24 février 2005
Les gamma illuminent la matière noire
Découverte de nuages sombres dans la Galaxie

De vastes nuages de gaz sombre contenant des centaines de milliers de fois la masse du Soleil, étaient restés invisibles jusqu'ici. C'est ce que vient de révéler une étude menée par une équipe de chercheurs du Service d'Astrophysique (SAp) du CEA-DAPNIA, de l'Université Paris-7 et du CNRS (Ganil), publiée dans la revue Science du 25 février 2005. Les scientifiques sont arrivés à cette conclusion en analysant la répartition des rayons gamma et infrarouges produits dans la Galaxie. Les rayons gamma, particules de lumière d'une énergie supérieure à cent millions de fois celle de la lumière visible, révèlent de larges régions proches du Soleil contenant un gaz froid qui pourrait contribuer notablement à la matière noire activement recherchée dans l'ensemble de la Galaxie.

 

Du gaz invisible au voisinage du Soleil

Notre Galaxie est un grand disque constitué d'étoiles et de gaz, majoritairement de l'hydrogène. Les étoiles qui émettent de la lumière sont facilement visibles Mais comment découvrir la répartition du gaz d'hydrogène qui est souvent à très basses températures et émet très peu de lumière ? Les astrophysiciens emploient couramment plusieurs méthodes selon la nature exacte du gaz. Lorsque l'hydrogène est sous forme d'atomes isolés, il peut être décelé par une émission d'ondes radio caractéristiques à la longueur d'onde très précise de 21 centimètres. Lorsque l'hydrogène est au contraire sous forme de molécules dites H2 (groupant deux atomes d'hydrogène) au sein de nuages froids plus denses, il est alors difficilement détectable directement. Mais il est mélangé dans des proportions relativement connues aux molécules de monoxyde de carbone (CO) qui émettent un rayonnement caractéristique à la longueur d'onde de 2,6 millimètres. Ces deux méthodes avaient jusqu'ici permis d'établir des cartes précises de la répartition du gaz dans la Galaxie.

 
Les gamma illuminent la matière noire

Figure 1. Carte de la répartition de l'hydrogène atomique dans la Galaxie. La quantité d'hydrogène atomique est représentée selon une échelle de couleurs, croissante du bleu au rouge. L'ensemble du ciel est représenté en coordonnées dites "galactiques" dans lesquelles le disque de la Galaxie est vue par la tranche. La partie centrale de ce disque correspond a la bande bleu horizontale dont la contribution a été soustraite Crédits CEA/SAp (cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Les gamma illuminent la matière noire

Figure 2. Carte de la répartition du gaz sombre aux environs du Soleil, déduite de l'émission de rayons gamma. La masse totale de ce gaz dont l'existence était jusqu'ici ignorée, correspond à environ 180 000 fois la masse du Soleil. Crédits CEA/Sap (cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Mais d'autres observations peuvent également révéler la présence de gaz, en particulier l’émission infrarouge des poussières qui sont toujours intimement mêlées au gaz et également l’émission de rayons gamma, la forme la plus énergétique de la lumière. Ces rayons gamma sont produits car la Galaxie est en permanence traversée par le "rayonnement cosmique", un flot de particules qui circulent à des vitesses proches de celle de la lumière. Lorsque ces particules ultra-rapides percutent un nuage, elles se désintègrent en produisant des rayons gamma. Elles peuvent ainsi pénétrer au plus profond et révéler les nuages les plus discrets.
C'est en suivant cette idée que l'équipe de chercheurs a analysé la carte des rayons gamma (d'énergie supérieure à 100 MeV) produite de 1991 à 2000 par l'expérience EGRET (en anglais "The Energetic Gamma Ray Experiment Telescope") à bord du satellite  CGRO-COMPTON (USA).

En confrontant cette carte avec les différentes autres sources d’information,  les scientifiques ont découvert que les rayons gamma délimitaient d’amples nuages de gaz parsemés de poussières glacées qui avaient échappé jusqu'ici à toute autre détection.  Situés au voisinage du Soleil, ils enveloppent tous les nuages connus d'hydrogène moléculaire, des célèbres nébuleuses d'Ophiuchus, du Taureau ou du Caméléon à 500 années-lumière de distance, jusqu’à la grande nébuleuse d’Orion à 1500 années-lumière (Figure 2). Ils forment un pont de matière sur 100 à 200 années-lumière entre les cœurs moléculaires denses où se forment les étoiles (Figure 3) et les réservoirs atomiques beaucoup plus diffus (Figure 1).

 

Situé à l’interface entre le gaz visible sous forme d'atomes  et de molécules,  le gaz sombre a une  masse importante, de 0.12 à 5 fois celle du gaz moléculaire visible grâce à la molécule CO. Il pourrait représenter une étape importante dans l’évolution du milieu interstellaire et dans la structuration des futurs sites de formation d’étoiles. Loin des brillantes étoiles massives, ce gaz est probablement riche en molécules H2 et très froid, tout comme les poussières qui lui sont associées (-260C, soit 13 degrés seulement au-dessus du zéro absolu). Cette basse température pourrait expliquer pourquoi il n’apparaissait pas dans les relevés établis jusqu'ici.

Pour une animation montrant la superposition du gaz sombre sur les nuages atomiques et moléculaires : ficher AVI (1.05 Mo)

 
Les gamma illuminent la matière noire

Figure 3. Carte de la répartition de l'hydrogène moléculaire dans la région proche du Soleil, déduite de l'émission des molécules CO. Crédits CEA/SAp (cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Animation montrant la répartition du gaz sombre et moléculaire proche dans les différentes directions de la Galaxie. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation (ficher mpg (2.7 Mo). Pour une version Haute résolution ( ficher mpg (4.7 Mo ). Crédits CEA/SAp

La répartition du gaz sombre (en jaune-rouge) superposé au gaz moléculaire (en bleu). Les nuages sombres enveloppent tous les cœurs moléculaires denses, même les plus petits qui n’apparaissent pas sur l’image.

 

Une piste pour la matière noire ?

Dans un rayon d'environ 1 500 années-lumière autour du Soleil, la masse totale de gaz sombre dévoilée atteint environ 180 000 fois la masse du Soleil. En extrapolant à l’ensemble de la Voie Lactée, les mesures effectuées sur les nuages proches du Soleil, la masse totale de gaz sombre est au moins équivalente à celle de tout l’hydrogène moléculaire déjà détecté. Mais les conditions de formation de ce gaz froid étant particulièrement propices dans les régions externes de la Galaxie, il pourrait contribuer encore plus largement à la matière noire baryonique tant recherchée à la périphérie de la Voie Lactée.

Pour découvrir et étudier les nuages sombres à plus grande distance du Soleil, notamment vers l’extérieur de la Voie Lactée, il faudra attendre les observations du satellite international GLAST (Gamma ray Large Area Space Telescope, Grand Télescope Spatial du Rayonnement Gamma) dont le lancement par la NASA est prévu pour mai 2007, auquel les chercheurs du Service d’Astrophysique sont étroitement associés. Offrant une sensibilité 30 fois supérieure à celle de son prédécesseur EGRET et une résolution angulaire de 10 minutes d'arc (environ un tiers du diamètre du Soleil), tout en couvrant en permanence le tiers du ciel, GLAST pourra sonder les régions reculées de la Voie Lactée et cartographier la matière interstellaire sombre ou brillante de quelques galaxies voisines.
 

Contact :  

 

Publication :

"Unveiling extensive clouds of dark gas in the solar neighborhood"
I. Grenier (1), J.M. Casandjian (1,2), R. Terrier (3)
1- Astrophysique Interactions Multi-échelles (CEA/Université Paris 7/CNRS), DSM/DAPNIA/Service d’Astrophysique, C.E.A. Saclay
2- GANIL (CEA/CNRS),  Caen
3- Astroparticules et Cosmologie (CNRS/Université Paris 7/CEA)
Science,  25 février 2005; volume 307, p. 1292.,  Télécharger l'article fichier pdf(264Ko)

Voir aussi              le communiqué de presse du CEA  (25 Février 2005)



Notes

[1] Electron-volt. L'énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en "électron-volt (eV)". Cette unité correspond à l'énergie communiquée à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à  1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d'environ 2 eV, les rayons X  de 0.1 à 511 kilo-électronvolt (keV). Le domaine des rayons gamma et des rayons cosmiques se situe au-delà de cette limite. Ils se mesurent en MeV (millions d'électron-volt 106eV), GeV (giga ou milliards 109eV), TeV (tera ou mille milliards 1012eV), PeV (pera ou million de milliards 1015eV), EeV (exa ou milliard de milliards 1018eV), ZeV (zetta ou mille milliard de milliards 1021eV), etc.....

Rédaction: I. Grenier, J.M. Bonnet-Bidaud

 
#1201 - Màj : 24/02/2005

 

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