Les données du grand sondage cosmique CFHTLS rendues publiques
Des astronomes français et canadiens viennent de rendre publique la version finale du grand sondage cosmique du Télescope Canada-France-Hawaii (CFHTLS), un projet d'imagerie multi-couleur unique explorant un volume extrêmement large de l'Univers, et collectant des dizaines de millions de galaxies dont certaines sont distantes de plus de 9 milliards d'années lumière, représentant une véritable mine d'or pour la recherche astrophysique des années à venir. Cette collection remarquable de données, réalisée grâce à la caméra MegaCam construite au CEA, représente une réalisation remarquable du CFHT, inspirant déjà d'autres observatoires à travers le monde. De très nombreux résultats scientifiques ont déjà été publiés sur la base de ces images, incluant la cartographie de la mystérieuse matière sombre à une échelle inédite mais aussi des premières mesures de haute précision des propriétés de la toute aussi mystérieuse énergie sombre.
Les observations du grand relevé CFHTLS ont débuté en 2003 et se sont conclues en 2009. Trois années supplémentaires ont néanmoins été nécessaires pour calibrer avec précision l'énorme volume de données homogènes de haute qualité, plus de 15 000 images obtenues dans cinq canaux couvrant le domaine optique, du bleu au rouge, en incluant le proche ultra-violet et le proche infra-rouge. Les données ont révélé quelques 38 millions d'objets, la plupart étant des galaxies lointaines à divers stages d'évolution, sur une surface de ciel combinée de 155 degrés carrés (800 fois la surface de la pleine Lune telle que perçue dans le ciel).
Le grand sondage cosmique CFHTLS en bref
- Durée 6 ans (2003-2009)
- Surface du ciel couverte 155 degrés carrés (800 pleine lune)
- 38 millions d'objets mesurés
- 500 supernovae étudiées
- Caméra MegaCam de 340 millions de pixels
- Magnitude limite 27 (200 millions plus faible que l'oeil humain)
- 15 000 images individuelles
- Taille numérique moyenne d'une image 1 000 Megaoctets
- Taille du sondage complet 13 Terapixels (treize mille milliards de pixels)
– Visionner le film d'animation sur la caméra MegaCam
Energie sombre et matière sombre
Le but scientifique principal du CFHTLS était de mesurer précisément l’éclat de plusieurs centaines explosions d’étoiles, dites supernovae de type Ia, afin de mieux comprendre la nature de l'énergie sombre. La matière sombre et l'énergie sombre dominent l'Univers mais ni l'une ni l'autre ne peut être ni vue ou identifiée. Les astronomes peuvent en revanche mesurer les effets de l'énergie sombre sur le taux d'expansion du cosmos; à l'inverse de la force gravitationnelle, la force liée à l'énergie sombre augmente avec l'expansion. Afin de mesurer cet effet sur l'Univers jeune, les astronomes utilisent les supernovae de type Ia qui sont d'excellents indicateurs de distance pour mesurer l’éloignement des galaxies. Sur la base des images du CFHTLS collectées entre 2003 et 2009, l'équipe SNLS a détecté et suivi près de 500 supernovae de type Ia et analysé les images de plus de 10 millions de galaxies. Les résultats amènent une meilleure compréhension de l'Univers ainsi que la détermination de paramètres cosmologiques à un niveau de précision inégalé.
Le second but scientifique principal consistait à cartographier la mystérieuse matière sombre à une échelle inédite. Cela requiert la combinaison cruciale d'observations profondes de l'Univers sur de grands régions du ciel et le développement de méthodes avancées d'analyse des données. Il est à présent connu que les galaxies s'accumulent en de grandes structures s'étendant sur des milliards d'années lumière. La déformation des images de galaxies ou cisaillement gravitationnel est causée par ces grandes structures de l'Univers et est une manifestation faible du phénomène de distorsion gravitationnelle de la lumière, une prédiction de la théorie de la relativité d'Einstein. Cet effet de “lentille gravitationnelle” a été découvert pour la première fois au CFHT par une équipe française en 2000 et l’étude de ce phénomène à grande échelle au CFHT est donc la succession logique de cette découverte. Au sein du CFHTLS, des astronomes du monde entier se sont impliqués dans le consortium CFHTLenS afin de mieux contraindre la géométrie de l'Univers et d'anticiper comment il évoluera dans le futur.
« Le CFHTLS est déjà à la base de très nombreux travaux publiés et il est à ce point le résultat le plus cité de toute l'histoire du CFHT« , dit Raymond Carlberg, professeur et chercheur à l'Université de Toronto.
Une camera unique au monde pour un relevé cosmologique sans précédent
Le sondage du CFHTLS repose sur l’instrument MegaCam, un appareil numérique de pointe de 340 millions de pixels, le plus grand du monde à sa mise en service, conçu par le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA Saclay), sous la direction scientifique du Service d'Astrophysique. Couplée au miroir de 3.6m de diamètre du télescope CFHT, situé au sommet du Mauna Kea à Hawaii, MegaCam saisit en une seule prise un champ d’un degré carré à un niveau de détail saisissant.
Le relevé a fourni quatre champs MegaCam ultra-profonds atteignant la magnitude limite de 27 dans le rouge pour des galaxies lointaines, soit environ 200 millions de fois plus faible que ce que l'oeil peut percevoir sans assistance technique. Le sondage a également produit une série de grands panoramas du ciel composés de 171 pointés MegaCam profonds, qui en raison des recouvrements entre les champs adjacents, couvre un total de 155 degrés carrés distribués sur quatre régions indépendantes dans le ciel de l'hémisphere nord.
Le relevé incluait initialement une composante axée un autre sujet majeur de l'astrophysique contemporaine : la ceinture de Kuiper. Cette collecte d'un échantillon sans précédent de la population du système solaire au delà de Neptune a été menée à bien jusqu’en 2005. Le programme (CFEPS) a par la suite continué sous une allocation de temps de télescope différente et a finalement apporté la détermination précise de l'orbite de près de 200 objets de la ceinture de Kuiper. Cet échantillon est utilisé pour tester des modèles de formation du système solaire.
Le relevé complet est composé de 15 000 images MegaCam individuelles, chacune d'entre elle représentant près d'un gigaoctet. Le volume considérable de données, généré au télescope au fil des ans, a été traité à « Terapix », un centre spécialisé basé en France dont la mission première était la caractérisation et l'optimisation de l'ensemble des images calibrées par le CFHT.
« Ces chiffres sont remarquables quand on considère que nous capturons au final qu'une fraction relativement réduite de l'ensemble du ciel, mais à une extrême profondeur. » fait remarquer l'astronome Jean-Charles Cuillandre du CFHT, specialiste de MegaCam et du CFHTLS.
La mission de Terapix était de délivrer un ensemble de produits affinés pour les besoins des communautés scientifiques, une tâche à présent accomplie. Tout et toute astronome à travers le monde peut désormais accéder aux données via un centre spécialisé d'archivage de données astronomiques situé au Canada (Canadian Astronomy Data Centre, CADC). Enfin, en adaptant le CFHTLS pour l'Observatoire Virtuel, l'ensemble des catalogues de sources astronomiques est disponible au Centre de Données Astronomiques de Strasbourg (CDS) via l’interface VizieR. Le relevé peut également être exploré visuellement à travers l’atlas virtuel du ciel du CDS, Aladin.
A présent que les données optimisées du CFHTLS ont été rendues publiques, quiconque peut même tenir des régions de l'Univers lointain dans la paume de sa main (via iPhone, iPad, etc.). Grâce à des logiciels de type Google Maps, un utilisateur peut ainsi explorer les énormes images du CFHTLS. C’est l’équivalent pour une œuvre d’art de s'approcher d'un Monet pour étudier les coups de pinceau puis de reculer pour apprécier la peinture dans son ensemble.
L'héritage
« Nous n'en avons pas encore fini avec la science du CFHTLS ! » s'exclame Hervé Aussel du laboratoire Sap-AIM (CEA-CNRS-Paris-7) à Saclay. « C'est bien là le sens du mot héritage. Il y a de nouveaux programmes de recherche qui commencent à utiliser les données du relevé, le complétant par de nouvelles observations. Par exemple, une équipe traquant les quasars les plus distants de l'Univers dans le CFHTLS ajoute en ce moment une composante infrarouge (CFHQSIR).«
« Sans le CFHTLS, nos connaissances n'auraient pas avancé aussi rapidement » complète Raymond Carlberg. « Résoudre les défis scientifiques a amené les diverses équipes à explorer de nouvelles méthodes de traitement et de calibration des données astronomiques: cela perdurera comme un héritage important dont de nombreux futurs relevés vont s'inspirer.«
Aussel approuve. « Le CFHTLS est un véritable succès« , note-t-il, ajoutant qu'en 2009 le CNRS a récompensé par des médailles d'argent deux scientifiques pour leurs travaux liés au CFHTLS: une à Pierre Astier (IN2P3/CNRS) pour la science des supernovae, et l’autre à Yannick Mellier (Institut d'Astrophysique de Paris) pour l'optique gravitationnelle.
« L'héritage n'est pas limité aux suivis du CFHTLS« , remarque Mellier qui mène le Consortium Euclid contribuant à la mission du même nom de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), un télescope spatial équipé de caméras conçues pour mesurer précisément l'énergie sombre et nous éclairer sur sa nature. Il ajoute: « MegaCam et le CFHTLS ont véritablement ouvert la voie pour la mission spatiale Euclid tant sur l'aspect scientifique que technique. »
Des résultats scientifiques majeurs issus du sondage CFHTLS
Au delà des objectifs cosmologiques des relevés de supernovae et des lentilles gravitationnelles, de nombreux résultats scientifiques majeurs ont été déjà produits à partir du CFHTLS :
– Le sondage d'imagerie profonde et de large champ a révélé 1200 candidats amas de galaxies de masses variées, augmentant ainsi de façon significative le nombre connu de ces amas à grand décalages vers le rouge, un progrès très important pour la mesure des paramètres cosmologiques. Adami et al., 2010, (voir l'article), Duret et al. ,2011 (voir l'article).
– L'analyse du regroupement en amas de 3 millions de galaxies du sondage cosmique profond dans quatre champs indépendants a permis la mesure la plus précise de la masse des halos de matière noire au sein desquels ces galaxies existent. L'étude a démontré une masse préférentielle de halo pour que la formation d'étoile soit efficace et la variation de cette masse au cours du temps cosmique. Coupon et al., 2012, (voir l'article).
– Grâce à la grande précision de la photométrie de MegaCam, le sondage de supernovae CFHTLS a permis d'entreprendre la mesure du taux de supernovae à différents âges cosmiques. Ceci devrait aussi fournir une mesure du taux de formation d'étoiles dans de très grands volumes d'espace incluant un grand nombre de galaxies. Bazin et al. , 2009, (voir l'article).
– Le sondage des fortes lentilles gravitationnelles à récemment fourni une compilation de 127 candidats lentilles dans les 155 degrés carrés du sondage grand champ CFHTLS permettant l'étude détaillées des distorsions géométriques de l'effet de lentille. Ces résultats offrent des indications sur la façon dont la matière, en particulier la matière noire, se distribue dans les halos. More et al., 2011, (voir l'article).
– L'excellente qualité des images du CFHTLS a permis aux chercheurs d'identifier un grand nombre de collisions de galaxies, notamment par la détection de ponts et de queues de matière. L'étude de quelques 1600 galaxies en collision a révélé que la fraction visible des collisions et fusions de galaxies évolue au cours du temps et également que la formation d'étoiles est déclenchée dans toutes les phases de la fusion, mais est plus forte dans les derniers stades. Bridge et al., 2010, (voir l'article).
Contact : Hervé AUSSEL
voir – le communiqué de presse CEA (26 ocobre 2012)
– le comuniqué de presse CFHT (26 octobre 2012, en anglais)
Publication :
« T0007 : The Final CFHTLS Release«
P. Hudelot [1], Y. Goranova [1], Y. Mellier [1], H. Joy McCracken [1], F. Magnard [1], M. Monnerville [1], G. Sémah [1], J.-C. Cuillandre [2], K. Withington [2], N. Regnault [3], M. Betoule [3], M. Schultheis [4], H. Aussel [5] (voir l'article PDF)
[1] Terapix – Institut d’Astrophysique de Paris
[2] Canada-France-Hawaii Telescope Corporation
[3] LPNHE, CNRS-IN2P3 and Universités Paris 6 & 7
[4] Observatoire de Besançon
[5] Service d'Astrophysique-AIM (CEA CNRS, Saclay)