09 février 2006
Bombardement cosmique
Récente accélération de particules cosmiques dans la Galaxie

Une équipe internationale, incluant des chercheurs du CEA-DAPNIA,  vient de découvrir une émission diffuse de photons gamma de très haute énergie (>100 GeV [1]) dans les régions centrales de la Galaxie grâce aux  télescopes H.E.S.S (High Energy Stereoscopic Sytem, système stéréoscopique de haute énergie), un réseau de 4 antennes de 13m de diamètre situé en Namibie. Cette émission de haute énergie correspond très exactement à la position de nuages denses d'une masse totale de plus de 50 millions de fois la masse du Soleil. Selon les chercheurs, elle résulte d'un bombardement de ces nuages par des particules accélérées depuis moins de 10 000 ans. C'est la première fois qu'une source récente de particules énergétiques est ainsi découverte. Elles pourraient provenir du trou noir massif du centre de la Galaxie ou d'une explosion d'étoile dans un voisinage proche. Ces résultats font l'objet d'une publication dans la revue Nature datée du 9 février 2006.

Projectibles, cibles et rayons gamma

L'origine des rayons cosmiques, particules énergétiques voyageant à travers la Galaxie à des vitesses proches de celle de la lumière n'est toujours pas élucidée. Il est généralement admis qu'elles acquièrent leur très grande énergie grâce aux ondes de chocs générées lors d'explosions d'étoiles (supernovae). Leur collision avec le gaz interstellaire produit un rayonnement gamma de haute énergie (E> 100 Mev) qui permet de les localiser. Pour la première fois, l'expérience H.E.S.S. permet de détecter des émissions très faibles avec une bonne résolution angulaire (0,1 degré, soit le cinquième du diamètre solaire). La carte du centre de la Galaxie a révélé ainsi l'existence d'une émission diffuse masquée jusqu'ici par l'existence de plusieurs sources brillantes.

 
Bombardement cosmique

Image des régions centrales de la Galaxie obtenue par H.E.S.S. A gauche, l'image brute montre la présence de deux objets brillants répertoriés, le reste de supernova G0.9+0.1 (cercle jaune) et la source HESS J1745-290, source compatible avec la position de SgrA* (croix noire), le trou noir supermassif situé au centre de la Galaxie, et avec celle du vestige de supernova Sgr A East. Les ellipses vertes désignent la position de deux sources non encore identifiées. A droite, la même image après la soustraction des 2 sources brillantes. Une émission résiduelle le long du plan galactique est dévoilée. Elle coïncide avec un nuage moléculaire géant (tracé blanc). Cette image a été obtenue dans la bande d'énergie 380-20000 GeV et est le résultat d'une pose équivalente à 55 heures d'observation. Cette carte est représentée en en coordonnées galactiques (centre dynamique de la Galaxie à la position (0,0)). (cliquer pour agrandir).

Découverte d'une population de particules récemment accélérées

Les observations obtenues par H.E.S.S. montrent que la morphologie de l'émission gamma, répartie sur deux degrés le long du plan galactique est très similaire à celle de nuages moléculaires géants [2], de 50 millions de fois la masse du Soleil et de dimension de plus de 600 années-lumière, situés à la même position sur la voûte céleste. Ces nuages sont des fabriques naturelles de photons de haute énergie car cibles idéales pour le rayonnement cosmique. Mais l'intensité du rayonnement observé par HESS est dix fois plus importante que celle prédite pour le flot moyen de particules cosmiques réparties dans la Galaxie et la distribution en énergie est également très particulière. Selon les chercheurs, ces caractéristiques indiquent une source récente de particules.

 
Bombardement cosmique

A gauche :Image du haut: superposition de l'émission gamma de très haute énergie observée par H.E.S.S. (en bleu) avec les contours identifiant le nuage moléculaire (tracé vert). Une claire corrélation apparaît entre les deux émissions. Celle ci est encore plus nette lorsque l'on somme le signal contenu dans des tranches de 0.25 degré en longitude : l'émission du nuage et l'intensité du signal gamma présentent un maximum à la même position (image du bas). L'échelle horizontale est exprimée en degré de latitude galactique (cliquer sur la figure pour agrandir).
A droite :La distribution en énergie observée par H.E.S.S. (points bleus) diffère sensiblement (en intensité et pente) de celui attendu si la composition et le flux des particules étaient les mêmes que ceux observés dans le système solaire (région grisée). Est également indiqué sur cette figure le spectre de la source HESS J1745-290, objet coïncidant en position avec le centre dynamique de la Galaxie (cliquer pour agrandir).

Nature des particules et moteur responsable de l'accélération

L'énergie nécessaire pour accélérer ce surplus de particules est de l'ordre de 1050 erg. Cette valeur est proche de celle libérée lors de l'explosion d'une supernova (1051 erg) si l'on applique un facteur d'efficacité de 10%.   Les particules se propageant dans le nuage, l'étendue sur le ciel de l'émission gamma observée permet de dater l'explosion à 10 000 ans environ, sinon les régions les plus externes du nuage seraient déjà illuminées par les particules. La similitude de la distribution en énergie (spectre) de l'émission diffuse et de celle de la source située près du centre de la Galaxie (HESS J1745-290, voir figure ci-dessus) suggère une possible association. Si cet objet est la contrepartie haute énergie du trou noir central de la Galaxie, l'émission observée par HESS signerait alors un soudain regain d'activité récente du trou noir. Mais la présence du vestige de supernova SNR Sgr A East dont la position est également compatible avec HESS J1745-290 et dont l'age est estimé à 10000 ans est également une autre possibilité. La nature exacte des particules accélérées (protons ou électrons) n'est pas totalement établie. Mais selon les auteurs, l'absence dans cette région de rayons X naturellement produits par les électrons, plaide très fortement pour des protons et des noyaux. Quelque soit la source responsable de l'émission de très haute énergie découverte par H.E.S.S., c'est la première fois qu'un épisode récent d'accélération très efficace de particules cosmiques est directement mis en évidence dans la Galaxie.

 

Contact :  

voir :       

 Le communiqué de presse commun CEA/CNRS, (9 février 2006)

Publications :

"Discovery of Very-High-Energy gamma-rays from the Galactic Centre Ridge" F. Aharonian et al, collaboration HESSNature, 9 février 2006, vol 439, p. 695 (télécharger ce document, fichier pdf - 380 Ko)


 

 

voir aussi : - Accélérateur cosmique. (7 juillet 2005)
  - Photographie gamma de la Voie lactée. (7 juillet 2005)
  - Les gamma illuminent la matière noire. (24 février 2005)
  - Fontaine céleste. (4 novembre 2004)
  - Éclairs bleus du ciel gamma. (28 septembre 2004)

 

pour en savoir plus:  
Le site HESS du Service d'Astrophysique du CEA-DAPNIA
 
Le site officiel de l'expérience H.E.S.S (en anglais)
 

Notes :
[1] Electron-volt. L'énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en "électron-volt (eV)". Cette unité correspond à l'énergie communiquée à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à  1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d'environ 2 eV, les rayons X  de 0.1 à 511 kilo-electronvolt (keV). Le domaine des rayons gamma se situe au-delà de cette limite. Ils se mesurent en MeV (millions d'électron-volt 106eV), GeV (giga ou milliards 109eV), TeV (tera ou mille milliards 1012eV), etc.....
L'expérience H.E.S.S. est sensible aux photons d'énergie supérieure à 100 GeV.
[2] Nuage moléculaire. Les nuages moléculaires sont des nébuleuses interstellaires principalement constituées d'hydrogène moléculaire (H2) et dans une moindre proportion d'autres molécules comme le monoxyde de carbone (CO). Ils représentent une fraction importante, jusqu'à 50 %, de la masse de gaz total de la Galaxie et sont le site privilégié de formations d'étoiles.

 

Rédaction: Christian Gouiffès

 

 
#1184 - Màj : 09/02/2006

 

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