14 septembre 2009
Un célibataire pour trois familles
A Fermilab, la découverte d’un mode rare de production de quark top affermit le modèle standard de la physique des particules.
Un célibataire pour trois familles

Fermilab sous la neige

Le quark top est une particule élémentaire étonnante. Il est le plus lourd des six quarks du modèle standard de la physique des particules puisqu’il « pèse » autant qu’un atome d’or. Il est aussi particulièrement fugace et se désintègre en d’autres particules avant même de former des particules « composites » comme le font les autres quarks plus légers. Il a été découvert en 1995 par les expériences D0 et CDF au Fermilab près de Chicago, le seul accélérateur de particule suffisamment puissant pour produire cette particule élémentaire de masse si élevée. Jusqu’ici, les deux expériences n’avaient observé le top que dans la production de paires quark-antiquark. Elles viennent de mettre en évidence un autre type de réaction encore plus rare où un seul quark top est produit en « célibataire ». Au-delà de la prouesse expérimentale, cette découverte qui a fait l'objet d’un article dans la revue Physical Review Letters1, permet de mesurer un des paramètres du modèle standard et confirme que les six quarks que nous connaissons sont les seuls nécessaires.  

  

 
Un célibataire pour trois familles

Figure 1. La production par paire « quark top + antiquark top » passe par l’intermédiaire d’un gluon, vecteur de l’interaction nucléaire forte. Crédit: D0 collaboration.

 

 

Un mode de production rare du quark top

 

Jusqu'à présent, les quarks top n'avaient uniquement été observés que dans les paires produites par des réactions où entre en jeu l'interaction nucléaire forte (figure 1). Dans les collisions des protons et antiprotons de très haute énergie accélérés par le Tevatron, un quark et un antiquark des projectiles s'annihilent pour former momentanément un gluon - la particule qui véhicule l'interaction forte - qui se peut se désintégrer en une paire formée d'un quark top et de son antiparticule. Ces quarks eux-mêmes se désintègrent en donnant naissance à des jets de particules que l'on observe et identifie dans les détecteurs. C'est l'étude de cette réaction qui a permis la découverte du top par les expériences D0 et CDF à Fermilab en 1995.

 

Le modèle standard autorise aussi un autre mode de production de quark top dans des réactions pilotées par la force nucléaire faible. Ici, au lieu d'une paire de quark-antiquark, on ne fabrique qu'un seul top L'apparition de ce quark « célibataire » dans les collisions proton-antiproton passe alors par la désintégration du boson W, un des vecteurs de l'interaction nucléaire faible (figure 2).

 

Ce mode de production est deux fois plus rare que celui qui a conduit à la découverte de 1995 et ne concerne qu'une collision sur 20 milliards !  Pour corser l'affaire, les caractéristiques des événements recherchés sont extrêmement proches de celles d'autres processus beaucoup plus fréquents qui vont former un bruit de fond intense qui masquera partiellement le signal.

 
Un célibataire pour trois familles

Figure 2. Diagrammes de production du quark top célibataire, via un boson W, vecteur de l’interaction faible. Dans les deux cas, le quark top peut se désintegrer en un quark beau, un lepton et un neutrino. Crédit: D0 collaboration.

 

 

 

 

La mise en évidence de la production d'un quark top célibataire n'est pas qu'une prouesse technique. Elle permet en fait de mesurer d'une manière directe un paramètre crucial du modèle standard, le paramètre Vtb qui lie les trois « familles 2» de quarks. La théorie prévoit que ce paramètre doit être proche de l'unité. Un écart important par rapport à la valeur prévue, Vtb = 1, impliquerait une modification de la théorie et l'inclusion de quarks supplémentaires ou d'autres particules fondamentales. À l'inverse, un accord entre expérience et théorie sur cette valeur viendrait confirmer qu'il n'y a que trois familles de particules élémentaires.

 

 

Un défi pour l'analyse des données

 

L'analyse expérimentale du canal de production de top célibataire avec son très faible taux de production est un véritable défi. Elle repose sur des analyses statistiques raffinées (réseau de neurones, arbres de décision...) et sur une modélisation détaillée des bruits de fonds qui ont a permis l'identification du signal de façon la plus fiable possible.

 

A tout événement, présentant le bon état final (deux jets de quark b accompagnés d’un lepton chargé et d’un neutrino), on associe un paramètre -un facteur discriminant - calculé selon ses caractéristiques. Plus celui-ci est proche de l’unité, plus l’événement ressemble aux purs événements de top célibataire issus de la simulation. Les distributions du facteur discriminant sont présentées sur la figure 3. Le zoom sur les valeurs supérieures à 0,8 montre que pour reproduire l’expérience (points noirs), il est absolument nécessaire d’inclure des événements produisant des quarks célibataires (partie bleue notée tb+tqb, correspondant aux deux diagrammes de la figure 2). L’identification expérimentale de la production de quarks top célibataires a demandé plusieurs années d’efforts et de travail qui ont porté leur fruit : il y a une chance sur 4 millions que les trop rares évènements de top célibataire identifiés proviennent d’autres sources plus classiques ! Cette probabilité est si petite que la collaboration D0 a pu sans risque annoncer cette découverte.

 

La mesure du taux de production de quark célibataire a donné accès au paramètre  |Vtb|

dont la valeur mesurée est de 1,07 ± 0,12 . Cette première mesure directe est en accord avec la prédiction théorique du modèle standard qui prédit |Vtb| = 1 si l'on suppose qu'il y a  trois familles de particules fondamentales. Encore une fois, le modèle standard apparait invincible, même dans ses moindres recoins !

 
Un célibataire pour trois familles

Figure 3. Un événement « signant » la production de quark célibataire dans D0. Le quark top se désintègre en produisant un jet de quark beau, un muon et un neutrino. Crédit: D0 collaboration.

Un célibataire pour trois familles

Figure 4. Un diagramme de production du boson de Higgs menant à un état final (particules détectées) similaire à celui de la production du quark top célibataire (cf figure 2). Crédit: D0 collaboration.

La quête du boson de Higgs se poursuit au Fermilab

 

Les techniques d'analyses développées pour ces travaux difficiles sont maintenant utilisées pour la recherche du boson de Higgs dont la détection repose sur des caractéristiques très similaires (figure 5) et donc sur des bruits de fond semblables à ceux pris en compte pour identifier notre fameux célibataire.

 

L'accumulation d'un nombre encore plus grand de données jusqu'en 2010 et le développement de ces techniques d'analyse vont encore augmenter le potentiel de découverte du Tevatron où la chasse au boson de Higgs reste toujours ouverte.

 

Le SPP de l'Irfu ainsi que des équipes de l'IN2P3 ont étés très engagés dans la recherche de la production de quark top célibataire et un physicien du SPP est coresponsable des analyses sur le quark top dans D0 .

 

1. Phys. Rev. Lett. 103, 092001 (2009)

2. Le modèle standard de la physique des particules regroupe les quarks et les leptons en trois familles structurées de façon identique. Chacune d'elle est en effet composée de deux quarks et de deux leptons.

                 

  

 

 

Marc BESANCON (SPP)

Frédéric DELIOT (SPP)

Contacts :

 
#2628 - Màj : 28/09/2009

 

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