25 mars 2015
ORIGAMIX, des étoiles aux accidents nucléaires
Une caméra ultra-compacte de haute précision pour la mesure de la radioactivité

Trois équipes du CEA (DSM/Irfu/Service d’Astrophysique, DRT/LIST/DM2I et DEN/MAR/DTEC) viennent de mettre au point, en partenariat avec des acteurs industriels et institutionnels, le prototype d’une caméra gamma ultra compacte de nouvelle génération pour la détection de sources radioactives. Réalisée dans le cadre du projet ORIGAMIX [1], cette caméra est équipée d’une matrice de détection en tellurure de cadmium (CdTe) couplée à une électronique frontale à hautes performances conçue et réalisée au CEA. Associé à un système d’imagerie à masque codé, le dispositif permet notamment de localiser avec précision les points chauds à forte radioactivité dans une zone affectée par un accident nucléaire. Un atout majeur de cette caméra réside dans sa portabilité et son excellente résolution spectrale qui permet de fournir des informations de premier plan sur l’identification et l’activité des radionucléides présents dans la zone contaminée. Ces travaux font l’objet d’une publication dans la revue Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A, 2015.

 

Micro détecteurs

La gestion des accidents liés à l’industrie nucléaire (Three Mile Island en 1979, Chernobyl en 1986 ou plus récemment Fukushima, 2011) a montré la nécessité de disposer rapidement d’un diagnostic fiable des zones potentiellement affectées. Ce besoin est adressé par le projet ORIGAMIX dont l’objectif est le développement de systèmes d’imagerie gamma de nouvelle génération. Le principe de base de ce dispositif d’imagerie repose sur la détection et identification du photon X et/ou gamma produit lors de la décroissance radioactive d'un élément.
Le cœur de la caméra est une matrice de capteurs en CdTe, matériau semi-conducteur reconnu pour être un excellent détecteur de photons X et gamma. Sa conception et réalisation, électronique associée incluse, s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche et développement mené au CEA pour la réalisation de caméras X et gamma destinées à l’astrophysique des hautes énergies.
Dans la présente version, le détecteur (dénommé Caliste HD pour High Dynamic) est une matrice de 256 pixels (un carré de 16x16) de 625 micromètres de coté, soit une surface totale de 1 cm2. Cette surface peut paraître modeste comparée à celle des instruments astrophysiques (à titre d’exemple, le plan de détection CdTe de la caméra Isgri à bord du satellite Integral est de 2600cm2) mais est ici compensée par l’intensité du rayonnement étudié, sans aucune mesure avec les faibles flux provenant des sources astrophysiques.

La gestion des risques suite à un accident radiologique nécessite l’emploi d’outils de mesure de plus en plus performants, adaptés à la situation et facilement transportables.

 
ORIGAMIX, des étoiles aux accidents nucléaires

A gauche deux spectro-imageurs Caliste HD de 256 pixels chacun et leur électronique associée ultra compacte (en jaune), située juste en-dessous des détecteurs CdTe pixellisés (en noir). Le c½ur de la caméra gamma développée dans le cadre du projet ORIGAMIX (au centre) est constitué en entrée d’une fenêtre de Béryllium (pastille blanche) transparente uniquement au rayonnement X et gamma, d’une enceinte à vide (cylindre de 10 cm de longueur) à la base duquel est placé le détecteur Caliste HD (non visible ici car incorporé dans la base de l’enceinte). Un radiateur, en noir, sert à évacuer la chaleur produite par le système. La consommation électrique du dispositif est très faible, 200 mW, un aspect important pour son autonomie. La caméra fonctionne avec un refroidissement modeste (plages de température allant de 0° à -10 degrés Celsius) obtenu par un système de refroidissement actif de type Peltier, couramment utilisé dans diverses applications. Le progrès réalisé dans la miniaturisation des caméras X et gamma est illustré par l’image de droite montrant une expérience à vocation similaire. (Crédit CEA).

Spectroscopie fine et imagerie

Un point fort de la caméra réside dans ses performances spectroscopiques remarquables. Sa très bonne résolution spectrale - faculté à mesurer précisément l’énergie du photon émis lors de la désintégration nucléaire - permet non seulement d’authentifier via cette « empreinte digitale » un élément radioactif mais également de déceler la présence de plusieurs composants de signature voisine.
L’épaisseur de la matrice de détection de 1 mm assure une bonne efficacité de détection entre 2 et 250 keV par absorption totale de l’énergie du photon incident dans le pixel touché. Au delà de 250 keV, les détecteurs sont partiellement transparents aux photons. Partiellement car intervient, avec une efficacité réduite mais néanmoins exploitable, un phénomène de diffusion du photon incident, l’effet Compton. Le photon peut dans ce cadre subir de multiples interactions sur un groupe de pixels adjacents du plan de détection, déposant à chaque étape une fraction de son énergie. L’analyse de ce signal multiple est intégrée dans le dispositif. Ce procédé original permet d'étendre la plage de fonctionnement ou couverture spectrale jusqu'à une énergie de 1400 keV. L’efficacité de détection via ce processus physique est certes moindre mais encore une fois, le flux de rayonnement est très intense. Conséquence et avantage, des éléments radioactifs dont la signature tombe dans cette plage d’énergie peuvent être identifiés.

 
ORIGAMIX, des étoiles aux accidents nucléaires

Un masque à ouverture codée (au premier plan sur la figure de gauche), composé de 4 mm d'épaisseur de dénal (alliage de Tungstène et des métaux lourds Nickel, Fer et Cobalt pour le rendre usinable) est placé devant l’entrée de la caméra. L’association masque codé/pixellisation fine du plan de détection permet une localisation précise dans un grand champ de vue. La figure de droite est le résultat de tests effectués en laboratoire où une source radioactive émettant des photons de 60 keV est placée à 1 mètre du dispositif. L’image reconstruite après cette exposition permet de déterminer avec une précision de 6 degrés la position de la source radioactive (en rouge) dans le champ de vue. (Crédit CEA)

Afin de cartographier la zone potentiellement contaminée, la caméra est associée à un masque à ouverture codée. Cette technique, appliquée par les télescopes du satellite Integral pour produire des images du ciel gamma, permet une bonne localisation des points chauds à traiter. Dans la configuration décrite dans ces travaux, la précision de localisation est de 6 degrés et le champ de vue totale de la caméra est de ±64°. Cette localisation des zones présentant un danger radiologique est cruciale afin d’assurer la protection des primo-intervenants gérant la crise et la planification des interventions ultérieures.

 

Perspectives

Le système de détection dans sa version finale pèsera moins de 1.5 kg soit 10 fois moins que le système proposé par Canberra actuellement. Les têtes de détection modulaires (le terme « tête de détection » fait référence ici à un Caliste-HD placé dans une mini-enceinte thermique sous vide plus son électronique de lecture) pourront fonctionner en réseau de façon synchrone. C’est ainsi que sera réalisé un équipement  de spectro-imagerie portable dit de troisième génération, permettant de combiner la réponse de plusieurs Caliste-HD pour les faire fonctionner en mode « Compton ». La détection synchrone de plusieurs dépôts d’énergie dus au même photon initial permet en effet d’estimer son énergie total et sa direction incidente. Ce mode de détection présente l’avantage d’un champ de vue immense et d’une grande sensibilité à haute énergie : autant d’atouts lorsque l’on souhaite identifier et localiser des radio-isotopes sur des scènes inconnues.

 

Contacts : Sébastien Dubos, Olivier Limousin,

Publication :

"ORIGAMIX, a CdTe-based spectro-imager development for nuclear applications"
S. Dubos, H. Lemaire, S. Schanne, O. Limousin, F. Carrel, V. Schoepff, C. Blondel
publié dans la revue Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A, 2015.
Accès à la version électronique de la publication

 

Voir aussi : MACSI - Caméra à rayons X de haute résolution (21 décembre 2012)
                 IDeF-X, une technologie française de pointe exportée aux U.S.A. (16 juin 2011)
                 Naissance d’une micro-caméra X (8 février 2008)


 

Note:
ORIGAMIX (lOcalisation de la Radioactivité par Imageurs GAMma pIXellisés) est un projet multidisciplinaire porté dans le cadre du programme français ANR « Investissement d’avenir » RSNR (Recherche en matière de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection) par trois départements du CEA, le DSM/Irfu/SAp, le DRT/LIST/DM2I (Département Métrologie, Modélisation et Information)  et le DEN/MAR/DTEC, en partenariat avec des acteurs industriels (AREVA, CANBERRA et 3D-PLUS) et institutionnels impliqués dans la gestions de crises radiologiques (IRSN et GIE Intra). Le projet ORIGAMIX a pour objectif le développement de systèmes d’imagerie gamma à spectroscopie fine de nouvelle génération. Il s’inscrit dans un contexte international de réalisation de caméras X et gamma compactes et performantes. L’un des prototypes développés dans le cadre d’ORIGAMIX, dit de troisième génération et décrit dans cet article, place notamment les développements menés au CEA à la pointe des systèmes d’imagerie gamma. La matrice de détecteurs CdTe est une retombée d’un programme de recherche et développement mené au CEA pour la conception et réalisation de détecteurs pour l’astrophysique des hautes énergies. Le premier jalon de cette recherche fondamentale a permis de mettre au point la caméra Isgri, en opération depuis 2002 sur le satellite d’astronomie gamma Integral.


Rédaction : C. Gouiffès et O. Limousin

 
#3540 - Màj : 06/05/2019

 

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