01 juin 2009
Fin d'été très nuageuse sur Titan
Première carte des nuages du satellite de Saturne

La première carte détaillée des nuages présents à la surface de Titan, le plus gros satellite de la planète Saturne, vient d'être réalisée par une équipe franco-américaine [1] dirigée par Sébastien Rodriguez du laboratoire AIM (CEA, CNRS, Université Paris Diderot). Les données obtenues entre juillet 2004 et décembre 2007 grâce l'instrument VIMS (Spectromètre Imageur en visible et infrarouge) à bord de la sonde Cassini en orbite autour de Saturne, ont permis de suivre la météo de Titan. Plus de 200 nuages de méthane et d'éthane ont été étudiés. Leur présence était prévue par les modèles théoriques mais leur persistance à l'approche de la saison froide a révélé une inertie du système climatique de Titan beaucoup plus importante que prédite.  Ces données, qui permettent de tester pour la première fois des modèles climatologiques autres que celui de la Terre, sont publiées dans la revue Nature du 4 juin 2009.

 

Nuages et pluies de méthane et d'éthane

Titan est le plus gros satellite de la planète Saturne et le seul satellite du Système solaire à posséder une épaisse atmosphère protectrice, plus dense que celle de la Terre, composée principalement d'azote comme sur Terre mais avec la présence de méthane et d'éthane. Cette atmosphère serait irrespirable pour les hommes mais le seul fait qu’elle existe représente un intérêt majeur pour la compréhension de l’origine et de l’évolution des atmosphères planétaires en général, et de l’atmosphère de la Terre en particulier. Pour l'étudier, l'Agence Spatiale Européenne (ESA) a réalisé une mission spectaculaire, la descente au travers des épais nuages de Titan de la sonde Huygens qui s'est posée sur le sol du satellite le 14 janvier 2005. Le module Huyghens était associé à la sonde Cassini, réalisée par les agences spatiales américaine (NASA) et italienne (ASI), qui continue actuellement d'orbiter autour de Saturne et de ses satellites. Les images de Cassini et les données du module Huygens ont révélé l'existence à la surface de Titan de régions façonnées par l'écoulement de liquides et confirmé l'existence de lacs de méthane et d'éthane. A la surface de Titan, la température est en effet suffisamment basse (-180°C) pour permettre au méthane d'exister sous forme liquide, voire solide. Au lieu d'eau sur Terre, ce sont ces mers de méthane liquide qui sont la source des nuages de Titan et de sa climatologie.

Le premier nuage sur Titan a été découvert en 1995. Un peu plus de dix ans plus tard, ce sont l'apparition et l'évolution de plus de 200 nuages que les scientifiques ont pu étudier au cours de 39 survols de Titan réalisés en trente mois par la sonde Cassini entre 2004 et 2007.

 
Fin d'été très nuageuse sur Titan

Exemple de nuages de méthane détéctés à la surface de Titan. La résolution de l'image est d'environ 10 kilomètres (zoom à gauche). Crédits : NASA/JPL/Université d’Arizona/Université de Nantes

Un été de 7 ans

Comme sur la Terre, la météorologie de Titan connait des cycles saisonniers très marqués (succession d’hivers, de printemps, d’automnes et d’étés) du fait de la forte inclinaison de l’axe de rotation du satellite. En revanche, ces cycles sont beaucoup plus longs : dix fois plus éloignée du Soleil que la Terre, Titan, entraîné par Saturne, met 29 ans pour faire le tour du Soleil quand la Terre le fait en un an. Du fait de cette course autour du Soleil, Titan connaît des saisons qui durent environ 7 ans au lieu de 3 mois sur Terre.

Le seul modèle climatique, qui calcule la distribution nuageuse, prédit que la circulation atmosphérique globale (i.e. à l’échelle du satellite) joue un rôle primordial dans l’apparition et la répartition des nuages (voir la vidéo). Selon ce modèle, dans l’hémisphère d’été, des nuages de méthane se forment à proximité du pôle et autour de 40° de latitude : ils sont le résultat du réchauffement saisonnier de la surface de Titan, suffisant pour permettre une forte évaporation du méthane. L’élévation de ce gaz chargé en méthane est canalisée par la circulation générale de l’atmosphère, formant ainsi sporadiquement des nuages par condensation à des latitudes bien délimitées (très proche du pôle et autour de 40° de latitude). Dans l’hémisphère d’hiver, la circulation générale dicte aussi la formation de nuages. La couverture nuageuse y est en revanche d’une nature différente : au delà de 60° de latitude, la branche de la circulation de gaz, descendante cette fois-ci, apporte en continu de l’éthane depuis la haute atmosphère, qui se condense pour former des nuages d’aspect plus fin et brumeux, plus bas dans l’atmosphère (au niveau de régions plus froides). L'été sur Titan est donc prévu comme particulièrement nuageux, voire même orageux, et l’hiver plutôt brumeux (même si cela reste très localisé).

 
Fin d'été très nuageuse sur Titan

La première carte détaillée de l'apparition des nuages à la surface de Titan entre juillet 2004 et décembre 2007, lors de l'été dans l’hémisphère Sud. Les couleurs indiquent la date d'apparition des nuages selon l'échelle de couleurs indiquée en dessous. Les nuages sont concentrés autour de 40° de latitude Sud et aux pôles Nord et Sud (latitude 90°N et 90°S). Crédits : NASA/JPL/Université d’Arizona/Université de Nantes

L'étude des chercheurs a été basée sur l'analyse de plus de 10 000 images, prises entre juillet 2004 et décembre 2007 lors  de l’été dans l’hémisphère Sud. Elle a bien confirmé l'apparition de nombreux nuages aux latitudes moyennes tempérées et autour du pôle dans l’hémisphère Sud, ainsi que la persistance d'une épaisse couverture nuageuse au pôle Nord. En revanche, l'évolution de cette couverture nuageuse au cours des saisons semble bien différente des prévisions des météorologues.

En effet, selon les prévisions, les nuages de l’hémisphère Sud auraient  déjà dû disparaître progressivement depuis 2005, alors que l’automne, normalement plus froid et aride, approche. Or, ce n'est pas ce qui est observé en réalité. Les auteurs de l’étude montrent que des nuages apparaissent de façon régulière encore au cours de l’année 2007, laissant à penser que l’hémisphère Sud connait une fin d’été plus chaude et humide que ce qui était prédit. Cette différence avec les modèles climatiques semble indiquer une inertie du système climatique de Titan plus importante que prédite, peut-être liée à l'inertie thermique de sa surface. Le sol de Titan resterait encore suffisamment chaud pour continuer d’évaporer du méthane et former des nuages alors que l’éclairement du Soleil diminue.

D’autres observations par la sonde Cassini, dont la mission pourrait être prolongée jusqu’en 2017, vont s’avérer cruciales. Elles vont permettre de suivre l'évolution de la couverture nuageuse au moment même du basculement de la circulation lors de l'équinoxe, révélant la circulation atmosphérique dans une période de changement rapide. Ces études sont une chance unique pour les scientifiques d'étudier une atmosphère planétaire et de tester des mécanismes similaires à ceux qui sont également à l'oeuvre pour le climat de la Terre.

 

Contact :  

 

Publication :

"Global circulation as the main source of cloud activity on Titan"
S. Rodriguez , S. Le Mouélic , P. Rannou , C. Sotin, G. Tobie , J.W. Barnes, C.A. Griffith, M. Hirtzig, K.M. Pitman, R.H. Brown, K.H. Baines, B.J. Buratti, R.N. Clark, P.D. Nicholson
publié dans la revue Nature du 4 juin 2009, vol  459, pp 678-682: pour une version électronique  (format PDF)

 

Voir aussi :

   Le communiqué de presse commun CEA / CNRS - Université Paris-Diderot
   Le communiqué de presse de l'INSU
   Le communiqué de presse du CNES
   Le communiqué de presse de la NASA (en anglais)

Pour en savoir plus :

   Le site CNES de la mission Cassini-Huygens
   Le site NASA de la mission Cassini (en anglais)

Voir aussi
   Le site CIRS-Cassini du Service d'Astrophysique du CEA/Irfu

 


Note :

[1] L'étude a été réalisée par des chercheurs des laboratoires AIM (CEA, CNRS, Université Paris-Diderot) LPGN (CNRS, Université de Nantes), et GSMA (CNRS, Université de Reims) , associés à l'équipe scientifique de l'instrument VIMS  à bord de la mission Cassini-Huygens :
- Laboratoire de Planétologie et Géodynamique, CNRS, Université de Nantes, France
-Laboratoire AIM, Université Paris 7, CNRS, CEA-Saclay/DSM/IRFU/SAp)
- Groupe de Spectrométrie Moléculaire et Atmosphérique, CNRS, Université de Reims
- LATMOS, CNRS, Université Versailles-St-Quentin
- Jet Propulsion Laboratory, Pasadena, USA
- NASA Ames Research Centre, Moffett Field, USA
- Lunar and Planetary Laboratory, Tucson Arizona, USA
- AOSS, PSL, University of Michigan, USA - USGS, Denver, USA
- Cornell University, Ithaca, USA.

 


Rédaction : Sébastien Rodriguez, Jean-Marc Bonnet-Bidaud

 
#2611 - Màj : 29/06/2009

 

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