04 novembre 2004
Fontaine céleste
Découverte d'une source de rayons cosmiques

Pour la première fois, des astrophysiciens ont obtenu la preuve que le reste d'une explosion d'étoile est bien à la source d'une partie du rayonnement cosmique, un flot de particules accélérées à de très hautes vitesses qui circulent dans notre Galaxie. Ce résultat a été obtenu grâce à la première image en rayons gamma de très haute énergie (supérieure au Tera-électronvolt [1]) du reste d'explosion baptisé G347.3-0.5. L'image a été réalisée par l'expérience H.E.S.S. (pour  "Système Stéréoscopique à Haute Energie"), un réseau de 4 télescopes de 12 m de diamètre situé en Namibie et conçu par un large consortium international [3], incluant le DAPNIA-SAP. Elle fait l'objet d'une publication dans la revue Nature du 4 novembre 2004. Cette découverte vient confirmer de façon spectaculaire les conclusions similaires auxquelles étaient parvenues, en juillet dernier, une équipe du Service d'Astrophysique du CEA-DAPNIA en étudiant l'image en rayons X de G347.3-0.5. L'explosion de l'étoile est maintenant datée de moins de 2000 ans et  coïnciderait avec l'apparition  d'une étoile nouvelle (supernova), observée par des astronomes chinois en l'an 339.
 

 

Des particules d'origine inconnue

En 1913, le physicien autrichien Victor Hess découvre l'existence du "rayonnement cosmique". En effectuant des vols en ballon à différentes altitudes, il constate en effet qu'un étrange "rayonnement" est capable d'électriser des feuilles métalliques et que cet effet augmente en efficacité avec l'altitude, prouvant que la source est bien "cosmique", située au-delà de l'atmosphère.
Depuis cette découverte, on sait aujourd'hui que ce "rayonnement" est en réalité constitué de particules, principalement protons et électrons, accélérées à des vitesses proches de celle de la lumière dans la Galaxie. L'énergie des particules du rayonnement cosmique peut atteindre jusqu'à 1021 électronvolt [1] mais la source réelle de ces puissantes particules qui circulent dans toute la Galaxie est toujours une énigme.

 
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Victor Hess(1883-1964)

On pense actuellement que la majorité des rayons cosmiques, au moins jusqu’à des énergies de l’ordre de 3 1015 eV,  peut être produite dans des chocs présents dans le reste des "supernovae", ces explosions d'étoiles qui éjectent dans l'espace une grande quantité de matière. Pourtant l'explosion elle même ne permet pas d'atteindre  de telles énergies. Il faut pour cela l'existence d'un processus bien particulier, dit "accélération de Fermi", dans la bulle de gaz chaud éjectée lors de l'explosion. Dans cette théorie de l’accélération proposée il y a plus de 25 ans, les particules du gaz sont soumises à un véritable "ping-pong" cosmique. La matière éjectée  en expansion entre en effet en collision avec le gaz environnant, créant des chocs, inhomogénéités de pression et de densité, sur lesquels viennent se réfléchir les particules à de nombreuses reprises, gagnant à chaque fois une impulsion supplémentaire, comme la balle de ping-pong renvoyée par la raquette. Cette théorie n'avait pour l'instant reçu que des confirmations indirectes.
 

Une image à très haute énergie


Le réseau de télescopes H.E.S.S. a pu obtenir pour la première fois en août 2003 une carte du reste de supernova, G347.3-0.5 (également RX J1713.7-3946) en lumière gamma de très hautes énergies, entre 0.8 et 10 Tera-électronvolt (TeV). Ces rayons gamma ne parviennent pas directement sur Terre car ils sont arrêtés par l'atmosphère mais ils sont tellement puissants qu'ils déclenchent dans la haute atmosphère de très brèves gerbes lumineuses qui permettent aux télescopes de H.E.S.S. de reconstituer leur direction avec une précision d'environ une minute d'arc (soit environ trente fois moins que le diamètre du Soleil). Il s'agit de la première carte du reste d'une explosion d'étoiles obtenue à de telles énergies.

 
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La carte des rayons gamma de très haute énergie (0.8-10 TeV) provenant du reste d'explosion d'étoile G347.3+0.5 obtenue par le réseau de télescopes H.E.S.S.. Les couleurs représentent le nombre de rayons gamma selon l'échelle donnée à droite. Les contours superposés en traits noirs représentent l'intensité de l'émission en rayons X obtenu par le satellite japonais ASCA. La coïncidence des deux émissions démontre qu'elles sont produites par les mêmes particules, accélérées à des énergies supérieures à 100 TeV (1014 eV). (Crédits HESS/CNRS) (cliquer sur l'image pour l'agrandir).

L'image correspondant à 26 heures d'observation révèle avec précision la répartition des rayons gamma provenant du reste G347.3-0.5, situé dans la constellation du Scorpion, à une distance d'environ 3000 années-lumière de la Terre. Elle suit assez fidèlement la répartition de l'émission observée à plus basse énergie, en rayons X, prouvant que les photons de très haute énergie proviennent bien du reste de l'explosion.
L'existence de ces rayons gamma d'énergie  jusqu'à 10 TeV apportent une preuve directe de l'accélération de particules à de très hautes énergies. En effet, pour produire une telle énergie, les seuls mécanismes possibles nécessitent des particules accélérées au moins jusqu'à 100 TeV : soit des électrons entrant en collision avec la lumière infrarouge et visible de l'explosion, soit des protons interagissant avec le matériel dense des nuages de gaz.

Une des sources du rayonnement cosmique

 Jusqu'ici seuls des indices indirects existaient pour démontrer que les restes d'explosions d'étoiles pouvaient être à la source des particules de haute énergie du rayonnement cosmique. Le premier est d’ordre énergétique : il suffit de d'environ 10 % de l’énergie cinétique des supernovae pour maintenir la population des rayons cosmiques galactiques. Il n’existe pas d’autres sources connues qui puissent facilement fournir une telle énergie. Le second argument provient de l'observation: l’émission radio dite"synchrotron", en coquille dans les restes de supernovae démontre l’existence d’électrons accélérés jusqu’à des énergies de quelques Giga-électronvolt (109 eV). Cependant le domaine radio ne permet pas de mettre en évidence l’accélération de particules à des énergies plus élevées, observées dans les rayons cosmiques et prédites par la théorie.


La première preuve indirecte d'électrons accélérés à des énergies de l'ordre de quelques TeV (1012 eV) dans des restes de supernova a été obtenue en rayons X dans trois restes de supernova (SN 1006, RX J0852.0-4622 et G347.3-0.5). Les rayons X peuvent en effet être produits lorsque des électrons accélérés interagissent avec le champ magnétique du reste de supernova.  En juillet 2004, une équipe du Service d'Astrophysique, menée par Gamil Cassam-Chenaï, a ainsi obtenu l'image la plus détaillée du reste G347.3-0.5, grâce au satellite ESA/XMM-Newton.  Le satellite a observé la majeure partie de cet objet étendu (55 x 65 minutes d'arc) en 5 observations de 4 heures chacune, centrées sur différentes positions. Il a permis de fournir la cartographie globale la plus détaillée de son émission en rayons X (avec une résolution spatiale d'environ 0.1 minute d'arc).

 
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La carte de l'émission en rayons X (de 0.5 à 2 keV) du reste d'explosion d'étoile G347.3+0.5, obtenue par le satellite XMM-Newton. La distribution en énergie des rayons X permet de démontrer que l'ensemble de l'émission est produite par des electrons accélérés, d'énergie supérieure à 1012 eV (TeV). Crédit CEA/Sap

La mesure de la densité du gaz dans la bulle chaude a permis de déterminer que l'étoile qui a explosé avait une masse environ 12 à 16 fois celle du Soleil. L'étude a aussi mis en évidence l'interaction de G347.3-0.5 avec des nuages denses de gaz d'hydrogène moléculaire, situés à une distance d'environ 3 000 années-lumière, ce qui a ainsi permis d'établir la distance du site de l'explosion et son âge. G347.3-0.5 est ainsi un des plus jeunes restes de supernova connus, dont l'explosion remonterait à moins de 2000 ans.  Grâce à ces observations, il est maintenant devenu très probable que l'explosion de l'étoile qui s'est traduite dans le ciel par l'apparition fugitive d'une étoile nouvelle (supernova) coïncide avec le phénomène observé et décrit par des astronomes chinois en l'an 393 (voir "l'étoile invitée de l'an 393").
Ces observations ont principalement montré que l'ensemble de l'émission en rayons X ne provient pas d'un gaz chaud mais est entièrement dominée par le rayonnement d'électrons accélérés jusqu'aux énergies du TeV (1012 eV), anticipant ainsi les résultats plus directs qui viennent d'être obtenus par HESS. Les électrons ne représentant que 2 % des rayons cosmiques, il est maintenant essentiel de démontrer que les protons sont également accélérés jusqu'à quelques 1015 eV.
De nombreux points  restent en discussion. L'émission gamma de haute énergie provient-elle de l'interaction des électrons ou des protons accélérés?   Est ce une combinaison des deux ? Pour répondre à cette question, G347.3-0.5 continue d'être observé par XMM-Newton et HESS afin d'obtenir une information encore plus  précise de ce spectaculaire reste d'explosion d'étoile, source de rayonnement cosmique.

 

Contacts :  (HESS)
                 , (XMM) 

 

Publications :

"High-energy particle acceleration in the shell of a supernova remnant"
Collaboration H.E.S.S, publié dans Nature, 4 novembre 2004.  (version électronique:  fichierPDF 188Ko)
 

"XMM-Newton observation of the supernova remnant RX J1713.7-3946 and its central source"
G. Cassam-Chenaï, A. Decourchelle, J. Ballet, J.L. Sauvageot, G. Dubner, E. Giacani,
publié dans Astronomy & Astrophysics. 2004 A&A volume 427, p. 199  (voir aussi
astro-ph/0407333)

voir aussi : 

Le communiqué de presse CNRS / CEA  (4 novembre 2004)
   

pour en savoir plus:


Notes
[1] Electron-volt. L'énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en "électron-volt (eV)". Cette unité correspond à l'énergie communiquée à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à  1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d'environ 2 eV, les rayons X  de 0.1 à 511 kilo-électronvolt (keV). Le domaine des rayons gamma et des rayons cosmiques se situe au-delà de cette limite. Ils se mesurent en MeV (millions d'électron-volt 106eV), GeV (giga ou milliards 109eV), TeV (tera ou mille milliards 1012eV), PeV (pera ou million de milliards 1015eV), EeV (exa ou milliard de milliards 1018eV), ZeV (zetta ou mille milliard de milliards 1021eV), etc.....
[2] H.E.S.S , acronyme de "High Energy Stereoscopic System", est également le nom d'un célèbre physicien autrichien, Victor Hess (1883-1964), lauréat du prix Nobel de physique en 1936 pour la découverte du rayonnement cosmique.
[3]La collaboration H.E.S.S est essentiellement franco-allemande, avec des contributions moindres de laboratoires anglais, namibiens, sud-africains, tchèques, irlandais et arméniens. En Allemagne, participent le MPIK de Heidelberg, les universités de Berlin, Bochum, Hamburg, Kiel et Landersternwarte de Heidelberg. En France, la participation de l'IN2P3 comprend le LLR (Palaiseau), le PCC (Collège de France), le LPNHE (Paris VI-VII) et le GAM (Montpellier). Les autres laboratoires français impliqués sont le DAPNIA (SAp et SPP), le CESR (Toulouse), le LAOG (Grenoble) et l'Observatoire de Paris.
[5]L'expérience H.E.S.S est constituée de quatre télescopes de 12 mètres de diamètre et de 15 mètres de distance focale, réparties aux coins d'un carré d 120 mètres de coté. Les miroirs sont formés d'une mosaïque de 380 petits miroirs sphériques de 60 cm de diamètre, chacun étant équipés de vérins assurant un réglage rapide et précis de l'optique. Chaque télescope est équipé en son foyer d'une caméra électronique composée de 960 tubes photomultiplicateurs, couvrant un champ de vue de 5 degrés et dont le temps de réponse est de l'ordre de la nanoseconde. La sensibilité atteinte est 10 fois supérieure aux expériences précédentes (WHIPPLEHEGRA, CAT) pour un seuil en énergie de 100 GeV. L'expérience H.E.S.S est située en NAMIBIE, sur le plateau du Gambergs (latitude 23° 16' sud, longitude 16° 30' est) à une altitude de 1800 m.
 

Rédaction: Anne Decourchelle  et Jean-Marc Bonnet-Bidaud

 
#1089 - Màj : 04/11/2004

 

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