11 juillet 2006
Eros lève le voile sur les petites étoiles
Le programme Eros conforte les modèles de notre galaxie

Au terme de douze années marquées de surprises, de contradictions et de rebondissements, les modèles des astrophysiciens ont eu raison des apparences : le nombre d’étoiles peu lumineuses de notre galaxie est conforme aux modèles déduits des observations dans le voisinage du Soleil, et bien inférieur à ce que les premières observations laissaient supposer. C’est à cette conclusion que viennent d’arriver trois programmes de recherche de la distribution des astres sombres dans notre galaxie. Un article majeur dans Astronomy &  Astrophysics de juillet 2006 explique comment l’expérience Eros, dont le Dapnia fut à l’origine, a pu aboutir à de tels résultats.

 

Les preuves de l’existence d’une composante non visible dans les galaxies se sont accumulées au cours des années 1970-1980. En effet, on a une idée de la quantité de matière visible présente dans une galaxie par simple comptage des étoiles. Par ailleurs, on connaît facilement la masse totale des galaxies en mesurant la vitesse de rotation de leurs étoiles selon leur distance au centre galactique[1]. Et la masse visible trouvée était systématiquement inférieure à la masse totale, d’un facteur compris entre 5 et 10. Une composante invisible, bien vite surnommée « matière noire », participe donc à la masse des galaxies.


[1] De la même façon que l’on peut calculer la masse du Soleil (ou d’une autre étoile) en mesurant précisément l’orbite des planètes qui tournent autour.

 
Eros lève le voile sur les petites étoiles

Figure 1 : Lorsqu’un astre sombre s’interpose entre un observateur terrestre et une étoile lumineuse située hors de la Galaxie, il défléchit et focalise la lumière de l’étoile lointaine sur le télescope terrestre. Au fur et à mesure que l’astre sombre se rapproche puis s’éloigne de la ligne de visée de l’étoile lointaine, on voit croître puis décroître la luminosité apparente de l’étoile. Cette variation de luminosité peut durer quelques heures, si l’astre sombre a une masse comparable à celle de Mars, ou quelques mois si la masse est comparable à celle du Soleil. La variation est d’autant plus importante que l’alignement entre astre sombre et étoile lointaine est précis.

Trois programmes de recherche furent mis en route au début des années 1990, l’américano-australien Macho, le polonais Ogle et le français Eros. Ils cherchaient à découvrir dans quelle mesure cette matière noire se compose d’astres sombres, comme les naines brunes par exemple. Pour cela, ils utilisèrent la technique des microlentilles gravitationnelles (voir figure 1) qui révèle le passage d’astres sombres de la Voie lactée devant des étoiles des nuages de Magellan situés dans la banlieue de notre galaxie.

Seul problème, ce phénomène est extrêmement rare : même si toute la Galaxie se trouvait être sous forme d’astres sombres de masse comparable à celle du Soleil, l’observation de 2 millions d’étoiles permettrait au mieux de détecter un seul phénomène de microlentille par année.  Il faut donc prendre son temps et observer des dizaines de millions d’étoiles.

 

Reste à interpréter correctement les résultats des observations des Nuages de Magellan. Une absence de microlentille signifie-t-elle qu’il n’y avait pas d’astres sombres à trouver, ou bien que les programmes n’avaient pas utilisé les bonnes méthodes ? Et quand bien même ils trouveraient quelque chose, pourquoi ne serait-ce pas un nouveau type d’étoile variable inconnue jusqu’alors ? C’est pourquoi on choisit de chercher également le phénomène de microlentille là où il doit être observé à coup sûr : dans le centre de notre Galaxie, où se trouve le plus grand nombre d’étoiles (figure 2).

 
Eros lève le voile sur les petites étoiles

Figure 2 : Une comparaison entre, à gauche, la vue d’une galaxie de l’intérieur (la région centrale de notre Voie lactée, image de Wei-Hao Wang, Université d’Hawaï) et, à droite, la galaxie d’Andromède.

Eros lève le voile sur les petites étoiles

Un exemple de phénomène de microlentille dû à une étoile du disque de la Galaxie. Les points représentent les mesures de luminosité d’une étoile brillante du bulbe galactique, enregistrées entre 1996 et 1999 ; la courbe est la meilleure description théorique du phénomène de microlentille. La luminosité apparente de l’étoile a varié d’un facteur huit sur une période de 4 mois.

Les premiers résultats furent à la fois encourageants et déroutants : des microlentilles étaient bien observées mais en nombre deux à trois fois trop important par rapport à ce que les calculs laissaient prévoir. Le compte n’y était pas … et les chercheurs voulurent s’assurer qu’il observaient des microlentilles et non d’autres phénomènes. Les trois expériences choisirent de limiter leurs observations à une classe spécifique d’étoiles :  les géantes rouges situées dans le bulbe galactique. Leur localisation fait que leur distance est bien connue, ce qui facilite l’interprétation des phénomènes observés. Leur luminosité les rend plus facilement identifiables, on est donc certain que c’est bien leur lumière qui est amplifiée par la microlentille, et non celle de l’étoile d’à côté. Le prix à payer pour cette amélioration qualitative est la réduction du nombre d’étoiles surveillées : il faudra observer plus longtemps pour trouver des microlentilles.

 

Entre 1992 et 2002, Ogle, Macho et Eros ont détecté 215 phénomènes de microlentilles « irréprochables » affectant des étoiles géantes rouges (voir un exemple en figure 3), et leurs mesures s’accordent comme jamais auparavant. Qui plus est, ces observations confirment les modèles de notre Galaxie qui décrivent statistiquement les positions, les vitesses et les masses des étoiles.

Si Ogle a détecté 33 microlentilles et Macho 62, c’est Eros qui en a vu le plus grand nombre avec 120 détections. Cette jolie moisson permet à Eros de démontrer que la probabilité de voir une lentille gravitationnelle sur une étoile donnée décroit proportionnellement à la population d’étoiles lorsque l’on s’éloigne du plan galactique (figure 4).  Et seul parmi les trois groupes, Eros a observé en nombres comparables des étoiles situées au nord et au sud du plan galactique : une bonne symétrie nord-sud est observée, comme on pouvait s’y attendre. De telles informations sont essentielles pour les théoriciens, elles permettent de mieux comprendre la répartition des étoiles peu lumineuses de notre galaxie.

 
Eros lève le voile sur les petites étoiles

Figure 4 : La fréquence des phénomènes de microlentille décroît lorsque l’on s’éloigne du plan de la Voie lactée. Cette fréquence est ici représentée en fonction de la distance angulaire (en degrés) entre les champs observés et l’équateur galactique. Les points sont les mesures d’EROS ; les courbes montrent les prédictions de différents modèles de la Galaxie.

Et, dans tout cela, quid de la matière noire, motivation initiale de l’étude des microlentilles ? Les analyses des données d’Eros en direction des Nuages de Magellan sont aujourd’hui achevées. Il faudra attendre leur publication, qui ne saurait tarder, pour en savoir plus...

 

 

 

Contact : James RICH

 

 

 

 

 

 

 

 
#940 - Màj : 17/03/2010

 

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