Les défauts du fond diffus de l’univers sont-ils réels ?

Les défauts du fond diffus de l’univers sont-ils réels ?

Une image plus précise fournit un nouvel éclairage

Une équipe européenne, associant des chercheurs de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et du Service d'Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-IRFU, vient de monter que certains des défauts constatés jusqu'ici dans l'image de fond de l'univers obtenue par les satellites WMAP et Planck pourraient n'être finalemet dûs qu'à une mauvaise reconstruction de l'image et à une soustraction incomplète des contributions de notre propre galaxie. Ces résultats sont publiés dans la revue Journal of Cosmology and Astroparticle Physics d'août 2014.

Carte CosmoStat des contributions secondaires du fond diffus (cliquer pour agrandir)

Les anomalies de la première lumière de l'univers

L'observation du ciel dans le domaine des micro-ondes a révélé une émission presque totalement uniforme sur l'ensemble du ciel baptisé « rayonnement de fond cosmique » ou CMB (pour Cosmic Microwave Background). Ce fond diffus est interprété comme une lumière « fossile », la première lumière émise au tout début de l'expansion cosmique. Après sa découverte en 1965, le CMB est rapidement devenu un pilier pour l'étude de l'évolution de l'univers car la présence de petites inhomogeneites de température dans ce fond diffus fournit une mine d'informations non seulement sur ​​le début de l'Univers, mais aussi sur son évolution ultérieure et donc sur la géométrie de l'Univers et son contenu. Plusieurs satellites ont soigneusement cartographié récemment cette toile de fond lumineuse de l'univers avec une résolution de plus en plus précise.

Lancé dans les années 1990, le satellite WMAP a été la première mission capable de mesurer précisément la taille des irrégularités présentes dans le CMB. Mais avec ces nouvelles données sont apparus des défauts intrigants. Le CMB semblait globalement en accord avec le modèle standard de la cosmologie actuelle, mais apparaissait aussi sur de grandes échelles, une série d'anomalies qui a monopolisée l'intérêt des cosmologistes dans le monde entier. Parmi celles-ci, une dissymétrie Nord-Sud du rayonnement, un axe privilégé de la sphère céleste baptisé « Axe du diable » et une « tache froide », large zone d'une taille d'environ 10° sur le ciel où la température du rayonnement apparaissait sensiblement plus faible. Ces défauts apparents ont suscité un débat de plus de dix ans entre les chercheurs. Etaient-ils réels ou s'agissait-il d'incertitudes dans les données du satellite WMAP ?

En mars 2013, les données plus précises du satellite Planck de l'ESA ont semblé confirmer ces anomalies, éliminant la possibilité d'erreurs de données et relançant différentes hypothèses : s'agissait-il d'une mauvaise soustraction de l'émission parasite de notre Galaxie ou de l'effet de processus physiques exotiques opérant aux débuts de l'expansion ?

La carte du fond diffus obtenue grâce au satellite Planck en mars 2013. La bande médiane horizontale represente le plan galactique. Dans cette région où dominent les contributions provenant de notre Galaxie, la carte du fond diffus manquante a été completée par une méthode d’interpolation. C’est cette carte qui a été utilisée par le consortium pour étudier les anomalies. Le cercle rouge indique l’endroit où une tache froide a été détectée. Crédit Planck/ESA

La reconstruction de l'image de fond

L'équipe de chercheurs a étudié une autre possibilité, liée aux méthodes de reconstruction de l'image. Pour reconstituer l'image de fond, il est en effet nécessaire d'utiliser une méthode numérique sophistiquée pour soustraire les différentes émissions parasites. Pour effectuer cette opération, les chercheurs ont utilisé une méthode statistique de séparation de composantes originale, baptisée LGMCA (pour « local-generalized morphological component analysis ») [1]. Grâce à cette méthode, l'ensemble de la carte du fond diffus peut être reconstituée précisément, y compris dans la zone médiane où la contribution de notre Galaxie est la plus forte.

En utilisant cette méthode plus performante, les astrophysiciens ont constaté que le défaut de la « tache froide » disparaissait en grande partie et redevenait compatible avec les fluctuations statistiques générales du signal. D'autre part, ils ont pu recalculer plus précisément les différentes contributions d'avant plan: l'effet du mouvement relatif de la Terre dans l'espace (effet cinétique Doppler quadrupole), du champ de gravitation des grandes structures (effet intégré Sachs-Wolfe) et du mouvement des électrons (effet Sunyaev-Zel’dovich cinétique). La conclusion de leur étude montre qu'en soustrayant l'ensemble de ces contributions secondaires, la plupart des anomalies du fond diffus semble disparaitre. Les propriétes de la « lumière primordiale » sont donc très fortement affectées par le choix de la méthode de reconstruction et il semble bien que certains des défauts apparus précédemment ne sont pas réels mais liés à une reconstruction de l'image incomplète.

Pour permettre aux autres chercheurs de pouvoir reproduire les résultats obtenus, le laboratoire CosmoStat rend totalement publique les codes informatiques permettant lʼestimation de la carte du CMB et son évaluation [2].

Carte des variations de température dans le fond diffus dus aux contributions secondaires (les unités sont en micro Kelvin). Ce signal n’est pas d’origine primordial et doit être soustrait. Il pourrait en partie expliquer les défauts » du fond diffus. Crédit : LASTRO (EPFL) et Cosmostat (SAp/ CEA).

Contacts : Anaïs RASSAT, Jean-Luc STARCK

Publication :
Planck CMB Anomalies: Astrophysical and Cosmological Foregrounds and the Curse of Masking
A. Rassat, J.-L. Starck, P. Paykari, F. Sureau, J. Bobin, sous presse dans la revue Journal of Cosmology and Astroparticle Physics (JCAP), pour une version électronique : http://arxiv.org/abs/1405.1844

Voir  : « Le communiqué de presse du CEA » (4 Août 2014)
 : « Le communiqué de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne » (4 Août 2014)

: L'entretien d'Anais Rassat pour l'INAF (Istituto Nazionale di Astrofisica)
(4 Août 2014, mp3 13min29s)
 : « Avancées dans la compréhension de la création de l'univers »
(Télévision Suisse Romande) (4 Août 2014, mp4 4min43s)

Voir aussi  : « L'image la plus complète de la première lumière de l'Univers » (27 janvier 2014)
« Le satellite européen Planck achève son premier tour de ciel » (24 mars 2010) »


Notes :

[1] La méthode LGMCA (pour « Local-Generalized Morphological Component Analysis ») est une méthode statistique permettant l'estimation de composantes à partir de données multi-longueur d'onde. L'originalité de cette méthode réside dans l'utilisation de la parcimonie des sources à estimer dans une représentation adaptée au contenu informatif de ces dernières (e.g. transformée en ondelettes). Cette approche unique est tout particulièrement adaptée à l'extraction des avant-plans galactiques présents dans les données Planck. Pour en savoir plus…

[2] Les données sont disponibles sur le site COSMOSTAT


Rédaction : A. Rassat, J.L. Starck, J.M. Bonnet-Bidaud