11 mars 2019
Mise en évidence des effets de perte d’énergie dans les collisions hadroniques

Suite à une étroite collaboration entre deux laboratoires du plateau de Saclay, l’IRFU/DPhN et l’École Polytechnique/LLR, des résultats phénoménologiques importants ont été publiés dans une revue à fort impact [1] dans le but de mieux comprendre les effets de la matière nucléaire sur la production de différentes particules dans les collisions entre un hadron (un pion ou un proton) et un noyau. Cette étude s’inscrit dans un projet scientifique plus vaste d’étude des effets nucléaires dans les collisions en cibles fixes (faisceaux de quelques centaines de GeV) jusqu’aux collisions issues des collisionneurs à beaucoup plus haute énergie (faisceaux de plusieurs TeV).

 

Les effets nucléaires

1) Pertes d’énergie

Les quarks et les gluons, appelés plus généralement « partons », traversant un milieu – la matière nucléaire froide ou un plasma quarks-gluons chaud et déconfiné – interagissent avec celui-ci et perdent une fraction de leur énergie en rayonnant des gluons (Fig. 1). Ce phénomène de perte d’énergie dans un plasma quarks-gluons fut mis en évidence, pour la première fois par les expériences avec l’accélérateur RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider) aux États-Unis, à travers la suppression de hadrons dans les collisions de noyaux d’Or à haute énergie [2]. Comprendre ces pertes d’énergie d’un point de vue théorique et quantifier leur impact sur les observables physiques est un enjeu fondamental pour l’interprétation des données à toutes les énergies. 

 
Mise en évidence des effets de perte d’énergie dans les collisions hadroniques

Figure 1 : Perte d'énergie d'un parton par rayonnement de gluon due à l'interaction avec le milieu nucléaire.

Mise en évidence des effets de perte d’énergie dans les collisions hadroniques

Figure 2 : Rapport des fonctions de structure Fe sur D obtenu en diffusion profondément inélastique en fonction de la fraction d'énergie x emportée par le quark cible [3].

2) Modifications nucléaires des distributions des partons

Un second phénomène affecte la matière nucléaire froide. Celui-ci fut découvert pour la première fois en 1983 [3] par la collaboration EMC du CERN en étudiant le rapport des sections efficaces de diffusion profondément inélastique sur un noyau de Fer (A=56) et sur un noyau de Deutérium (A=2). Le processus de diffusion profondément inélastique est un processus au cours duquel un photon de haute énergie frappe un nucléon (ou un noyau). Il donne accès aux distributions en énergie des partons dans un nucléon (ou un noyau) encodées dans les fonctions de structure. Le rapport des fonctions de structure du Fe et du D diffère de 1 (Fig. 2), indiquant que ces distributions des partons dépendent du nombre de nucléons dans le noyau. Ce rapport de modification nucléaire des distributions des partons, dont les causes sont encore mal comprises, peut difficilement être calculé avec les techniques actuelles. Sa paramétrisation est alors obtenue via un ajustement global de données expérimentales. Plusieurs groupes (EPPS16, nCTEQ, DSSZ etc.) proposent aujourd’hui différentes paramétrisations en fonction des hypothèses théoriques et des données expérimentales utilisées.

 

Phénoménologie du processus Drell-Yan 

Un autre processus, le mécanisme Drell-Yan, décrit l’annihilation d’un quark et d’un antiquark en un photon qui se désintègre en une paire de muons dans l’état final. Dans une collision entre un hadron et un noyau, le quark provenant du hadron diffuse dans le milieu nucléaire et perd ainsi de l’énergie avant de s’annihiler avec un antiquark, conduisant à une suppression du processus Drell-Yan dans ces collisions. 

Les données préliminaires du processus Drell-Yan d’une expérience menée à Fermilab (USA) à Efaisceau = 120 GeV (Fig. 3) récoltées sur deux cibles nucléaires, W (A=184) et C (A=12), montrent pour la première fois un désaccord net avec la paramétrisation de la modification nucléaire des distributions des partons du groupe EPPS16 [4] (bande bleue).  À l’inverse, le modèle de perte d’énergie (bande rouge) est qualitativement en accord avec les résultats expérimentaux. Ce résultat indique pour la première fois la présence, de manière dominante, des effets de perte d’énergie dans le processus Drell-Yan à cette énergie faisceau. Cet article montre également qu’au-delà d’une certaine énergie (Efaisceau = 800 GeV), les effets de perte d’énergie dans le processus Drell-Yan deviennent négligeables. Ainsi, les futures mesures du processus Drell-Yan au LHC (Large Hadron Collider) permettront d’extraire sans ambiguïté les distributions des partons au sein des noyaux.

 
Mise en évidence des effets de perte d’énergie dans les collisions hadroniques

Figure 3 : Rapport des sections efficaces nucléaires Drell-Yan proton-tungstène (W) sur proton-carbone (C) comparé aux effets de modification nucléaire des distributions des partons (bande bleue) et de pertes d’énergies (bande rouge).

Enfin, la collaboration COMPASS du CERN a récolté des données Drell-Yan à Efaisceau = 190 GeV en 2015 et 2018 sur différentes cibles nucléaires, pour lesquelles des prédictions théoriques ont également été réalisées. Ces données offriront une fabuleuse opportunité de contraindre davantage ces différents effets et ainsi d’apporter un éclairage nouveau sur l’interprétation des données à plus haute d’énergie.  

 

Références

[1] F. Arleo, C.-J. Naïm, and S. Platchkov, “Initial-state energy loss in cold QCD matter and the Drell-Yan process,” J. High Energy Phys., vol. 2019, no. 1, p. 129, 2019.
[2] G.-Y. Qin and X.-N. Wang, “Jet quenching in high-energy heavy-ion collisions,” Int. J. Mod. Phys., vol. 24, no. 11, 2015.
[3] J. J. Aubert et al., “The ratio of the nucleon structure functions F2N for iron and deuterium,” Phys. Lett. B, 1983.
[4] K. J. Eskola, P. Paakkinen, H. Paukkunen, and C. A. Salgado, “EPPS16: nuclear parton distributions with LHC data,” Eur. Phys. J. C, vol. 77, no. 3, 2017.

Contact

Charles-Joseph Naïm

 
#4574 - Màj : 12/03/2019

 

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