Un des grands mystères que les physiciens n'ont toujours pas résolu concerne l'absence d'antimatière dans notre Univers. Que s'est-il donc passé au tout début du Big Bang pour que toute cette antimatière ait disparu alors qu'il devrait y en avoir autant que de matière ? On sait depuis les travaux de Sakharov qu'une des conditions nécessaires à cette disparition est que les phénomènes physiques ne soient pas aussi « symétriques » que l'expérience quotidienne à notre échelle semble le montrer. Pour décrire certaines propriétés des interactions fondamentales, la théorie quantique des champs utilise le concept de « symétrie ». Trois symétries « miroir » sont essentielles : la conjugaison de charge C qui relie les interactions des particules à celle des antiparticules, la parité P qui, si elle est respectée, permet de dire que les lois de la physique sont les mêmes pour un système et son image dans un miroir, et le renversement du temps T qui transforme un système en inversant le temps ?

La disparition de l'antimatière ne peut se faire que si la symétrie CP, produit de C et P n'est pas exacte. Bien que son origine soit encore mal comprise, cette non-conservation de CP est la manifestation d'une différence fondamentale entre les mécanismes d'interaction des particules et des antiparticules. Elle tient donc un rôle important dans la compréhension des lois de la Nature.

En physique des particules, l'étude des kaons neutres est un moyen privilégié pour l'étude de la symétrie CP, dont on distingue deux facettes : la violation indirecte que l'on a observée depuis longtemps dans la propagation des kaons et mesurée par le paramètre e, et la violation directe, mesurée par e' et recherchée dans leur désintégrations.

À l'occasion des 14^ème Rencontres de Blois qui se sont déroulées du 17 au 22 juin dernier sur le thème Asymétrie matière-antimatière, la collaboration NA48, dans laquelle le Dapnia est fortement engagé, a présenté son résultat final concernant la mesure de la violation directe de CP dans le système des kaons neutres.

L'importance du résultat annoncé réside dans la détermination précise du paramètre Â(e'/e) qui caractérise la violation de la symétrie de CP (charge x parité) dans le processus même de désintégration du K0 en deux pions. Une valeur non-nulle de Â(e'/e) implique que les taux de désintégration du méson K0 et de son antiparticule vers l'état final constitué de deux pions et de symétrie de CP bien définie, ne sont pas identiques.

La valeur de Â(e'/e) obtenue par l'expérience NA48 est de (14,7 ± 2,2) x 10^-4, une quantité très petite mais différente de zéro par plus de six écarts-standards. C'est à ce jour la mesure la plus précise du paramètre Â(e'/e), mesure rendue possible grâce à l'observation de plusieurs dizaines de millions de désintégrations de kaons neutres violant la loi de symétrie de CP. Elle confirme à elle seule l'existence de la violation directe de CP dans le système des kaons neutres et établit avec une précision d'environ un millionième, la différence des taux de désintégration en deux pions du K0 et de son antiparticule.

Ce résultat important constitue l'aboutissement de plus de dix ans de travail effectué par une collaboration internationale de 16 instituts regroupant environ 150 physiciens. Rappelons que l'expérience NA48 a été approuvée au Cern en 1991. Après un effort de plusieurs années de construction et de mise au point du dispositif expérimental, la campagne de prise de données a démarré à l'été 1997 et s'est poursuivie jusqu'en 2001.

Cette année, le programme expérimental NA48 sera consacré à l'étude de processus rares de désintégration du Ks et d'hypérons neutres. Il se poursuivra en 2003 avec l'utilisation de faisceaux intenses de kaons chargés pour la recherche de la violation directe de CP dans les désintégrations de kaons en trois pions.

Résultats de la mesure du paramètre Â(e'/e) par NA48 au cours des dernières prises de données. La ligne pointillée donne le résultat final à six écarts-standards de 0, et la bande colorée sa marge d'erreur.