L’origine des lunes glacées de Saturne enfin dévoilée

L’origine des lunes glacées de Saturne enfin dévoilée

Des lunes de glace autour d’une planète au coeur de roches et de glaces

Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par Sébastien Charnoz du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM (SAp CEA-Irfu/Université Paris Diderot /CNRS), vient de proposer une nouvelle théorie pour expliquer l’existence des grosses lunes glacées qui entourent la planète Saturne. En utilisant un modèle d’évolution, les chercheurs ont pu démontrer que ces lunes s’étaient formées à partir de gros blocs présents au sein même des anneaux de Saturne, il y a plus de 2,5 milliards d’années, à une époque où ceux-ci étaient beaucoup plus massifs. Ces blocs auraient grossi en accumulant de la glace des anneaux pour atteindre leur taille actuelle. Ils auraient été ensuite rejetés au-delà des anneaux par l’effet de marée exercée par la planète Saturne. Cette hypothèse avait été jusqu’ici écartée car les marées semblaient insuffisamment fortes pour agir efficacement. Mais les chercheurs sont arrivés à une conclusion étonnante. Il suffit de l’existence d’un bloc important de roches et de glaces au coeur même de la planète Saturne pour amplifier considérablement ces effets de marées. Les lunes de Saturne nous révèlent donc l’intérieur même de la planète qui ne serait donc pas totalement gazeuse. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Icarus de décembre 2011.

L’énigme Saturne

Saturne est une énigme à part entière dans le Système solaire. Pourquoi est-ce la seule planète à avoir des anneaux aussi importants et comment peut-elle avoir à la fois ces anneaux et plus de soixante satellites naturels, des lunes de plus ou moins grosse taille qui gravitent en général au delà des anneaux ?

L’origine des anneaux n’est toujours pas totalement résolue mais l’hypothèse généralement retenue est celle de la destruction d’un gros satellite, peut-être par la collision avec une comète, au début du système solaire. Quant aux petits satellites, des travaux de l’équipe SAp-AIM publiés en 2010 avaient déjà montré que certains d’entre-eux, qui comme Pan et Atlas circulent encore à l’intérieur même des anneaux, étaient en train de grossir en accumulant de la glace des anneaux. C’est en considérant le même mécanisme que les chercheurs ont essayé d’expliquer la présence de lunes glacées de Saturne.

La répartition des principales lunes de Saturne en fonction de leur distance à Saturne avec leur taille à l’échelle (à l’exception des plus petits satellites). Les cinq lunes glacées, Minas, Encelade, Thetys, Dioné et Rhéa, sont d’autant plus loin de Saturne qu’elles sont massives. Crédit NASA

Les lunes glacées, filles des anneaux

En dehors d’une multitude de tout petits satellites, Saturne possède aussi cinq lunes totalement glacées, Minas, Encelade, Thetys, Dioné et Rhéa dans leur ordre d’éloignement à Saturne. Ces lunes glacées de Saturne recèlent bien des mystères: elles sont les objets les plus réfléchissants du Système solaire en raison de leur épaisse couche de glace en surface et certaines d’entre-elles présentent des signes d’évolution géologique intense, telle qu’Encelade avec ses geysers expulsant dans l’espace des billes glacées. Leur intérieur est encore plus étonnant: bien que leurs surfaces soient très semblables, à l’intérieur certaines contiennent beaucoup de roches (comme Encelade ou Mimas, composées de roches à plus de 50%) tandis que d’autres sont des boules de glaces quasi-pures (Téthys renferme ainsi moins de 7% de roches). Plusieurs questions se posent ainsi : i) Pourquoi une telle diversité de composition ? ii) Comment des objets aux contenus et aux tailles si différents peuvent ils apparaître si semblables à la surface ? Tout se passe comme si toute la roche contenue par ces lunes avait disparu de leur surface.

Pour expliquer le contenu en roche, les chercheurs sont remontés à l’époque de la formation des anneaux, lors de la destruction d’un gros satellite (probablement de la taille de Titan, la plus grosse lune actuelle de Saturne). Si ce satellite progéniteur contenait un cœur de roche, alors de grands blocs de celui ci devaient se trouver initialement dans les anneaux qui étaient à cette époque de cent à mille fois plus massifs qu’aujourd’hui. Un modèle d’évolution peut alors montrer que ces blocs de roche, qui sont très denses, s’entourent naturellement de la glace (peu dense) contenue dans les anneaux. Ils forment donc des « boules différenciées» avec au centre un cœur de roche entouré d’une pellicule de glace. Restait néanmoins à expliquer leur position actuelle au-delà des anneaux.

Génèse des proto-satellites dans les anneaux de Saturne. Des débris de roche (en marron) issus du cœur du satellite progéniteur des anneaux s’entourent de glace (en bleu). Ensuite ils seront expulsés des anneaux à cause des effets de marées pour former le système actuel des satellites de Saturne. Crédits SAp_CEA

Une planète pas tout a fait gazeuse

Tout comme la Lune s’éloigne lentement de la Terre en raison de l’énergie perdue par l’effet des marées, les satellites subissent aussi l’action de marée de Saturne. Mais jusqu’ici, les calculs montraient que la dissipation de ces marées était cent fois trop faible pour « transporter » efficacement les petits satellites vers l’extérieur. C’est grâce à une collaboration entre les planétologues et les spécialistes de la structure interne des astres que la solution a sans doute été trouvée.
Sachant que la dissipation de marée au sein d’un astre dépend intimement de sa structure interne, le seul mécanisme capable d’expliquer une telle intensité de marée est la friction au sein d’un noyau central dense de roche et de glace situé sous l’enveloppe gazeuse profonde de Saturne. Dans ce cas, en raison de cette structure interne particulière, les petits satellites auraient subi des forces telles que, une fois formés, ils auraient été progressivement expulsés des anneaux de façon d’autant plus efficace qu’ils étaient plus massifs. Ceci pourrait ainsi expliquer leur position d’autant plus éloignée qu’ils sont gros. Un satellite comme Midas, plus proche, a pu ainsi se former près de 1 à 1,5 milliards d’année après Rhéa situé plus loin.

Vue d’artiste de la structure interne de Saturne: sous l’enveloppe fluide profonde (hydrogène gazeux en surface puis liquide), prend place un noyau de glace et de roche capable de dissiper intensément l’énergie des interactions de marées entre Saturne et ses lunes (Crédits Calvin J. Hamilton).

Le mystère de la formation des lunes glacées de Saturne est-il défintivement résolu ? L’existence d’une graine rocheuse à l’intérieur de Saturne reste encore à prouver mais cette hypothèse n’est pas incompatible avec l’état actuel de nos connaissances. Des modélisations avancées de la structure interne des planètes sont maintenant en cours d’élaboration, notamment au Service d’Astrophysique-AIM, qui donnent d’ores et déjà des pistes prometteuses. D’autres informations précieuses sont aussi attendues des observations venant notamment de l’astrométrie par exemple par la mesure directe du mouvement d’Encelade (Groupe de travail Encelade) pour confirmer définitivement l’ensemble du scénario.


Contact : Sébastien CHARNOZ , Stéphane MATHIS

Publication :

« Accretion of Saturn’s mid-sized moons during the viscous spreading of young massive rings: solving the paradox of silicate-poor rings versus silicate-rich moons »
S. CHARNOZ, A. CRIDA, J. CASTILLO-ROGEZ, V. LAINEY, L. DONES, Ö. KARATEKIN, G. TOBIE, S. MATHIS, C. LE PONCIN-LAFITTE, J. SALMON (2011) publié dans la revue Icarus de décembre 2011, vol. 216, p. 535-550
(pour une version électronique
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voir aussi : Le secret des anneaux de Saturne (8 juin 2010)
Soucoupes volantes autour de Saturne (7 décembre 2007)


Rédaction: S. Mathis, S. Charnoz, J.M. Bonnet-Bidaud