23 juin 2004
Les cercles de l'étoile disparue ...
Ou l'écho des étoiles mortes
Les cercles de l'étoile disparue ...

Figure 1 : Des anneaux dans le Grand Nuage de Magellan
Cette zone du Grand Nuage, d'environ 300 années-lumière de côté, fait apparaître plusieurs anneaux, approximativement centrés sur la position de l'explosion de la supernova 1987a (marquée par la croix jaune et SN). Certains sont visibles au milieu de l'image, en haut et à gauche de la supernova, un autre est visible sur le milieu de l'image à droite. Ce cliché a été obtenu en combinant une vingtaine d'images obtenues par Eros en 2001. La visibilité des anneaux est meilleure sur le film, où ils ressortent grâce à leur mouvement apparent. (L'échelle est fournie par la ligne horizontale jaune : environ 100 années-lumière dans le Grand Nuage.)

L'expérience Eros recherche d'éventuels objets sombres et très massifs dans notre galaxie afin d'élucider la nature de la mystérieuse « matière noire », son principal constituant. Les physiciens scrutent pour cela dans le ciel austral les deux Nuages de Magellan dont ils surveillent les étoiles quasiment une à une. Il y a quelques mois, le groupe Eros du Dapnia a remarqué un curieux phénomène : dans une zone du ciel pas plus grande qu'un quart de pleine lune, la luminosité de quelques étoiles parmi des dizaines de millions variait simultanément. Et cette étonnante variation avait lieu sur des arcs de même centre dont la taille grandissait avec le temps à une vitesse supérieure à celle de la lumière (figure 1). 
Voir le film (mpg, 5 Mo) (Windows média player recommandé) Il est vite apparu qu'il s'agissait de la « redécouverte » d'un phénomène déjà bien connu et observé, celui des « échos lumineux ». Cette appellation d'écho renvoie aux échos sonores : un son peut nous parvenir depuis sa source par un chemin direct, mais aussi par plusieurs chemins détournés, comme l'écho dans nos montagnes. Si les échos sonores nous sont familiers, nous sommes moins habitués aux échos lumineux. À cause de la grande vitesse de la lumière, nous sommes incapables de voir la différence entre le moment où nous arrive la lumière d'un flash d'appareil photo et son reflet dans un miroir ! Mais quel est ce « flash » source des échos observés sur ces images ? Une chose est sûre, il doit être d'une intensité peu commune pour éclairer ainsi une zone de ciel aussi importante. 
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Figure 2 : Un trajet détourné
La lumière observée sur les images d'Eros entre 1996 et 2003, soit 9 à 16 ans après que la lumière de SN 1987a nous est parvenue par le chemin le plus direct, correspond à des trajets en ligne brisée. De la lumière émise lors de l'explosion dans une direction autre que celle de la Terre a rencontré une zone de gaz et de poussières, et une fraction en a été redirigée vers nous. Cette lumière a parcouru une distance un peu supérieure à celle qui nous est arrivée directement, d'où son retard de quelques années.

Une supernova, explosion brutale d'une étoile en fin de vie, peut justement produire un tel « flash ». C'est que qu'on a pu observer le 23 février 1987, date importante pour l'astronomie récente : ce jour-là nous parvenait la lumière émise par la supernova SN 1987a. Il s'agissait de la première explosion observable à l'oeil nu sur Terre depuis 4 siècles. SN 1987a a explosé dans le Grand Nuage de Magellan, une galaxie naine satellite de la nôtre et suffisamment proche pour que la supernova soit visible durant plusieurs semaines à l'oeil nu. Le flash lumineux de cette explosion a mis environ 160 000 ans pour nous parvenir, une durée qui correspond à la distance du Grand Nuage, 160 000 années-lumière. Les anneaux lumineux observés par les physiciens d'Eros ont une origine et un centre communs : la supernova 1987a. Il s'agit bien de lumière émise par la supernova, mais elle a suivi un trajet plus long. Elle est partie dans des directions différentes jusqu'à rencontrer des nuages de gaz et de poussières qui l'ont diffusée à leur tour. C'est cela qui explique le retard de quelques années avec lequel elle nous parvient : elle n'a pas voyagé selon une simple ligne droite (figure 2). 
Plus la lumière de la supernova a été émise dans une direction éloignée de celle de la Terre, plus grand est le « virage » qu'elle doit prendre pour nous parvenir, plus long est alors son parcours et plus grand son retard. Voilà pourquoi les anneaux observés grâce à Eros grandissent avec le temps. On pourrait être surpris de constater que le diamètre de ces anneaux semble grandir à raison de plusieurs années-lumière par an ! Cela paraît impossible car on sait, grâce aux travaux d'Einstein, que rien ne peut aller plus vite que la lumière dans le vide. En fait, la vitesse de ces anneaux « immatériels » n'est qu'apparente : le déplacement des échos lumineux n'est pas un déplacement de matière. Il ne s'agit que de plusieurs faisceaux lumineux différents qui ont suivi des routes distinctes, même si leur source est commune. 
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Figure 3 : Une étrange courbe de lumière Voici la courbe de lumière d'une étoile située non loin de la position de la supernova. Les deux graphiques représentent sa luminosité mesurée par Eros en fonction du temps (en jours, comptés depuis octobre 1995), dans deux couleurs différentes. Cette étoile n'est pas variable et sa luminosité devrait donc être constante au cours du temps. Une augmentation est bien visible sous forme d'une bosse entre les jours 1400 et 1700 (août 1999 à juin 2000) : elle correspond au défilement de l'un des anneaux lumineux devant l'étoile surveillée, avec une vitesse apparente de 5 années-lumière par an.

La mesure de la position de l'anneau lumineux par rapport à la supernova, ainsi que celle du retard, permettent de savoir où se trouvent les nuages diffuseurs ; il y en a principalement deux, l'un à 300 années-lumière en avant de la supernova, l'autre à 1100 années-lumière. Ils sont tous deux situés dans le Grand Nuage de Magellan, bien plus près de la supernova que de nous. L'étude détaillée des anneaux permet même d'en réaliser une carte. Eros a pris de ces échos lumineux plusieurs centaines de clichés, répartis assez régulièrement sur une longue période, de 1996 à 2003. C'est cela qui a permis à P. Tisserand, en thèse au Dapnia, aidé pour le montage par J. Mouette de l'institut d'astrophysique de Paris, de réaliser le film. 
LEXIQUE EROS : acronyme pour « expérience de recherche d'objets sombres ». Eros est un groupe qui mène depuis 1990 une recherche d'astres sombres de notre galaxie, susceptibles de rendre compte de sa matière noire. Eros est composé principalement d'équipes du CEA/Dapnia, et du CNRS (IN2P3 et Insu)

HALO DE MATIERE NOIRE : Notre galaxie contient plus de matière que nous n'en observons sous forme d'étoiles ou de gaz. Cela se déduit des mesures de la vitesse de rotation de la galaxie sur elle-même. L'une des hypothèses est que cette matière excédentaire, dite matière sombre ou matière noire, se trouve dans un halo sphérique entourant le disque de notre galaxie. Cette matière noire, si elle est sous forme d'astres sombres massifs, pourrait être mise en évidence à l'aide du phénomène de réfraction gravitationnelle de la lumière par des « microlentilles ». C'est ce que recherche Eros.

MICROLENTILLE GRAVITATIONNELLE : Si un objet sombre du halo galactique s'interpose directement entre nous et une étoile située hors de notre galaxie (par exemple dans l'un des Nuages de Magellan), il peut dévier la lumière de cette étoile et la concentrer en direction de la Terre. L'objet sombre est invisible, mais il trahit sa présence par cette concentration qui conduit à une augmentation de la lumière reçue de l'étoile. La durée de l'augmentation est d'autant plus grande que la masse de l'objet sombre est élevée.

GRAND NUAGE DE MAGELLAN : Il s'agit d'une galaxie « naine » satellite de notre Voie lactée, située à environ 160 000 années-lumière de la Terre. Elle est au moins 10 fois moins massive que la Voie lactée. Elle est parfaitement visible à l'oeil nu, pourvu que le ciel soit sombre mais, comme elle est située près du pôle Sud céleste, elle est invisible depuis nos latitudes. Malgré son nom, il ne s'agit pas du tout d'un « nuage » : son nom lui a été donné par les compagnons de Magellan.

COURBE DE LUMIERE : Afin de détecter une éventuelle concentration par phénomène de réfraction gravitationnelle par des microlentilles des rayons lumineux en provenance d'une étoile des Nuages de Magellan, Eros a mesuré la luminosité de plus de 50 millions d'étoiles plusieurs centaines de fois au cours des sept dernières années (1996-2003). Le graphique représentant la luminosité de chaque étoile en fonction de la date s'appelle une courbe de lumière.

SUPERNOVA : Appellation recouvrant plusieurs types d'explosions d'étoiles en fin de vie. Ces explosions sont parmi les phénomènes les plus lumineux dans l'Univers, et on a pu détecter des supernovæ jusqu'à des distances gigantesques de plusieurs milliards d'années-lumière. La supernova SN 1987a correspond à l'explosion d'une étoile très massive. La lumière qu'elle émet ne correspond en fait qu'à une faible fraction de l'énergie de l'explosion (la plupart est émise sous forme de neutrinos). Malgré cela, quand elle brillait à son maximum, SN 1987a émettait un million de fois plus de lumière que notre Soleil.

ANNEE-LUMIERE : La distance que parcourt la lumière en un an, à raison de 300 000 km/s. Exprimée en kilomètres, cette distance vaut environ 9000 milliards de kilomètres, soit 60 000 fois la distance de la Terre au Soleil. La plus proche étoile après le Soleil est à 4 années-lumière, le centre de notre galaxie à environ 25 000 années-lumière, et le Grand Nuage de Magellan à environ 160 000 années-lumière. 

#220 - Màj : 23/06/2004

 

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