26 novembre 2004
Le Soleil menacé
Le modèle standard du Soleil confronté aux mesures d' abondances
Disque HD97048

Le Soleil qui est l'astre le plus proche est par définition la source étalon, celle qui sert de base pour comprendre l'ensemble des étoiles. A la base de cette connaissance, le modèle standard du Soleil, ensemble d'équations qui permettent de reproduire les caractéristiques observées. Or tout récemment les abondances des éléments chimiques observées dans le Soleil, en particulier l'oxygène, le carbone et l'azote,  viennent d'être dramatiquement révisées. Dans un article publié dans la revue Physical Review Letters, des scientifiques menés par un groupe du Service d'Astrophysique du CEA-DAPNIA ont envisagé les différentes conséquences étonnantes de cette révision. Le Soleil redevient ainsi un astre plus conforme à l'enrichissement progressif de la Galaxie,  mais ses caractéristiques sont modifiées tout comme le taux de production des fameux "neutrinos". En comparant les différents modèles prenant en compte ces nouvelles données, les astrophysiciens ont pu démontrer que, pour des quantités aussi essentielles que la densité ou la vitesse du son à l'intérieur du Soleil, le désaccord s'accroit entre les mesures et les prédictions du modèle standard du Soleil.  En revanche,  le flux de neutrinos déduit des mesures de l'héliosismologie et de ces nouvelles données est en parfait accord avec les détections terrestres. Faut-il alors reconstruire le modèle du Soleil ?

 

Modèle standard et abondances

Le modèle standard du Soleil est une mise en équation du Soleil. Il est basé sur l'application de quelques lois simples de physique, la conservation de la masse, de l'énergie et sur les équations décrivant les réactions nucléaires ayant lieu en son sein, ainsi que le transport de l'énergie par la lumière et la convection. Ces équations, couplées aux mesures  directes de la luminosité ou du diamètre du Soleil, ont permis depuis plusieurs décennies de rendre compte avec une certaine fidélité des autres paramètres observés. Le modèle standard élève ainsi notre astre au rôle d'étalon, à la base de toute notre compréhension des étoiles et des galaxies. Néanmoins les mesures et modèles théoriques, de plus en plus raffinés, montrent que la situation n'est pas aussi simple. Ainsi l'abondance [1] dans le Soleil de certains éléments chimiques comme l'oxygène était jusqu'ici considérée comme beaucoup plus élevée que celle mesurée sur d'autres étoiles ou amas d'étoiles appartenant à la Galaxie ou même à des galaxies voisines comme nos deux galaxies satellites, le petit et grand nuage de Magellan. Pour expliquer cette anomalie, l'éventualité d'un enrichissement dans le passé dû à l'explosion d'une étoile qui aurait en quelque sorte nourri la nébuleuse proto-solaire en éléments lourds était avancée, mais cette intéressante  hypothèse se heurtait à la composition plus "normale" observée dans des météorites. Cette contradiction a été récemment résolue par des observations plus précises et une meilleure compréhension des mouvements de gaz dans le Soleil  qui indiquent désormais que les abondances des éléments "lourds", carbone, azote et oxygène, sont de 20 à 30% plus faibles que prévues.

fig1_c.jpg (37680 octets)

Ce graphique montre la distribution du rapport d'abondance [1] Hélium/Hydrogène en fonction du rapport Oxygène/Hydrogène pour différents types d'objets comme les nuages de Magellan, des régions HII ou encore les nébuleuses diffuses M17 et M42. La diminution de l'abondance de l'oxygène du Soleil modifie sensiblement sa position sur ce graphique (pastilles rouges) et lui ôte ainsi ce qui était interprété comme une singularité (cliquer pour agrandir). Crédits CEA/SAp.

 

Modèles et mesures sismiques

Ce changement de composition a un impact important sur le fonctionnement du Soleil. Un partie des réactions nucléaires de fusion de l'hydrogène qui produit l'énergie du Soleil est en effet produite selon un cycle dit  CNO (Carbone-Azote-Oxygène) où interviennent les éléments chimiques dont les abondances viennent d'être révisées. Le bilan énergétique est ainsi légèrement modifié mais surtout la nouvelle composition chimique modifie les coefficients d'opacité, faculté du rayonnement à traverser les différentes couches internes. Elle bouleverse ainsi les propriétés des diverses couches internes du Soleil, particulièrement la température dans la région la plus centrale dite "radiative". Les scientifiques ont effectué différents calculs  prenant en compte ces modifications et ont ensuite confronté leurs résultats aux informations extraites des mesures sismiques obtenues par l'héliosismologie [2], grâce à deux instruments situés sur le  satellite SoHO.

 

 

 

 

 

 

 

 

A gauche: description schématique du Soleil standard.

A droite: écart relatif du carré de la vitesse du son à l'intérieur du Soleil entre les observations de SoHO et différents modèles en fonction de la distance au centre du Soleil (échelle horizontale) . Les traits  (noir, rouge et bleu) correspondent à trois modèles standard incluant différentes estimations des nouvelles abondances en CNO; la courbe verte correspond à un modèle dit « sismique », c'est-à-dire qui reproduit au mieux les observations obtenues par les ondes acoustiques. Surperposée sur ces écarts l'incertitude des mesures sismiques, qui montre que l'écart est très significatif  (cliquer pour agrandir)

Ils ont pu ainsi comparé les mesures de la densité et de la vitesse du son à l'intérieur du Soleil aux valeurs escomptés sur la base du modèle standard du Soleil. Les résultats montrent que l'accord est loin d'être satisfaisant. Les causes de cet écart significatif entre ces modèles et les observations qui pourraient affecter toute notre compréhension des étoiles sont activement recherchées. Il pourrait provenir d'une mauvaise estimation des coefficients d'opacité qui jouent ici un rôle clé car les conditions régnant au sein du Soleil  (température, pression...) rendent difficiles leur détermination expérimentale en laboratoire.  Une expérience est actuellement programmée auprès des grands lasers de Bordeaux, la Ligne d'intégration Laser (LIL) et le futur Laser MegaJoule pour étudier cette possibilité. Les scientifiques soulignent  également d'autres pistes comme l'influence de la diffusion microscopique, de la circulation de la matière à l'intérieur même du Soleil  et du champ magnétique. Ces phénomènes existent bien dans les étoiles mais ne sont pas prise en compte pour l'instant dans le modèle standard du Soleil. Ils sont pourtant de mieux en mieux compris grâce aux mesures de SoHO (voir "La rotation de l'intérieur du Soleil" ) et sont sans doute aussi indispensables pour comprendre le cycle d'activité du Soleil.

 

Les mesures sismiques  et le flux de neutrinos décrivent  le même Soleil

Les scientifiques ont également étudié l'influence des nouvelles abondances CNO et des modifications d'opacité sur la production des neutrinos solaires. Ceux-ci sont en effet produits dans les réactions nucléaires au centre du Soleil et le flux de neutrinos attendus dans les différents détecteurs terrestres est donc affecté. En utilisant les nouvelles données, ils sont parvenus à prédire un flux de neutrinos en excellent accord avec les mesures effectuées par le détecteur de neutrinos Sudbury Neutrino Observatory (SNO) situé au Canada. Ils obtiennent également un bon accord avec les autres détecteurs, en tenant compte de l'hypothèse d'oscillations des neutrinos. Ces derniers détecteurs ne comptent en effet qu'une partie des neutrinos émis. Le modèle sismique décrit ainsi parfaitement le Soleil tel qu'il est aussi observé à travers ses neutrinos. En revanche, le modèle standard du Soleil qui prédit en particulier une température moins élevé au centre du Soleil montre de sérieuses difficultés à reproduire exactement cette production de neutrinos.

Le modèle standard solaire est-il toujours une bonne description du Soleil ou faut-il changer de description théorique ? Des ajustements conséquents semblent désormais nécessaires et l'objectif de la communauté héliosismique et des théoriciens est désormais de tenter d’estimer l’ensemble des processus de mouvement de fluides à l'intérieur du Soleil pour mieux comprendre notre étoile, bien sûr, mais également les phases précoces et finales de l'évolution stellaire. Le Soleil reste  un fabuleux laboratoire de physique.

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Publication :

"Surprising Sun: a new step towards a complete picture?"
S. Turck-Chièze, S. Couvidat, L. Piau, J. Ferguson, P. Lambert, J. Ballot, R.A. Garcia, P. Nghiem: Physical Review Letters,  novembre 2004; volume 93, 211102. Télécharger l'article fichier pdf(133Ko)

Voir aussi              le communiqué de presse du CEA

Pour en savoir plus

             Les 5 ans du satellite  Soho (01/05/2001)
             La rotation de l'intérieur du Soleil (16/09/2003)
             Le Soleil au SAp
             Soho: Voyage au centre du Soleil (01/05/2004)


Notes
[1] Abondance. L'abondance des éléments dans une étoile décrit la fraction relative de chacun d'entre eux. On exprime l'abondance en pourcentage de masse par rapport à l'hydrogène, de loin le constituant le plus important pour des étoiles comme notre Soleil. Ainsi on définit par X   le pourcentage en masse de l'hydrogène, par Y la proportion d'hélium et par Z le pourcentage des atomes plus lourds (souvent, mais abusivement, appelés métaux). On obtient ainsi la formule très simple X+Y+Z=1. Dans le cas du Soleil, l'hydrogène représente 92%, l'hélium 7.8%, le reste étant constitué des atomes de masse plus élevée. Le terme de métallicité, qui traduit la proportion relative des éléments, est fréquemment employé pour caractériser une étoile ou une galaxie.
[2] L'héliosismologie est l'étude des vibrations du Soleil qui se propagent depuis sa surface et vont se réfléchir sur les différentes couches intérieures. L'étude de ces vibrations permet donc de "voir" l'intérieur du Soleil et de mesurer certains paramètres importants comme la vitesse du son ou la vitesse de rotation.

Rédaction: Christian Gouiffès, J.M. Bonnet-Bidaud, S. Turck-Chieze

 
#1205 - Màj : 26/11/2004

 

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