Vers une compréhension dynamique des étoiles : Simulations 3-D de la turbulence et du magnétisme stellaire
A. S. Brun

La dynamique des fluides astrophysiques (AFD) est à un tournant historique, grâce notamment à l’avancée sans précédent des moyens informatiques, tels les supercalculateurs HP-ES45 Chrome et Nickel du CCRT (Centre de Calcul Recherche et Technologie) à Bruyère-le-Chatel, et des moyens observationnels au sol et dans l’espace auxquels les astrophysiciens ont accès. Pour le chercheur intéressé par l’étude de la turbulence et du magnétisme des étoiles, il est dorénavant possible de développer des programmes informatiques résolvant à plusieurs dimensions les équations complexes de la magnétohydrodynamique (MHD) et d’en déduire et/ou comprendre les processus physiques à l’origine des propriétés et des phénomènes dynamiques observés dans les étoiles, comme la convection thermique, leur rotation interne et leur activité magnétique.

Contexte Scientifique

L’étude des étoiles, de leur intérieur, de leur structure, de leur composition chimique et de leur dynamique est cruciale pour notre compréhension de l’univers, car elles en constituent les briques fondamentales. La théorie de la structure et de l’évolution stellaire a été développée depuis fort longtemps (Eddington 1926, Hansen & Kawaler 1995), et sans cesse améliorée. Au milieu du siècle dernier, l’avènement des premiers calculateurs a permis la résolution numérique, à une dimension, des équations dites de la structure interne pour élaborer des modèles des différents types d’étoiles. Grâce à sa proximité, le Soleil a de tout temps joué un rôle particulier en astrophysique et d’autant plus en évolution stellaire puisque tous les modèles d’étoiles sont calibrés par rapport au modèle du Soleil, dit « modèle standard’ » (Brun, Turck-Chièze et Zahn 1999, Brun et al. 2002). Ce modèle repose entre autres sur la théorie de la longueur de mélange (MLT) pour traiter à une dimension les zones convectives, qui transportent vers la surface la chaleur générée au centre par les réactions nucléaires. Bien évidemment la nature hautement turbulente de la convection thermique n’est que très grossièrement représentée par la MLT. Mais la montée en puissance continue des (super)calculateurs fait qu’il est maintenant possible de s’attaquer directement à la modélisation multidimensionnelle (2-D ou 3-D) des étoiles, et de leurs zones convectives en particulier.
L’observation multi-longueurs d’onde, le diagnostic sismique (hélio ou astérosismologie) et même la détection des neutrinos produits dans les cœurs nucléaires, fournissent autant de données de plus en plus nombreuses et de plus en plus précises permettant de contraindre les propriétés des étoiles et du Soleil. Progressivement les modèles quasi-statiques laissent place à des modèles dynamiques basés sur les équations de la MHD et sur une description microscopique précise du plasma stellaire (opacités, équation d’état, etc.). Des programmes numériques performants sont développés, utilisant le C++ ou le Fortran90/95, pour résoudre ce système d’équations sur des ordinateurs massivement parallèles comme les HP-ES45 Chrome et Nickel du CCRT à Bruyère-le-Chatel. C’est le cas du code ASH (anelastic spherical harmonic) utilisé dans cette étude sur le magnétisme des étoiles massives.

Le Code Anelastic Spherical Harmonics (ASH)

Le code global ASH résout dans une coquille sphérique tridimensionnelle en rotation, les équations de Navier Stokes, de continuité, d'énergie et d'induction dans l'approximation anélastique (Krause & Radler 1980). Les variables thermodynamiques, les trois composantes du flux de masse et du champ magnétique (s'il est inclus) sont projetées sur les harmoniques sphériques Ylm pour leur structure horizontale et sur les polynômes de Chebyshev Tn(r) pour leur structure radiale. Le flux de masse et le champ magnétique restent à divergence nulle jusqu’à la précision machine par l'utilisation d'une représentation « poloïdale/toroïdale ». La discrétisation temporelle est semi implicite, utilisant un Crank-Nicolson implicite d'ordre 2 pour les termes linéaires et un Adams-Bashforth explicite d'ordre 2 pour les termes non linéaires, les forces de Coriolis et de Laplace. Le code ASH utilise une approche de type LES (Large Eddy Simulation) avec comme traitement sous maille (SGS) soit des diffusivités effectives turbulentes ou une hyperviscosité, avec la possibilité d'introduire des formulations plus complexes basées sur différentes méthodes de fermeture des équations du mouvement (modèles alpha-LANS, dynamique, …), voir (Clune et al 1999 et Miesch et al. 2000 pour plus de détails).
Le code ASH est un code mûr, qui a produit plus de 7 années de publications scientifiques dans des revues majeures, aussi bien dans le contexte des applications parallèles qu'en AFD ou en astronomie solaire/stellaire. Dans le cadre d’une collaboration franco-américaine impliquant entre autre J. Toomre, M. Miesch aux USA et S. Turck-Chièze, J.-P. Zahn et l’auteur de l’article en France, le code a été étendu aux problèmes de MHD et à d’autres étoiles (étoiles de type A, soleils jeunes, étoiles RGB). Cette collaboration fait l’objet d’un Mémorandum of Understanding entre le SAp et le Laboratory of Computational Dynamics de J. Toomre, intitulé : "Stellar Turbulence and Magnetic Dynamos".

Le code a été porté puis optimisé sur Chrome et Nickel du CCRT et il donne entière satisfaction quant à ses performances (cf. encadré). Le code repose sur MPI pour son aspect parallèle. ASH produit quantité de données, de l'ordre de 100 Go par « run », sachant qu’il faut plusieurs « runs » pour obtenir une solution mature. Une simulation peut produire jusqu'à quelques To par « run » en mode haute résolution (1000^3 ou au-delà). Les données ainsi produites nécessitent un ordinateur puissant et rapide pour les traiter efficacement, et déduire les propriétés statistiques relevantes à un problème d'AFD ainsi qu’un système de stockage massif performant. La visualisation 3-D (passage obligé pour analyser et comprendre la complexité de telles simulations) nécessite aussi un ordinateur puissant avec une carte graphique disposant de beaucoup de mémoire pour la texture et le rendu. Le développement actuel de ASH consiste à en améliorer le contenu physique (nouvelles conditions initiales (hydro et MHD), équation d’état non idéale, conditions aux limites plus réalistes) ainsi que son fonctionnement numérique (ajout de nouveaux traitements sous maille, stratégie I/O basé sur plusieurs cpus, extension au traitement de la singularité géométrique à r=0). Une version 1.2 développée et validée en France, entre autre sur les ordinateurs du CEA, vient d’être mise à disposition de la collaboration.

Le cas des étoiles plus massives que le Soleil

Comprendre la convection turbulente et l’effet dynamo dans les étoiles est nécessaire afin de mieux caractériser leur évolution, leur structure interne et leur magnétohydrodynamique. En effet de nos jours avec les moyens de calculs de plus en plus performants auxquels les chercheurs du CEA ont accès, tels les superordinateurs Chrome et Tera du CCRT, il est maintenant possible de modéliser en 3 dimensions le couplage dynamique non linéaire entre convection, turbulence, rotation, et champ magnétique. Cet effort c’est d’abord concentré sur notre étoile, le Soleil (Brun et al. 2002, Brun et al. 2004), mais il maintenant possible de modéliser les cœurs d’étoiles massives. Ceci constitue une important avancée car elle permet de faire le lien entre l’activité magnétique stellaire et celle observée avec de grands détails sur le Soleil (cf. Clef du CEA n° 49). Effectivement toutes les étoiles ne possèdent pas un cycle régulier d’activité magnétique comme le soleil et son fameux diagramme papillon, voire certaines étoiles ne semblent même pas posséder de champ magnétique à leur surface ! On appelle ces étoiles les étoiles Ap et Bp. Ces étoiles sont plus massives que le Soleil, et leur cœur est convectif (parce que leur source d’énergie nucléaire est basée sur le cycle CNO plutôt que sur les simples chaînes pp comme dans le Soleil), et leur enveloppe très étendue radiative. Dès lors il n’est pas surprenant que de telles enveloppes radiatives stablement stratifiées présentent une activité moins intense que les étoiles de type solaire et leur atmosphère intensément chahutée par leur convection turbulente de surface. Cependant, le cœur convectif de ces étoiles massives doit certainement amplifier et maintenir un champ magnétique, via le processus physique communément appelé effet dynamo, qui consiste à étirer, plier et enrouler les lignes de champ magnétiques de sorte que ces mouvements s’opposent à la diffusion ohmique naturelle du champ.
Nous avons donc entrepris récemment de modéliser l’intérieur des étoiles massives en choisissant le cas d’étoiles de 2 masses solaires, ce qui constitue en soit une première mondiale, afin d’étudier si de tel cœur générait effectivement un champ magnétique et comment celui-ci évoluait et interagissait avec l’enveloppe radiative l’environnant.
Pour ce faire, nous avons modifié le programme 3-D MHD ASH en y ajoutant une source d’énergie permettant de simuler la production d’énergie nucléaire par le cycle CNO. Nous avons considéré le cas d’étoiles A tournant jusqu’à 8 fois plus vite que le Soleil. Nous omettons juste les 2% les plus centraux de l’étoile et modélisons le cœur convectif et un tiers de la zone radiative, permettant ainsi une étude couplée des deux zones. La résolution horizontale est Ntheta=256 x Nphi=512 et Nr=49+33=82, ce qui équivaut à une résolution en géométrie cartésienne de 4003.
Les résultats scientifiques ont fait l’objet de deux publications majeures, dont une sur l’effet dynamo dans The Astrophysical Journal (Brun, Browning & Toomre 2005).

 
Vers une compréhension dynamique des étoiles : Simulations 3-D de la turbulence et du magnétisme stellaire

Figure 1 : Rendu 3-D de la vitesse radiale (et d�une coupe équatoriale de celle-ci) et du champ magnétique toroidal dans une simulation d�un c�ur convectif avec ASH. On y voit l�aspect large échelle et connecté de la convection et l�enroulement et le vrillage des lignes de champs magnétiques.

En Figure 1 nous représentons une visualisation 3-D de la vitesse radiale, accompagnée d’une coupe dans le plan équatorial permettant de voir les parties centrales, et le champ magnétique toroïdal généré par effet dynamo après avoir introduit une graine de champ dipolaire dans le calcul purement hydrodynamique (Browning, Brun & Toomre 2004, Brun, Browning & Toomre 2005). Les vitesses et l’intensité du champ magnétique dans la zone radiative entourant le cœur convectif sont trop faibles pour que ceux-ci soient visibles. Les motifs convectifs dans ces cœurs sont beaucoup plus étendus et ne présentent pas de fortes dissymétries entre flots montants et descendants comme dans le cas solaire car le contraste de densité n’est que de 2-3. Ces mouvements convectifs permanents transportent très efficacement le moment cinétique et établissent de forte rotation différentielle sous l’effet subtil de la force de Coriolis, cette dernière affectant la trajectoire ascendante ou descendant e des cellules convectives. Nous représentons Figure 2, une coupe dans le plan méridien du profil de rotation différentielle obtenu dans nos simulations avec ou sans champ magnétique. On y voit une forte colonne de mouvements retrogrades (i.e en sens inverse de la rotation globale de l’étoile) dans le cœur convectif et une rotation plus solide (en bloc) de la zone radiative. Le cisaillement du champ magnétique que produit une telle rotation différentielle à grandes échelles (ou effet-?) est à l’origine d’une partie de l’amplification forte du champ magnétique observé dans nos simulations MHD. En effet nous voyons figure 1 que le champ toroïdal ressemble à une grosse « boule de laine », les lignes de champs ayant été enroulé et entremêlé par l’action conjuguée de la rotation et de la convection.
Comme ces cœurs sont très efficaces pour amplifier l’énergie magnétique, à des valeurs moyennes proche de 100% de l’énergie cinétique, on peut s’attendre a ce que la rétroaction non linéaire de la force de Laplace se fassent ressentir sur les mouvements convectifs. Effectivement sur la Figure 2 nous voyons que la rotation différentielle dans le cas magnétique est moins intense que dans le cas purement hydrodynamique. Il semble donc que les étoiles massives possèdent bien un champ magnétique intense qui a une grande influence sur leur dynamique et leur structure et évolution, mais que l’enveloppe radiative étendue de ces objets écrantent efficacement ces champs de sorte qu’ils ne sont pas encore systématiquement observés.

 
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Figure 2 : Profil de rotation différentielle établie dans un c�ur convectif d�une étoile deux fois plus massive que le Soleil. a) Isocontours de Omega dans le cas magnétique, b) coupes radiales à certaines latitudes pour le cas magnétique, c) coupes radiales aux même latitudes qu�en b) pour le progéniteur purement hydrodynamique.

Conclusions et Perspectives

Les calculs MHD tridimensionnels présentés ici obtenus, grâce aux ordinateurs massivement parallèles comme Chrome du CCRT, constituent une première étape vers une modélisation réaliste des étoiles. Ils ne permettent aujourd’hui que de modéliser sur des temps relativement courts certains aspects de leur dynamique, alors que le programme ambitieux que se sont fixé les physiciens stellaires est de calculer l’évolution complète de l’étoile depuis sa formation jusqu’à sa mort. La diversité et la richesse des résultats déjà obtenus nous promettent encore de belles années de science fascinante en dynamique des fluides astrophysiques et en physique stellaire.

Références


Browning, M., Brun, A.S. & Toomre, J., 2004, ApJ, 601, 512-529
Brun, A.S, Antia, H.M., Chitre, S.M. & Zahn, J.-P. 2002, A&A, 391, 725-739
Brun, A.S., Browning, M., & Toomre, J., 2005, ApJ, 627, sous presse
Brun, A.S., Miesch, M.S., & Toomre, J., 2004, ApJ, 614, 1073
Brun, A.S. & Toomre, J., 2002, ApJ, 570, 865-885
Brun, A.S., Turck-Chièze, S. & Zahn, J.-P. 1999, ApJ, 525, 1032-1041
Clune, T.L. et al. 1999, Parallel Comput., 25, 361
Eddington, A.S. 1926, The Internal Constitution of the Stars, Cambridge Univ. Press
Hansen, C.J. & Kawaler, S.D. 1995, Stellar Interiors: Physical Principles, Structure, and Evolution, Springer-Verlag
Krause, F. & Rädler, K.-H. 1980, Mean-Field Magnetohydrodynamics and Dynamo Theory, Akademie-Verlag
Miesch, M.S. et al. 2000, ApJ, 532, 593

voir aussi "Simulations MagnétoHydrodynamiques du Soleil"  (avril 2004)

 
#991 - Màj : 12/04/2010

 

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