07 août 2016
Gigantesque nébuleuse au sein d’un amas lointain
Découverte d’un vaste nuage d’hydrogène ionisé par deux quasars dans un amas de galaxies de l’Univers distant

Une équipe internationale menée par des chercheurs du Service d’Astrophysique/ Laboratoire AIM du CEA-Irfu a découvert une gigantesque nébuleuse de gaz ionisé, plus  de 300 000 années-lumière, au sein de l’amas de galaxies distant CL J1449+0856. Elle a été détectée à partir de l’émission d’une raie de l’hydrogène provenant d’un énorme réservoir de gaz chaud, probablement ionisé par les radiations de deux quasars lumineux de l’amas. C’est la première fois qu’une telle émission est observée dans un milieu où est également présent un plasma chaud détecté en rayons X. Les chercheurs pensent que l’interaction entre ces deux composantes gazeuses provoque une évaporation très rapide de la nébuleuse observée, ce qui implique des mécanismes très efficaces pour l’alimenter de manière continue. Cette découverte suggère aussi l’existence d’un lien physique très fort entre les nébuleuses géantes Lyman alpha et les premières étapes de l’évolution des plus grandes structures gravitationnellement liées de l’Univers. Ces travaux sont publiés par Francesco Valentino et ses collaborateurs dans la revue The Astrophysical Journal.

 

De mystérieuses sources lumineuses dans l’Univers lointain

Dans les années 90’s, des observations très profondes de l’Univers lointain ont permis de découvrir l’existence de gigantesques réservoirs d’hydrogène ionisé atteignant des dimensions de plusieurs milliers d’années-lumière, détectés à partir de leur très forte luminosité dans la raie Lyman alpha à 1215 Angströms. Cependant, en dépit d’importantes recherches, de nombreux aspects concernant ces nébuleuses géantes restent encore aujourd’hui mystérieux, comme par exemple leur origine, les mécanismes qui les alimentent, ainsi que leur évolution au cours du temps. Ces nébuleuses peuvent constituer d’importants réservoirs de gaz pour nourrir la formation de nouvelles étoiles et la croissance de trous noirs super-massifs au sein des galaxies. Elles pourraient d’ailleurs représenter une signature observationnelle des filaments cosmologiques de gaz froid que l’on pense être à l’origine de la croissance des galaxies au cours des premiers milliards d’années de l’histoire cosmique mais qui restent encore aujourd’hui indétectables. D’un autre coté, les nébuleuses « Lyman alpha » pourraient plus simplement correspondre à de la matière du milieu circum-galactique illuminée par de puissantes sources ionisantes comme des noyaux actifs de galaxie, des radiogalaxies ou des galaxies hébergeant une intense activité de formation stellaire. Curieusement, il semblerait que ces grandes nébuleuses de gaz ionisé résident généralement dans des régions plutôt denses de l’Univers, suggérant ainsi une connexion physique entre ces objets et la formation des structures à grande échelle.

 

Des nébuleuses géantes au sein de géantes structures

Afin d’apporter un éclairage nouveau sur cette problématique, et notamment sur le lien entre ces nébuleuses Lyman alpha et leur milieu environnant, l’équipe de chercheurs a observé avec les télescopes Keck de l’Observatoire d’Hawaii l’amas de galaxies CL J1449+0856. Situé à un décalage cosmologique z=2, soit à une distance de 10 Milliards d’années-lumière, cet amas avait été découvert il y a quelques années par la même équipe, et c’est l’un des amas de galaxies les plus distants connus à ce jour. Dans la présente étude, les chercheurs l’ont observé avec une technique dite d’imagerie en « bande étroite ». Ils ont utilisé la caméra LRIS munie d’un filtre à faible bande passante, centré à une longueur d’onde correspondant à la raie Lyman alpha (longueur d’onde au repos 1215 angströms)  observée à z=2 (soit à 1215*(1+z) = 3645 angströms). L’image obtenue a permis de détecter individuellement quelques galaxies en émission ou en absorption, mais elle a surtout révélé la présence d’une très forte émission diffuse, s’étalant sur plus de 300,000 années-lumière dans la région centrale de l’amas. Ses propriétés physiques ont font une nébuleuse géante « Lyman alpha » caractéristique de celles déjà connues dans l’Univers lointain, ce qui renforce donc l’idée que ces objets sont intimement liés à la formation des grandes structures comme les amas de galaxies. La taille et la luminosité de cette nébuleuse ont permis aux chercheurs d’estimer son importante masse de gaz (entre 1 et 10 milliards de fois la masse du Soleil !) et sa densité élevée en électrons (entre 1 et 10 par cm3), pour une température de 10,000 degrés Kelvin. De plus, la distribution spatiale de ce gaz coïncide avec celle du plasma intra-amas chauffé à ~10 millions de degrés, et qui a été détecté dans les rayons X par les satellites XMM-Newton et Chandra. Ces résultats révèlent donc que des réservoirs de gaz « multi-phase » existaient dès les premiers stades d’évolution des amas de galaxies, alors que l’Univers n’était âgé que de 3 milliards d’années.

 
Gigantesque nébuleuse au sein d’un amas lointain

La nébuleuse géante « Lyman alpha » détectée avec la camera LRIS des télescopes Keck (gauche), et l’amas de galaxies CL J1449+0856 observé à 1.4 microns avec l’instrument WFC3 du télescope spatial Hubble (droite). Sur chaque image, les contours de densité en bleu représentent l’émission de la nébuleuse dans la raie Lyman alpha, qui coïncide avec la région centrale de l’amas. La barre verticale (15’’) correspond à une dimension de 400,000 années-lumière à la distance de l’amas.

De nouvelles révélations sur l’évolution des nébuleuses géantes et des amas de galaxies

Les cœurs des amas de galaxies comptent parmi les environnements les plus extrêmes et les plus denses que les galaxies et le gaz intergalactique peuvent rencontrer dans l’Univers. Et ce sont ces mêmes conditions extrêmes qui sont également à l’origine de l’émission de la nébuleuse géante détectée dans l’amas CL J1449+0856. Ici cependant, les observations menées jusqu'à présent n’ont pas encore permis d’établir de manière irréfutable la source responsable de l’émission Lyman alpha : cette ionisation de l’hydrogène pourrait provenir soit de l’activité de deux quasars particuliers et très lumineux identifiés par le télescope Chandra ou par celle de l’ensemble des galaxies de l’amas.

 
Gigantesque nébuleuse au sein d’un amas lointain

Gauche : Une image trichromie de l’amas de galaxies CL J1449+0856 observé avec le télescope spatial Hubble à 0.6, 1.1 et 1.4 microns, superposée à l’émission du plasma chaud intra-amas détecté dans les rayons X avec le télescope Chandra (contours). Droite : Activité des galaxies dans la région centrale de l’amas. Pour chacune des principales sources est indiquée une estimation de la quantité de matière éjectée dans le milieu intra-amas (en masses solaires par an), pour les galaxies dominées par la formation d’étoiles (en bleu) et pour celles dominées par l’activité de leur trou noir central (en rouge).

Par ailleurs, il est probable que cette phase gazeuse d’hydrogène ionisé interagisse avec le plasma chaud du milieu intra-amas via des instabilités hydrodynamiques et des chocs. Ceci pourrait entrainer l’évaporation de la nébuleuse Lyman alpha sur des échelles de temps très rapides, soit entre 1 et 10 millions d’années. Par conséquent, le réservoir de la nébuleuse doit être alimenté de manière continue pour survivre. L’une des potentielles sources d’approvisionnement en gaz que les chercheurs ont explorée plus particulièrement est l’énorme quantité de matière que les galaxies de l’amas peuvent éjecter dans le milieu intergalactique via des vents provenant de leurs  supernovae ou de leurs noyaux actifs. En combinant des observations obtenues avec le télescope spatial Hubble, le télescope Subaru et le réseau d’antennes millimétriques ALMA, ils ont pu caractériser l’activité de formation d’étoiles de ces galaxies ainsi que l’activité liée à leur trou noir super-massif. Ils ont ainsi estimé que plus de 1000 fois la masse du Soleil était éjectée chaque année par l’ensemble des galaxies de la région centrale de l’amas, une estimation cohérente au vu de l’énergie nécessaire pour alimenter la nébuleuse Lyman alpha et la prévenir de l’évaporation.

Cette découverte souligne la très forte connexion qui existe entre les gigantesques réservoirs de gaz responsables des nébuleuses Lyman alpha et leur environnement immédiat, et démontre que cette connexion persiste même dans les conditions extrêmes que l’on rencontre dans le cœur des amas des galaxies. Les chercheurs vont maintenant observer d’autres amas montrant des caractéristiques similaires, afin de valider les hypothèses et interprétations liées à l’observation de l’amas de galaxies CL J1449+0856.

 

Contacts : Francesco Valentino

Publications :

" A giant Ly-alpha nebula in the core of an X-ray cluster at z=1.99 : implications for early energy injection "
F. Valentino et al., publié dans la revue The Astrophysical Journal
Accès à la version électronique de la publication

Voir aussi :    - Les clés de l'évolution des galaxies (Point Presse - 7 juin 2013)

 

Voir : Communication du Service d'Astrophysique

 

 

 

Rédaction : Francesco Valentino, Emeric Le Floc'h

 
#3805 - Màj : 21/09/2016

 

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