20 décembre 2019
L’étau se resserre autour des neutrinos du cosmos
L’étau se resserre autour des neutrinos du cosmos

Télescope SDSS situé à l’Observatoire d’Apache Point au Nouveau Mexique aux Etats-Unis. Il permet entre autres d’étudier les quasars (crédit : Collaboration SDSS)

Une équipe du département de physique des particules (DPhP) de l'Irfu, vient de mener l’étude la plus précise à ce jour portant sur la masse de neutrinos cosmiques, comprenant à la fois des neutrinos du modèle standard et des neutrinos stériles contribuant à la matière noire.  

Les chercheurs ont exploité les spectres de près de 200 000 quasars lointains mesurés par le projet eBOSS du Sloan Digital Sky Survey (SDSS), qui leur ont permis de cartographier la répartition de l’hydrogène à des époques très reculées de l’histoire de notre univers, il y a dix à douze milliards d’années de cela.

Les neutrinos, se propageant à des vitesses relativistes durant des milliards d’années, empêchent la gravité d'agir à petites échelles et lissent les structures (amas de galaxies, filaments,…) révélées par les spectres des quasars.  Grâce à la précision des mesures, les chercheurs ont pu resserrer le domaine possible pour la masse des neutrinos cosmiques, au point d’avoir leur mot à dire sur la façon dont sont ordonnées les différentes masses des trois neutrinos du modèle standard.

 

Encore plus de quasars avec le télescope SDSS :

Le SDSS a mesuré les spectres de près de 200 000 quasars. Ces astres sont de véritables monstres cosmiques dont la voracité du trou noir central, quelques millions à milliards de fois plus lourd que notre Soleil, chauffe la matière qui s’y engouffre et émet alors autant de lumière qu’une galaxie entière. Les quasars sont ainsi parmi les sources les plus brillantes de l’Univers, visibles à des milliards d’années-lumière de nous. La lumière qu’ils émettent, il y a plus de dix milliards d’années, est partiellement absorbée sur sa trajectoire par l’hydrogène qui constitue l’essentiel du milieu intergalactique. Les marques laissées par cette absorption dans le spectre des quasars distants permettent de cartographier l’hydrogène cosmique. A partir d’une sélection stricte des spectres de quasars comportant l’information la plus robuste et moyennant une étude rigoureuse de l’ensemble des effets pouvant altérer le résultat, l’équipe du DPhP a obtenu la mesure la plus précise à ce jour des propriétés statistiques de la répartition spatiale de l’hydrogène intergalactique. En outre, cette nouvelle publication remonte encore plus tôt dans l’histoire de l’Univers, en ajoutant de nouvelles mesures pour des quasars vieux de plus de 12 milliards d’années.

 
L’étau se resserre autour des neutrinos du cosmos

Les oscillations observées pour les neutrinos atmosphériques et les neutrinos solaires ne permettent de mesurer que la différence des masses au carré et non la masse absolue des neutrinos. Si la masse la plus faible est quasi nulle, la somme minimale des masses des neutrinos compte deux fois le terme de différence de masse au carré dans le cas de la hiérarchie de masse inversée, et une seule fois dans le cas de la hiérarchie normale.

La masse des neutrinos du modèle standard :

Ces résultats sont cruciaux sur plusieurs points. Pour les neutrinos cosmiques tout d’abord. Ces particules sont les plus légères de la panoplie des physiciens des particules, et leur masse absolue n’est toujours pas connue. A ce jour seules des limites, supérieures ou inférieures (selon les techniques considérées) sont connues.

Or les neutrinos sont remarquablement abondants, pas moins de 360 neutrinos par cm3 dans l’Univers, presque autant que de photons. Se propageant à des vitesses relativistes durant des milliards d’années, les neutrinos ralentissent les effondrements gravitationnels qui donnent naissance aux galaxies et amas de galaxies, mais aussi aux filaments d’hydrogène. Leur impact sur la répartition de la matière, et a fortiori de l’hydrogène, dans l’univers va les trahir. C’est par ce moyen que les chercheurs repèrent leur trace, et peuvent en déduire leur masse. Grâce à une analyse conjointe des dernières mesures du SDSS et du satellite Planck, les chercheurs du DPhP ont pu établir que la somme des masses des trois espèces de neutrinos ne pouvait excéder 0.11 eV à 95% de confiance, limite ramenée à 0.09 eV lorsque l’on rajoute d’autres contraintes cosmologiques, telles que la mesure de l’échelle des Oscillation Acoustiques Baryoniques, ou BAO (voir fait marquant 2017)

A ce niveau de précision, le résultat obtenu défavorise le scénario selon lequel deux des trois espèces ne neutrinos se distingueraient par des masses sensiblement plus élevées (hiérarchie de masse dite inversée), ce qui conduirait à une somme de leurs masses d’au moins 0.10 eV, au contraire de l’hypothèse naturelle d’un seul neutrino notablement plus lourd que les deux autres (hiérarchie de masse dite normale) et permettant une somme des masses de l’ordre de 0.06 eV seulement, comme le montre la figure ci-contre.

 

A la recherche de matière noire avec les neutrinos stériles :

Ces nouvelles mesures permettent également de renforcer notre compréhension de la nature de la matière noire, sous forme de "matière noire tiède". Il s’agit de particules de matière noire qui ont une masse de l'ordre du keV. Dans ce cas, leurs vitesses sont encore très importantes au tout début de la formation des structures, et le flot associé empêche la gravité d'agir à petite échelle, ce qui est visible à nouveau dans la répartition de l’hydrogène dans l’univers.  Ces particules pourraient être des neutrinos stériles, hypothèse d’autant plus intéressante que des observations astrophysiques en rayons X d'amas de galaxies par le satellite XMM ont identifié une raie à 3.5 keV. Cette raie pourrait correspondre à un photon issu de la désintégration d’un neutrino stérile en un neutrino normal et un photon, qui se distribuent à part égale l'énergie avant désintégration. Donc un neutrino stérile de 7 keV donnerait naissance à un photon de 3,5 keV. 

En étudiant un Univers encore plus lointain, et donc plus primordial, ces nouvelles mesures sont bien plus sensibles à l’existence de matière noire tiède sous forme de particules de masse de l’ordre du keV. Elles ont donné d’ailleurs, des limites plus de deux fois plus élevées que les publications antérieures.  Ces mesures excluent les particules de matière noire tiède de moins de 10 keV ce qui correspond à des masses de neutrinos stériles de 80 keV, dans le modèle le plus simple de production (il existe une correspondance entre la masse d'une particule de de matière noire tiède d'origine thermique et la masse d'un neutrino sterile : 10 keV pour le premier correspond à 80 keV pour le second).

 
L’étau se resserre autour des neutrinos du cosmos

Simulations montrant l’impact de particules relativistes (tels des neutrinos ou de la matière noire tiède) sur la répartition de la matière dans l’univers. En haut : sans matière noire tiède ni neutrinos, en bas : avec des particules relativistes.

Contact : Nathalie Palanque-DelabrouilleChristophe YECHE

 


Publications :

  • The onedimensional power spectrum from the SDSS DR14 Lyman-alpha forests, JCAP 07, 017 (2019) – arXiv:1812.03554
  • Hints, neutrino bounds, and WDM constraints from SDSS DR14 Lymanalpha and Planck full-survey data, soumis à JCAP  – arXiv:1911.09073

 
#4723 - Màj : 16/01/2020

 

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