12 mars 2019
Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois

Dans le cadre des améliorations de l’expérience ALICE auprès de l’accélérateur LHC du CERN, un nouveau trajectographe, appelé Muon Forward Tracker (MFT), est en cours de fabrication. Ce détecteur, dont l’Irfu est l’un des contributeurs principaux, est constitué de capteurs pixélisés en silicium micro-connectés à des circuits imprimés flexibles qui sont eux-mêmes collés sur des disques concentriques. Le prototype d’un de ces disques a été testé pour la première fois sous faisceau au CERN pendant l’été 2018. Le MFT permettra de déterminer le point d’origine des muons détectés par ALICE, ouvrant ainsi le champ à un nouveau programme de physique concernant l’étude du plasma de quarks et de gluons (QGP).

 
Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois

Figure 1 : (Gauche) Ligne de faisceau T10 auprès de l’accélérateur PS au CERN (Crédit Collaboration MFT). (Droite) Montage du prototype de disque du détecteur MFT (Crédit Collaboration MFT)

Samedi 23 juillet 2018, hall expérimental de la ligne faisceau T10 du Proton Synchrotron (PS) du CERN (Figure 1 gauche), il fait beau et chaud ! Après plusieurs jours de préparation et réglages, tout est prêt pour appuyer sur le bouton qui permet de diriger le faisceau sur le tout dernier prototype d’un disque du futur détecteur MFT (Muon Forward Tracker) (Figure 1 droite). C’est une première et l’attente est grande. On regarde avec espoir l’écran qui montre le comptage des coups sur chaque pixel et, magie, la forme du faisceau apparaît. Les puces du MFT voient le faisceau !

 

L’aventure a démarré peu après 2010, lorsque les physiciens de l’expérience ALICE au LHC, dans laquelle l’Irfu est impliqué depuis le début, ont commencé à réfléchir à un programme d’amélioration du détecteur. Le but était de pouvoir proposer un programme de physique au-delà ce qui avait déjà été étudié jusqu’à présent. En effet, les physiciens de l’expérience ALICE cherchent à créer un état de la matière, appelé plasma de quarks et de gluons (QGP), qui aurait existé quelques microsecondes après le Big Bang, au moyen de collisions d’ions lourds (plomb) à des vitesses ultra-relativistes. La caractérisation du QGP produit lors de ces réactions est assurée par le détecteur ALICE via la détection d’un grand nombre de signatures. Parmi elles, l’étude de la décroissance en paires de muons des mésons lourds (formés de quarks c et b), nécessite une grande précision sur la reconstruction des trajectoires des muons. Cette tâche importante est assurée par un spectromètre vers l’avant, construit au début des années 2000 grâce, entre autres, à la très forte implication de l’Irfu. Or, entre ce spectromètre et le point de collision des ions lourds, se situe un grand absorbeur qui arrête toutes les particules produites lors de la collision, à l’exception des muons. Ceci permet de reconstruire assez aisément la trajectoire de ces derniers et confère au spectromètre une bonne précision, mais en même temps, à cause de la diffusion des muons dans l’absorbeur, rend impossible toute détermination du vertex dont les muons proviennent. C’est pour surmonter cette limitation et ouvrir la voie à de nouvelles mesures jusqu’à présent impossibles dans ALICE, qu’un nouveau détecteur, appelé MFT, a été imaginé (Figure 2). Il sera placé avant l’absorbeur, afin de reconstruire la trajectoire des muons avant qu’ils ne soient soumis à la diffusion. En combinant les trajectoires reconstruites dans l’actuel spectromètre à celles reconstruites par le MFT, une détermination précise du vertex de production sera enfin possible. Ceci permettra, entre autres, de séparer les muons venant de la décroissance des mésons formés de quarks c de ceux formés de quarks b.

 
Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois

Figure 2 : Schéma du détecteur MFT : les 5 disques concentriques hébergent les échelles verticales, chacune avec ses puces (crédit Collaboration MFT)

Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois

Figure 3 : Machine d’assemblage automatique des échelles dans la salle blanche du CERN (crédit Ph. Stroppa/CEA)

Ce nouveau détecteur à muons sera constitué de capteurs silicium pixellisés qui intègreront en leur sein toute l’électronique de lecture frontale. Ce capteur silicium, élément de base du détecteur MFT, s’appelle ALPIDE et a été développé dans le cadre d’une collaboration entre le CERN et de nombreux laboratoires internationaux, dont l’Irfu. Il s’agit d’une puce monolithique de dimension 3 cm x 1,5 cm et d’une épaisseur de 50 µm, de type CMOS (Complementary Metal Oxide Semiconductor), fabriquée par un procédé à la pointe de la technologie. Ces puces sont assemblées sur des circuits flexibles en aluminium et connectées par micro-pontage ultrasons, ce qui donne lieu à ce qu’on appelle des « échelles ». La production de quelques 500 échelles, sous la responsabilité de l’Irfu, est effectuée au CERN dans une salle blanche par un procédé totalement automatisé(1) (Figure 3) dont le développement a demandé plusieurs années d’efforts.

 

Une fois assemblées et caractérisées, les échelles (Figure 4) sont collées sur cinq disques concentriques de diamètre croissant pour former un cône (Figure 2). Chaque disque est constitué d’un sandwich composé de deux plans de détection (les échelles) collés sur un élément très léger en fibre de carbone et en mousse, qui assure la stabilité mécanique et le refroidissement des puces grâce à des capillaires encastrés dans la fibre de carbone, dans lesquels circule de l’eau. 

 
Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois

Figure 4 : Echelles du MFT dans leur boîtier de transport (Crédit Collaboration MFT)

Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois

Figure 5 : Distribution du bruit (en unités d’électrons) dans les pixels d’une puce installée sur une échelle. Le bruit électronique moyen est de seulement 5 électrons.

C’est justement le premier prototype fonctionnel d’un de ces disques que les équipes du projet MFT ont mis sous faisceau pour en déterminer les caractéristiques. Après trois semaines de mise en route et de prise de données puis quelques mois d’analyse détaillée, les physiciens sont satisfaits du résultat. En effet, les puces ont fonctionné de manière nominale : d’une part, le niveau de bruit électronique (Figure 5) mesuré sur le disque lors des tests sous faisceau est d’environ 5-6 électrons (à comparer à l’amplitude typique des signaux physiques qui est autour de la centaine d’électrons) donc du même ordre que celui mesuré sur les échelles isolées lors de leur qualification après assemblage. D’autre part, la résolution en position des traces des particules du faisceau (des pions de 5 GeV), obtenue par un algorithme de trajectographie très simplifié, est de l’ordre de 30 µm (Figure 6), ce qui est conforme aux résultats attendus par simulation et permet déjà la mise au point d’une procédure d’alignement.

 

Ces résultats très encourageants confirment les nombreux choix techniques effectués tout au long du projet et valident les procédures d’assemblage et de caractérisation. Il ne reste plus qu’à continuer la production des échelles et des disques qui vont composer le détecteur MFT, dont l’installation dans la caverne de l’expérience ALICE est prévue au printemps 2020. Les physiciens, ingénieurs et techniciens du projet ont du pain sur la planche (ou du saucisson(2)…) et les mois à venir vont être chargés. Leur effort sera néanmoins récompensé par la certitude d’avoir contribué à un beau projet technique, ouvrant la voie à des mesures de physique qui seront sûrement riches en résultats et découvertes passionnantes au sujet des propriétés du QGP. 

 
Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois

Figure 6 : Résolution en position d’un disque au cours du temps pendant la prise de données. La résolution moyenne est de 27 µm et 29 µm respectivement pour la face avant et la face arrière du disque. On apprécie la variation de résolution lorsque les données sont accumulées de jour (points correspondants aux heures représentées en abscisse en jaune et vert) ou de nuit (gris et noir). Cet effet est principalement dû à la dilatation thermique du support du disque qui, bien que petite, est mesurable par l’excellente résolution des échelles.

(1) http://www.lhc-france.fr/spip.php?article1086 
(2) http://www.lhc-france.fr/spip.php?article1097

Liens utiles :

http://irfu.cea.fr/dphn/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast_sstechnique.php?id_ast=4107&id_groupe=500 
http://cds.cern.ch/record/1981898 

Contacts :

Stefano Panebianco
Cyrille Vuillemin
Charlotte Riccio
 

 

 
#4573 - Màj : 20/03/2019

 

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