans le numéro du 11 Juin de la revue Nature et l'étude historique et scientifique est publiée dans le Journal of Astronomical History and Heritage. La carte est actuellement exceptionnellement exposée à la British Library jusqu'au 18 Août 2009, à l'occasion de l'Année Mondiale de l'Astronomie.
version française | english version |
VIDEO
Les grottes des Mille Buddha
La route de la Soie est une route de commerce légendaire reliant la Chine à l’Europe, utilisée depuis avant même l’empire romain. A la fin du XIXe siècle, plusieurs missions d’explorateurs européens ont redécouvert le long de cette route de nombreux centre culturels anciens tels que des monastères bouddhiques souvent décorés de spectaculaires statues et peintures murales. Parmi ces monastères, les grottes de Mogao, aussi appelées grottes des Mille Bouddhas, près de la ville-oasis de Dunhuang (Gansu-Chine). Les grottes sont creusées dans une falaise de 1600 m de long et plus de 480 ont été préservées.
Le site a été créé vers l’an +360 et abandonné à la fin de la période mongole. Aux environs de l’an +1000, une des grottes fut apparemment scellée pour sauvegarder une collection de plus de 40 000 précieux manuscrit et documents imprimés avec, parmi eux, le plus ancien livre imprimé du monde. La cave murée fut redécouverte par hasard et ouverte quelques années seulement avant l’arrivée en 1907 de l’archéologue hongrois naturalisé anglais, Aurel Stein. Celui-ci a donc été le premier européen à voir le contenu de la grotte.
A gauche: la cave #16 où, vers l'an 1900, une pièce cachée (ouverture visible à droite) a été découverte contenant des milliers de manuscrits, tous datant d'avant l'an 1000. A droite: le sinologue français Paul Pelliot, un des explorateurs qui pénétra dans la cache peu après sa découverte. Crédits British Library
Le climat très aride de la région a contribué à l’excellente conservation de ces manuscrits écrits sur papier chinois en de multiples langues. La plupart des textes sont des écrits religieux sur le bouddhisme mais quelques uns concernent aussi la médecine, la divination et l’astronomie. Parmi eux, un rouleau de papier très fin, aujourd’hui connue sous le nom de la carte céleste de Dunhuang, qui fut emportée par Stein avec 7000 autres documents et expédiée au British Museum de Londres. Bien que cataloguée dans les règles, la carte d’étoiles fut relativement oubliée bien que son importance ait été notée vers 1955 par le célèbre sinologue Joseph Needham. A part de courtes descriptions publiées en Chine sur la base d’études de fac-similés, aucune analyse complète n’avait encore été effectuée jusqu’ici.
Un atlas complet du ciel
L’étude scientifique a été initiée à l’occasion de l’exposition de la carte à la British Library en 2004 [1] et a bénéficié du développement du Projet International de Dunhuang (IDP), un programme de numérisation et de mise à disposition à l’ensemble du monde des contenus de cette bibliothèque ancienne unique.
Le document est un rouleau de papier chinois très fin d’une longueur totale de 394 cm et de 25 cm de hauteur, écrit sur une seule face. Le début du rouleau est manquant et le document est divisé en deux parties différentes. La première section est un texte de divination par les nuages contenant les dessins de différents nuages. Elle est suivie par la carte céleste constituée de douze panneaux rectangulaires le long de l’équateur céleste terminée par une carte circulaire de la région du pole Nord. Un total de plus de 1300 étoiles est distribué en 257 astérismes différents, les constellations chinoises selon la tradition chinoise très ancienne décrite dans des catalogues d’étoiles antiques. En particulier, les étoiles sont réparties en trois groupes de couleurs différentes pour distinguer les trois catalogues anciens élaborés durant la période des Royaumes Combattants (- 476 à – 221). Le document est dessiné très soigneusement à la main, avec le nom indiqué pour la plupart des constellations.
Un document astronomique du début de la dynastie des Tang
La datation de la carte a été une véritable enquête policière. Le début du rouleau étant manquant, le titre et le nom de l’auteur ne sont pas disponibles. Mais dans la première partie du rouleau dédiée à l’étude des nuages, une mention très claire est faite au nom de Li Chunfeng (+602-670), un astronome et mathématicien extrêmement célèbre de cette époque qui pourrait donc être l’auteur. Cette même époque est également corroborée approximativement par la position du pole Nord sur la carte circulaire des régions circumpolaires. La preuve finale a été fournie par une particularité étonnante de la langue chinoise ancienne, les caractères « tabous ». Durant le règne d’un empereur chinois, par respect, les caractères qui composaient le nom de l’empereur ne pouvaient être employés dans les textes officiels. On utilisait alors une forme légèrement différente, en changeant par exemple un trait du caractère. Ces caractères modifiés qui étaient connus sous le nom de caractères « tabous » marquent donc une époque très précise de règne. Grâce à eux, il est possible de savoir que le document a été produit après le règne de l’empereur Taizong (+649) et avant celui de Ruizong (+684).
Cette étude numérique de l’atlas a fourni des résultats importants. L’atlas n’est pas un simple relevé approximatif fait à la main mais a été établi suivant des règles précises de projection. Les projections utilisées ont été une projection cylindrique pure ou de Mercator pour les cartes rectangulaires et une projection azimutale-équidistante ou stéréographique pour la carte circulaire. De telles projections sont exactement similaires à celles utilisées aujourd’hui pour produire les cartes modernes mais elles n’ont été introduites en Europe occidentale qu’autour du XVIe siècle par des géographes comme Mercator, plusieurs siècles après leur usage en Chine.
La carte céleste de Dunhuang est la plus ancienne carte d’étoiles existante. D’autres cartes ont peut-être été produites par des astronomes anciens comme le grec Ptolémée (+83-161) ou le chinois Chen Zhuo (+220-280) mais aucune trace ne subsiste de ces tentatives. D’autres découvertes archéologiques anciennes sont souvent qualifiées de cartes, comme le zodiaque de Dendérah actuellement au Louvre daté de l’an – 50 ou le globe de Farnèse (+150). Mais dans les deux cas, il s’agit seulement de dessins des personnages de constellations sans indication des positions des étoiles. En dehors de la Chine, les premières cartes célestes ont été l’œuvre de l’astronome persan Al-Sufi (+986) qui montre la position des étoiles qui composent les constellations mais ne fournit pas la position relative sur l’ensemble du ciel. En Europe occidentale, c’est sur un document plus tardif, le manuscrit de Vienne (+1440) que l’on trouve pour la première fois les positions des étoiles sur l’ensemble du ciel.
L'atlas de Dunhuang, qui décrit l’ensemble du ciel boréal, précède donc tous ces travaux de plusieurs siècles. Il révèle aussi le remarquable niveau de la science chinoise dans l’usage des projections mathématiques.
Contact : Jean-Marc Bonnet-Bidaud
« The Dunhuang chinese sky: a comprehensive study of the oldest known star atlas »Bonnet-Bidaud, J.M., Praderie, F. & Whitfield, S.
publié dans Journal of Astronomical History and Heritage 12.1: 39-59 (Mars 2009) (format PDF 2.2 Mo)
pour une version électronique : astro-ph0906.2798 (format PDF, 2.2 Mo) « Charting the heavens from Chine : the Dunhuang star chart »
Qiu, J. dans Nature, 11 June 2009, vol 459, pp 778-779
pour une version électronique (format PDF, 1 Mo)
voir :
« Des cartes célestes anciennes révèlent le génie des astronomes chinois (« Figaro Magazine », 21 Mai 2010, p. 48-50) (format PDF) |
« Le trésor de la carte aux étoiles » (« « Journal du CNRS », Mars 2010, n°242, p. 8) (format PDF) |
« C’est la plus ancienne carte du ciel au monde » (« Le Parisien », 16 mars 2010, p. IV) (format PDF) |
« La carte céleste de Dunhuang » (« Pour La Science« , décembre 2009, v. 386, p.90-94) (format PDF) |
« L'ancêtre des cartes célestes est chinoise » (« Ciel & Espace« , août 2008, no 459, p. 8-12) (format PDF) |
« La plus ancienne carte du ciel sort de l’oubli » (« Journal du CEA-Saclay« , 2010, v. 46, p.17-18) (format PDF) |
voir aussi (en anglais) :
The NASA Astronomy Picture Of the Day (APOD 19 June 2009) | ||
The Telegraph (7 March 2009) |
The Art Newspaper (March 2009) |
Shenzhen Daily (16 March 2009, in Chinese) |
Irish Times (7 Septembre 2011) (format PDF) |
voir sur les manuscrits de Dunhuang :
The international Dunhuang Project (IDP) site |
The IDP site at the Bibliothèque Nationale de France |
Video :
Extraits (CNRS 2009) |
pour obtenir le film documentaire sur DVD (durée 20 minutes)
« La carte céleste de Dunhuang » (CNRS 2009) |
Images :
pour explorer la carte
« Le document S3326 (Site IDP) |
Notes :
[1] Jean-Marc Bonnet-Bidaud (Service d'Astrophysique du CEA-Irfu, Laboratoire AIM-CNRS, F) Françoise Praderie (Observatoire de Paris, F), Susan Whitfield (The Britisjh Library, UK). Nous avons le regret d'annoncer le décès de Françoise Praderie, astronome européenne remarquable, survenu à Paris le 28 Janvier 2009, en cours de ce travail.
[2] « Star maps and astronomy in ancient China » J.M. Bonnet-Bidaud, F. Praderie
dans 'The Silk Road: Trade, Travel, War and Faith', Exhibition Catalogue, The British Library, ed. Susan Whitfield, Juin 2004
Rédaction : Jean-Marc Bonnet-Bidaud