20 novembre 2019
Chute libre
Le satellite Microscope conforte le principe d’équivalence d’Einstein

Tester le principe d’équivalence, un principe de base de la relativité générale élaborée par Albert Einstein dont une conséquence est l’universalité de la chute libre des corps dans le vide, tel est l’enjeu du satellite Microscope. Cette mission spatiale, financée et pilotée par le CNES, conçue par l’ONERA en collaboration avec l’Observatoire de la Cote d’Azur, le CNES et le ZARM (Brème, Allemagne),  a été lancée le 25 Avril 2016 avec à son bord l’instrument T-sage développé par l’ONERA. Dans une étude publiée dans la revue Classical and Quantum Gravity, l’équipe Microscope à laquelle participe une chercheuse du DEDIP (Département D’Electronique, des  Détecteurs et d’Informatique pour la Physique)/Laboratoire AIM du CEA-Irfu Paris-Saclay vient de vérifier la validité du principe d’équivalence avec une précision inégalée. En prenant minutieusement en compte les différentes sources de bruits, en mettant à profit une meilleure connaissance de l’instrument et en faisant appel à des outils d’analyse également utilisés en astrophysique, l’équipe a pu améliorer d’un facteur 10 la précédente mesure, rendant ainsi particulièrement robuste les résultats publiés antérieurement et confortant par là-même la validité du principe d’équivalence.

 

Le principe d’Équivalence

Le satellite Microscope (MICROSatellite à trainée Compensée pour l’Observation du Principe d’Équivalence) a pour but de tester le principe d’équivalence qui affirme que tout corps tombe à la même vitesse quelle que soit sa composition ou sa masse, à condition que le champ de gravitation soit le même et que la chute se déroule dans le vide. Ce principe formulé par Galilée dès le XVIIème siècle est à la base de la théorie de la relativité générale, édifiée en 1915. Depuis 400 ans, de nombreuses expériences ont vérifié ce principe avec une précision croissante sans jamais le mettre en défaut. La preuve d’une violation du principe d’équivalence aurait pour conséquence une remise en cause du modèle standard de la physique, l’enjeu est donc d’importance.
Avant le lancement de la mission spatiale Microscope, la validité du principe d’équivalence avait été mesurée au sol avec une précision de 10-13. Cependant, la plupart des théories qui tentent d’unifier les quatre interactions fondamentales, dont la gravité (e.g. les modèles de gravité quantique), prédisent une possible violation de ce principe à des échelles inférieures. Observer une violation du principe d’équivalence constituerait donc une révolution en physique.
L'expérience est réalisée dans l'espace, dans un satellite en orbite autour de la terre pour bénéficier de temps de mesure de plusieurs jours, soit l'équivalent d'une chute libre d'une hauteur de "4 millions de km" pour 120 orbites. La mission Microscope vise à atteindre une précision 100 fois plus grande que celle des tests effectués sur Terre, permettant de contraindre déjà certains modèles de gravité quantique.

 

 
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A gauche une illustration du satellite Microscope (crédit CNES). A droite, un schéma décrivant le concept expérimental de la mission basé sur l'observation du comportement de deux masses différentes placées à l'intérieur du satellite en orbite autour de la Terre (Crédit : ONERA, voir ici pour plus de détails).

La mission Microscope

La mission Microscope embarque à son bord deux accéléromètres ultrasensibles différentiels, chacun constitué de deux masses cylindriques concentriques. Ces masses chutent en continu avec le satellite en orbite autour de la Terre et permettent ainsi de tester le principe d’équivalence. Pour le premier accéléromètre, les deux masses sont de même composition (en alliage de Platine) ce qui sert de référence pour contrôler les erreurs systématiques. Pour le second, les deux masses sont de composition différente (l’une en alliage de Titane et l’autre en alliage de Platine) ce qui permet de détecter une possible violation du principe d’équivalence en mesurant la différence d’accélération entre les deux masses. Dans Microscope, l’instrument mesure des séries temporelles qui correspondent à l’accélération appliquée en fonction du temps aux différentes masses afin de les maintenir immobiles le long de leur orbite autour de la Terre.
La mesure de violation du principe d’équivalence se fait sur la différence d’accélération entre les deux masses. Il faut pour cela détecter un signal (dit différentiel) à la fréquence orbitale sur les données de l’accéléromètre dont les masses sont de composition différente et ne pas le détecter sur l’accéléromètre de référence.

Des outils avancés pour l’analyse des séries temporelles

Pour atteindre la précision désirée, il est indispensable de bien comprendre tous les effets systématiques qui peuvent induire des perturbations sur les données. Parmi ces perturbations, il y a notamment celles causées par l’imperfection de l’instrument qui peuvent être finement modélisées et étalonnées ou bien encore les évènements imprévisibles à l’intérieur ou à l’extérieur du satellite qui peuvent obliger à jeter certaines données. A cela s’ajoute un bruit dit « coloré » qui affecte essentiellement les hautes fréquences (voir la figure ci-dessous) dont l’origine est essentiellement électronique. Tous ces effets ont un impact sur la qualité de la mesure en termes de biais et de précision. C’est dans ce cadre qu’une chercheuse du laboratoire AIM a contribué dans le traitement des données de la mission.
En mettant ainsi à profit son expérience dans le développement de méthodes de traitement de données et ses applications à l’astrophysique (notamment pour la production de carte de matière noire à partir des effets de lentille gravitationnelle faible), son expertise a contribué au développement et amélioration de la délicate chaîne de traitement.

 
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Représentation du signal différentiel en fréquence pour l’accéléromètre de référence obtenue à partir des mesures (en bleu). Les courbes rouge et noire représentent respectivement le modèle du bruit avant et après le lancement, montrant ainsi la qualité de la modélisation du bruit avant lancement.

Combler les « trous » dus à l’absence de données

Ce travail est le fruit d’une collaboration entre le laboratoire AIM et l’ONERA qui a été initiée en 2014 dans le cadre d’un projet exploratoire financé par le Labex Univearths. Le but de ce projet était de voir comment traiter les données manquantes de Microscope, en présence d’un bruit fortement coloré. Les données manquantes dans Microscope sont de deux types, les vraies données manquantes dues à des problèmes de transmission de télémétrie et les données que l’on masque parce qu’elles sont perturbées par des évènements extérieurs (e.g. impact de micrométéorites, saturation de l’instrument suite à des craquements mécaniques).
Les données manquantes ou masquées en présence de bruit coloré ont pour effet d’augmenter significativement le niveau du bruit autour de la fréquence orbitale, diminuant ainsi la précision avec laquelle le principe d’équivalence peut être mesuré (voir la figure ci-dessous).
Pour traiter ces données manquantes, une méthode d’interpolation dite d’inpainting-MCA a été introduite à la chaine de traitement des données de Microscope. L’application aux données Microscope a nécessité une adaptation des algorithmes afin de tenir compte des caractéristiques du bruit coloré présent dans Microscope qui amplifie le niveau de bruit résiduel. Cette méthode qui s’appuie sur de nouvelles représentations des données permet de réduire considérablement le niveau de bruit à l’endroit où l’on cherche à détecter une possible violation du principe d’équivalence (voir figure ci-dessous).

 

 
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Représentation du signal différentiel en fréquence : Les courbes bleue et noire représentent respectivement le modèle du bruit avec et sans données manquantes, avant lancement. Les courbes verte et rouge montrent les résultats obtenus avec deux méthodes différentes d’inpainting-MCA. Un exemple d’une possible violation du principe d’équivalence à 3x10-15 est montré par le pic à 1.8x 10-4 Hz.

Au-delà de la mission Microscope, les algorithmes d’inpainting-MCA ont déjà été intégrés à d’autres chaînes de traitement par des chercheurs du laboratoire AIM. Ils ont été intégrés à la chaîne de traitement de la mission CoRoT. Ils sont également en cours d’intégration sur la chaine de traitement des données du satellite Euclid qui sera lancé en 2022.
Une étude en cours, menée par des chercheurs d’AIM (laboratoire LCS), de l’ONERA et du Goddard Space Flight Center de la NASA, examine également la possibilité d’appliquer ces méthodes aux données de la mission LISA.

L’objectif final de la mission Microscope est d’améliorer le résultat présenté ici d’un facteur dix en utilisant l’ensemble des données obtenues durant la mission et des méthodes d’analyse puissantes et originales, empruntées comme ici à l’astrophysique. Avec une précision de mesure de 10-15, la mission spatiale Microscope permettra d’atteindre une précision 100 fois meilleure que la précision des expériences réalisées à l'heure actuelle sur Terre ou par tir laser sur la Lune.

 

Contact CEA :  Sandrine Pires

Publications : Ces travaux sont publiés dans la revue Classical and Quantum Gravity

"Space test of the Equivalence Principle: first results of the MICROSCOPE mission", P. Touboul, G. Metris, M. Rodrigues, Y. André, Q. Baghi, J. Bergé, D. Boulanger, S. Bremer, R. Chhun, B. Christophe, V. Cipolla, T. Damour, P. Danto, H. Dittus, P. Fayet, B. Foulon, P.-Y. Guidotti, E. Hardy, P.-A. Huynh, C. Lämmerzahl, V. Lebat, F. Liorzou, M. List, I. Panel, S. Pires, B. Pouilloux, P. Prieur, S. Reynaud, B. Rievers, A. Robert, H. Selig, L. Serron, T. Sumner, P. Viesser, accepted in CQG, September 2019

Voir également :

Le site Microscope à l'ONERA
Le site Microscope au CNES

Voir : Communication du Service d'Astrophysique

 

Rédaction : S. Pires, C. Gouiffès

 
#4686 - Màj : 22/11/2019

 

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