23 juillet 2021
Des sous-halos de matière noire parmi les sources Fermi non-identifiées - à la recherche de SOFNIs ?
Des sous-halos de matière noire parmi les sources Fermi non-identifiées  - à la recherche de SOFNIs ?

Image composite montrant un des télescopes de H.E.S.S. (Namibie). Dans le fond est visible le plan de la Voie Lactée sur lequel sont superposées les sources détectées par H.E.S.S. Les sources Fermi non identifiées sont matérialisées par les cercles verts et la distribution des sous- halos de matière noire galactique prédits par les simulations cosmologiques ( simulation Aquarius) par les halos bleutés.
© CEA/E.Moulin

Les expériences embarquées comme le télescope grand champ du satellite Fermi détectant des rayons gamma au-delà de 100 MeV, révèlent une population de sources sans contrepartie astrophysique aux autres longueurs d’onde. Certaines d’entre elles ont les caractéristiques requises pour être des candidats « sous-halos de matière noire » prédits par les simulations cosmologiques comme peuplant le halo de la Voie Lactée. La gamme des candidates matière noire avec des masses inférieures à quelques centaines de GeV sont déjà exclues par les observations de Fermi. Pour tester les plus hautes masses, il faut une observation à plus haute énergie et le réseau de télescopes Tcherenkov au sol H.E.S.S. est l'instrument idéal. Ainsi, une équipe de physiciens de l'Irfu et d'un laboratoire d'Heildelberg a mené une campagne d’observations pour sélectionner minutieusement des objets parmi les plus prometteurs afin d'élucider leur possible identification comme « sous-halos de matière noire » au TeV. Les résultats de H.E.S.S. excluent cette interprétation pour des particules de matière noire dans la plage du TeV.  Ce travail a été publié dans la revue The Astrophysical Journal en Juillet 2021 (lien arxiv).

 

Rappel du contexte de recherche de matière noire dans le cosmos

Environ 85% du contenu total en matière de l’Univers serait sous forme de matière noire. Malgré son existence postulée dès les années 30, la nature fondamentale de la matière noire reste encore mystérieuse aujourd’hui. Parmi les particules hypothétiques candidates les plus prometteuses se trouvent les WIMPs : des particules massives interagissant faiblement avec la matière. De nombreux efforts expérimentaux ont été déployés pour sonder les interactions non-gravitationnelles de ces particules, comme leur production directe auprès de collisionneurs de particules tels que le LHC au CERN, leur détection directe lors de leur collision avec les noyaux composant les détecteurs multi-tonnes placés en laboratoire souterrain, ou encore la détection indirecte via  leurs produits d’annihilation par des télescopes (satellites ou télescopes au sol). 

Dans le modèle standard de la cosmologie, les particules de matière noire de l’Univers primordial tendent à former des systèmes liés par effondrement gravitationnel (voir vidéo d'animation). Ces systèmes fusionnent pour donner naissance aux premiers sous-halos de matière noire, qui fusionnent ensuite avec d’autres pour former des halos de plus en plus massifs. Ce processus de formation hiérarchique des structures produit des halos de matière noire suffisamment massifs pour piéger du gaz (la matière ordinaire) et déclencher le processus de formation d’étoiles, donnant ainsi naissance aux galaxies que nous observons aujourd’hui. Toutefois, la plupart des sous-halos de matière noire restent optiquement invisibles. Cependant, si la matière noire est constituée de WIMPs suffisamment massifs, ils pourraient s’y annihiler en émettant des rayons gamma de très hautes énergies (E>100 GeV) et être détectables par le réseau de télescopes Tcherenkov H.E.S.S.

 
Des sous-halos de matière noire parmi les sources Fermi non-identifiées  - à la recherche de SOFNIs ?

Les traits blancs symbolisent le processus correspondant à deux particules de matière noire qui s’annihilent en particules de matière ordinaire du modèle standard qui finissent par être détectées via des gamma.
(carte de densité de matière noire © projet Aquarius).

Observer les SOFNIs (SOurces Fermi Non Identifiées)

La recherche de signaux de matière noire se porte sur la centaine de sources gamma classées comme sources non-identifiées, sans contrepartie astrophysique, mise en évidence par 12 ans d’observation grand champ du ciel par l’instrument LAT embarqué à bord du satellite Fermi. Une sélection de sources non identifiées a été menée pour déterminer les plus prometteuses d’entre elles comme potentiels sous-halos de matière noire composés de particules au-delà de plusieurs centaines de GeV. La collaboration H.E.S.S. a minutieusement sélectionné trois objets de ce type et mené une campagne d’observation avec son réseau de télescopes Tcherenkov au sol. 

Spectre en énergie d'une source Fermi non-identifiée. Les points correspondent au flux différentiel en énergie mesuré par Fermi-LAT dans ce travail (triangles rouges) et ceux extraits des catalogues Fermi-LAT 4FGL (pentagones oranges) et 3FHL (pois verts). Les barres d’erreurs verticales correspondent à l’erreur statistique à 1 sigma. Les limites supérieures (flèches rouges, oranges et vertes) sont données à 95% de niveau de confiance. Les limites supérieures en flux obtenues par H.E.S.S. sont calculées à 95% de niveau de confiance (flèches bleues). Sont superposés les flux prédits par des modèles théoriques pour l’annihilation de particules de matière noire de 1 et 10 TeV dans les canaux d’annihilation W+W− (lignes en pointillés tirets) et τ+τ− (lignes en pointillés). © H.E.S.S. collaboration

La figure ci-dessus montre la distribution d’énergie spectrale pour l’une des sources observées par H.E.S.S.. Les limites supérieures sur le flux attendu et observé par H.E.S.S. sont montrées (points et flèches bleus à hautes énergies) ainsi que les flux obtenus par les observations avec le satellite Fermi (points vert, flèches rouges, oranges et vertes). Des modèles de matière noire sont superposés (pour 2 canaux d'annihilation et 2 masses possibles de 1 ou 10 TeV). 

En supposant les sous-halos composés de WIMPs produits thermiquement* dans l’Univers primordial, les résultats de H.E.S.S. imposent des contraintes encore plus fortes que FERMI sur l’émission gamma mesurée de ces objets comme provenant de l’annihilation de particules de matière noire au TeV au sein de sous-halos de matière noire.

 

Combiner les données de Fermi et de H.E.S.S.

Les données combinées des 3 sources non-identifiées (3FHL J0929.2-4110, 3FHL J1915.2-1323 et 3FHL J2030.2-5037) peuvent être utilisées pour tester la vraisemblance statistique de l’interprétation en termes de matière noire (TS**). Ainsi, la figure ci-dessous montre (en noir) le domaine de masse des particules de matière noire autorisées par les données du satellite Fermi, qui dépend de la quantité de matière noire présente le long de la ligne de visée (facteur J***) mais aussi du canal de désintégration (τ+τ− dans le cas présent : les particules de matière noire s’annihilent en paire de tau, qui donnent lieu a des gamma dans l’etat final apres décroissance et/ou hadronisation des particules produites dans le processus d’annhilation). Les résultats de H.E.S.S. permettent d’exclure une très grande partie du domaine encore permis (tout ce qui est au-dessus de la courbe verte est exclu) et écartent ainsi l’hypothèse de sous-halos de matière noire au TeV.

Valeurs du test statistique (TS*) calculés sur les jeux de données combinés des 3 sources non-identifiées à partir des observations effectuées par Fermi-LAT. Plus TS est négatif et meilleur est l'accord avec les données.
Les contours des valeurs de vraisemblance statistique (TS) sont donnés dans le plan  facteur J en fonction de la masse de la particule de matière noire (mDM) pour le canal d’annihilation τ+τ− en supposant la valeur de section efficace d’annihilation pour des WIMPs produits de manière thermique*** dans l’univers primordial. © H.E.S.S. collaboration
 

Pour conclure

Le spectre en énergie mesuré pour ces SOFNIs nécessite des concentrations de matière noire importantes et des objets relativement proches du centre de notre Galaxie. Il se trouve que cette combinaison, qui se caractérise par des facteurs J importants, n’est que très rarement obtenue dans les prédictions de simulations cosmologiques pour les galaxies comme la Voie Lactée et sont sujettes à d’importantes incertitudes.  Les nouvelles contraintes apportées par H.E.S.S. sont désormais les plus pertinentes et, dans le cadre des modèles cosmologiques, elles excluent l'interprétation des sources Fermi non-identifiées comme étant des sous-halos galactiques de matière noire au TeV. 

Contacts : Emmanuel MoulinAlessandro Montanari

Pour en savoir plus :

Lien Arxiv : https://arxiv.org/abs/2106.00551

Référence ApJ : Astrophys.J., 918, 17 (2021)

News H.E.S.S.: H.E.S.S. - The High Energy Stereoscopic System (mpg.de)

 

*A une température du plasma primordial plus haute que leur masse, les particules de matière noire sont créées et détruites par paires librement. L’Univers se refroidit, et lorsque la la température de l’Univers est inférieure à leur masse, les particules de matière noire ne sont plus créées et leur densité relative diminue à cause du processus d’annihilation. L’univers continue son expansion et leur densité se trouve alors gelée lorsque le taux d’expansion de l’univers est supérieur au taux d’annihilation. Ce processus de production est généralement la production thermique.

**Le test statistique (TS) est défini comme la différence du logarithme entre les fonctions de vraisemblance pour les hypothèses avec et sans source. Les valeurs négatives du TS correspondent à la détection d’une source qui améliore la description des données par rapport à l’hypothèse sans source. En supposant que le TS se comporte comme une loi de chi2, TS = -25 corresponds à une détection à 5 sigmas.

***Le facteur J décrit la quantité d’annihilation de particules de matière noire dans un environnement astrophysique avec une distribution de matière noire à une distance donnée de l’observateur. Il est défini comme l’intégrale de la densité de matière noire au carré intégrée sur la ligne de visée et sous l’angle solide d’observation.

 
#4954 - Màj : 06/10/2021

 

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