04 juin 2021
Analyse d’une explosion cosmique exceptionnelle
Analyse d’une explosion cosmique exceptionnelle

Illustration des télescopes de H.E.S.S. détectant les gerbes de particules issues de l'interaction des photons de hautes énergies. dans l'atmosphère. © DESY - Science Communication Lab

Le 29 août 2019, les scientifiques de la collaboration H.E.S.S. enregistrent une explosion cosmique parmi les plus brillantes jamais observées dans l’Univers. Ce sursaut gamma a émis les photons les plus énergétiques jamais détectés dans ce type d’événement. Sous la direction des chercheurs de l’Irfu, les observations ont continué pendant plusieurs jours. L’analyse des données recueillies remet en question l’origine des rayons produits lors de l’explosion. Ces résultats font l’objet d’une publication par l'équipe internationale à laquelle participent des chercheurs du CEA et du CNRS dans la revue Science le 4 juin 2021.

H.E.S.S. , situé en Namibie, est un système de cinq télescopes atmosphériques imageurs Cherenkov qui étudie les rayons cosmiques depuis 2003. En 2016, les caméras des quatre premiers télescopes  ont été entièrement remises à neuf en utilisant une électronique de pointe et en particulier la puce de lecture NECTAr conçue par un laboratoire du DEDIP/Irfu.

L'analyse de ce sursaut gamma exceptionnel a été pilotée par un physicien du groupe d'astroparticules du DPHP/Irfu.

 

"Les sursauts gamma sont des flashs lumineux de rayons X et gamma observés dans le ciel, émis par des sources extragalactiques lointaines", explique Edna Ruiz Velasco du MPIK à Heidelberg en Allemagne, l'un des auteurs correspondants de l'article. "Ce sont les explosions les plus violentes de l'Univers et celles qui durent plus de quelques secondes sont vraisemblablement associées à l'effondrement d'une étoile massive en un trou noir".

Les émissions des sursauts se divisent en deux phases distinctes :

  • la première, dite phase d’émission rapide et brillante, ne dure que quelques secondes,
  • la seconde phase quant à elle est plus lente, elle se fane plus doucement et peut persister plusieurs jours, voire plusieurs semaines. L’émission de rayons à haute énergie lors de la deuxième phase surnommée « rémanence », est provoquée par l’accélération d’électrons dans les chocs, résultants de l’explosion, dans les milieux ambiants de l’étoile morte.
 
Analyse d’une explosion cosmique exceptionnelle

Les différentes étapes du model de la boule de feu souvent utilisé pour décrire l'émission des sursauts gamma. Crédit : NASA.

Analyse d’une explosion cosmique exceptionnelle

Image par le télescope optique GTC du
sursaut gamma GRB190829A
et de son galaxie hôte
J025810.28- 085719.2.
Crédit Hu, et al. (2021).

L’observation exceptionnelle du sursaut gamma parmi les plus proches jamais enregistrés

Le sursaut GRB19829A a été détecté par les observatoires spatiaux Fermi et Swift le 29 Aout 2019. Le sursaut lui-même n’est pas exceptionnellement brillant. Cependant, il a été localisé dans une galaxie relativement proche : son décalage au rouge, le ‘redshift’, a été mesuré par le télescope optique GTC à z= 0.0785 (correspondant quand même à ~1.1 milliard années lumières). La détection d’un sursaut gamma si proche est un évènement exceptionnel et rare. À titre de comparaison, les sursauts typiques se situent à environ 20 milliards d'années-lumière.

L'équipe a capté la rémanence de l'explosion dès qu'elle est devenue visible pour les télescopes H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System) en Namibie. "Le signal était suffisamment fort pour être détecté immédiatement ! Cela nous a permis d'informer rapidement la communauté mondiale", note Fabian Schüssler du CEA-Irfu qui coordonne l’équipe en charge de l’analyse de ce sursaut gamma.

 

Observations du GRB190829A avec H.E.S.S.

H.E.S.S. a observé le sursaut GRB190829A la nuit suivant la détection par les instruments spatiaux et a immédiatement détecté un signal de rayons gamma à très hautes énergie.

Sous la direction des chercheurs de l’Irfu, les observations ont continué pendant plusieurs jours et les analyses ont révélé que le signal était visible pendant trois jours consécutifs avec une significativité statistique de 21.7 σ, 5.5 σ et 2.4 σ. Les données obtenues par H.E.S.S. couvrent donc la période de 4 heures à 56 heures après la détection du sursaut. Un record ! Un autre record est établi par l’énergie des rayons gamma : jusqu’à 3.3 TeV ! Du jamais vu venant d’un sursaut gamma. Ces observations ont donc permis d’établir fermement la présence de rayons gamma de très haute énergie dans l’émission rémanente des sursauts gamma.

Mais comme toute découverte scientifique, elles ont aussi ouvert de nouvelles questions : Comment sont créés ces photons d’une telle énergie ? Les modèles théoriques les plus utilisés jusque-là n’arrivent pas à reproduire les observations et doivent être modifiés…

 

Une observation qui remet en question la théorie des sursauts gamma dans l'Univers

L’analyse des observations du GRB190829A avec H.E.S.S. a établi quatre résultats principaux exceptionnels :

  1. L’observation de rayons gamma à très hautes énergies émanant du sursaut gamma avec une durée sans-précèdent de ~3 jours. Cela a permis pour la première fois la mesure de l’évolution temporelle du flux à très haute énergie.
  2. L’évolution temporelle du flux des rayons gamma à très hautes énergies observée est similaire à l’évolution du flux des rayons X de façon frappante. Cela peut indiquer que les rayons X et les rayons gamma, séparés par 8 ordres de grandeur en énergie, ont une origine commune.
  3. La proximité du sursaut gamma le rend moins susceptible à l’absorption causée par la lumière diffuse du fond extragalactique. Ce fait, combiné avec les performances exceptionnelles de H.E.S.S. a permis de mesurer de façon précise le spectre intrinsèque de la source entre les énergies de 0.18 TeV à 3.3 TeV.
  4. Le spectre des rayon gamma à très haute énergie est décrite par une loi de puissance avec un index gamma = 2.06. Combinés avec des observations à d’autres longueurs d’onde cela a permis de mettre en lumière des problèmes avec le paradigme d'émission basé sur le modèle d’émission le plus courant et observé dans d’autres sources astrophysiques : des électrons accélérés qui émettent des rayons X par l’effet synchrotron combinés avec une émission à très haute énergie dû aux interactions Compton entre les électrons et les photons X (le processus « Synchrotron self-Compton »).
 
Modèles théoriques multi-longueurs d'onde déduits des observations de la première (haut) et deuxième (bas) nuit. Les lignes oranges représentent le modèle synchrotron et les lignes bleues représentent le modèle synchrotron self-Compton
 
Analyse d’une explosion cosmique exceptionnelle

Courbe de lumière des rayons X, et rayons gamma observée du sursaut GRB190829A. L’évolution de la courbe de lumière déduite par les observations H.E.S..S et la courbe de lumière des rayon X déduite des observations du satellite Swift sont similaires.

Evènements de rayons gamma dans H.E.S.S. lors de la première nuit d'observation du sursaut GRB190829A Cette vidéo montre les évènements de rayons gamma dans le champ de vue de H.E.S.S. lors de la première nuit d'observation du sursaut GRB190829A sans soustraction du bruit de fond. Durant les observations des rayons gamma à très haute énergie depuis le sol, le bruit de fond causé par les rayons cosmiques qui bombardant notre atmosphère est tellement grand qu’il nécessite un filtrage des évènements du fond. Cependant après ce filtrage 99% des particules détectées proviennent toujours du fond ! En général ce n’est qu’après une deuxième étape de soustraction du bruit que les rayons gamma peuvent être distingués. Le flux venant du sursaut GRB19829A est si élevé que nous pouvons voir l'accumulation des rayons gamma au centre sans soustraire le bruit en question. 
(Réalisation : ASHKAR Halim, 04-06-2021)

 

 

Perspectives prometteuses

H.E.S.S. a pu suivre la rémanence jusqu'à trois jours après l'explosion initiale” explique Fabian Schüssler. Le résultat a été surprenant : les observations ont révélé de curieuses similitudes entre les émissions de rayons X et de rayons gamma de très haute énergie de la rémanence de l'explosion. Contrairement aux théories établies qui supposent que les deux composantes de l'émission doivent être produites par des mécanismes distincts, les observations de la rémanence du GRB 190829A montrent que les rayons X et rayons gamma ont diminué de manière synchronisée. De plus, le spectre en énergie des rayons gamma correspond clairement à une extrapolation du spectre des rayons X. Ces résultats indiquent que les rayons X et les rayons gamma de très haute énergie de cette rémanence ont été produits par le même mécanisme et en même temps.


"La portée de cette possibilité souligne la nécessité de poursuivre les études sur l'émission de rémanence des sursauts gamma à très haute énergie", note Mathieu de Naurois, directeur adjoint de l'observatoire H.E.S.S. et chercheur au LLR, France.

GRB 190829A est seulement le quatrième sursaut gamma détecté depuis le sol. Cependant, les explosions détectées précédemment se sont produites beaucoup plus loin dans le Cosmos et leur rémanence n'a pu être observée que pendant quelques heures chacune et pas à des énergies supérieures à 1 téra-électronvolt.
Les perspectives de détection des sursauts gamma par les instruments de prochaine génération semblent prometteuses : les scientifiques s'attendent à ce que des détections régulières dans la bande de très haute énergie deviennent courantes avec des instruments améliorés, ce qui aidera à comprendre pleinement ces explosions cosmiques gargantuesques.

Référence :

Revealing x-ray and gamma ray temporal and spectral similarities in the GRB 190829A afterglow; H.E.S.S. collaboration; Science, 2021; DOI: 10.1126/science.abe8560

Contact Irfu: Fabian SCHUSSLER 

En Savoir Plus:

communiqué de presse CEA/CNRS

communiqué de presse de DESY

 

 
#4938 - Màj : 09/09/2021

 

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