Les sursauts gamma: un formidable outil pour la cosmologie |
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04 décembre 2002 |
Contact DAPNIA : Emeric Le Floc'h |
Comment déterminer la distance de galaxies lointaines en utilisant les sursauts gamma? Grâce à des observations effectuées au Very Large Telescope de l'observatoire européen austral au Chili, une collaboration internationale menée par des astrophysiciens du Service d'Astrophysique du CEA-DAPNIA vient de déterminer la distance cosmologique d'un sursaut gamma, l'un des phénomènes les plus violents de l'Univers. Pour cela, ces chercheurs ont mesuré le décalage vers le rouge de la galaxie dans laquelle avait été observées ces bouffées de rayons de haute énergie. Ils ont montré que la distance de cet objet, une magnifique galaxie spirale dévoilée par les images du Telescope Spatial Hubble, correspondait bien à celle estimée à partir du spectre X du sursaut lui-même. Ces observations valident une méthode de détermination des distances des sursauts gamma uniquement basée sur la lumière issue de ces explosions. La simplicité de sa mise en oeuvre ouvre des perspectives intéressantes dans la connaisance de l'histoire de la formation stellaire dans l'Univers. Au cours des dix dernières années, l'observation "multi-longueurs d'onde" des galaxies lointaines a profondément bouleversé nos connaissances sur l'Univers distant. Les sondages profonds effectués dans l'infrarouge par le satellite ISO et dans le domaine submillimétrique par l'instrument SCUBA ont notamment mis en évidence un grand nombre d'objets caractérisés par une intense activité de formation stellaire enfouie dans la poussière, et donc invisible dans le domaine optique. Il semble ainsi qu'une fraction importante de la formation d'étoiles dans l'Univers ait été "cachée", et il apparaît aujourd'hui évident que les détections obtenues à partir des campagnes d'observations dans le domaine visible ont été, jusqu'à présent, fortement biaisées par les phénomènes d'extinction dus à la poussière. Afin de s'affranchir de ce problème, plusieurs équipes se sont récemment intéressées à une nouvelle approche, reposant sur l'utilisation des sursauts gamma comme traceurs de formation d'étoiles. Ces phénomènes énergétiques se révèlent sous la forme d'une brève émission de rayons gamma extrêmement intenses et détectables à grande distance, ce qui permet de sonder l'Univers jusqu'à des époques très reculées dans le passé. Ils sont très peu affectés par la poussière, et s'accompagnent d'une émission transitoire observée sur tout le spectre électro-magnétique entre le domaine des rayons X et les ondes radio. Cette émission décroît dans le temps pendant plusieurs mois après l'explosion, jusqu'à disparaître complètement. On pense que les sursauts gamma résultent soit de la destruction cataclysmique d'étoiles géantes en fin de vie, à la manière du phénomène bien connu de supernova, ou de la fusion de systèmes binaires composés de trous noirs d'origine stellaire ou d'étoiles à neutrons. Dans ces deux cas, il semble bien que ces phénomènes soient liés à la mort d'étoiles massives et donc, de façon indirecte, à leur formation. L'utilisation cosmologique des sursauts gamma paraît donc être une méthode très prometteuse, avec notamment le lancement de satellites en partie ou totalement consacrés à leur étude comme INTEGRAL ou SWIFT. Des chercheurs ont par ailleurs mis à profit une autre propriété de ces objets : la partie à basse énergie du spectre des sursauts semble présenter une raie en absorption dans le domaines des X. On pense que cette raie est caractéristique du fer présent dans le coeur de l'étoile progénitrice du sursaut gamma. La mesure de son décalage vers le rouge permet en principe de déterminer sa distance et donc celle de sa galaxie-hôte. Cette dernière méthode, qui dépend uniquement des propriétés du sursaut, est entièrement indépendante de la magnitude de la source sous-jacente. Elle permet d'obtenir les distances de galaxies très lointaines, qui ne sont pas assez lumineuses pour que l'on puisse obtenir un spectre de leur propre lumière et déterminer ainsi leur décalage vers le rouge à partir de leurs raies d'émission. Ces raies du fer sont couramment observées dans les phénomènes de hautes énergies. Néanmoins, la détermination de la nature exacte des transitions observées reste bien souvent fragile. Il convenait donc de vérifier la validité de cette interprétation dans le cas des sursauts gamma, en confirmant un résultat déduit de cette méthode grâce à une mesure obtenue directement à partir du spectre d'une galaxie-hôte relativement proche. Une équipe internationale dirigée par des chercheurs du CEA-DAPNIA a effectué des observations spectroscopiques de la galaxie-hôte du sursaut GRB 990705 (*), avec l'instrument-spectrographe FORS installé sur le VLT. Grâce à une détection de la raie d'oxygène [OII], ces chercheurs ont pu confirmer, de manière non ambiguë et plus précise, la distance qui avait été estimée à partir d'une absorption transitoire détectée dans les toutes premières secondes du sursaut. Ils ont ainsi localisé l'objet à une distance d'environ 20 milliards d'années-lumière (z=0,84), correspondant à une époque où l'Univers n'avait alors que la moitié de son âge actuel. En utilisant la sensibilité et la résolution spatiale du Telescope spatial Hubble, l'équipe a également montré que GRB 990705 s'était produit dans un bras spiral d'une galaxie géante. C'est la première fois qu'un sursaut gamma est clairement observé en provenance de cette classe d'objets, tous les autres évènements, jusqu'à présent, ayant été détectés soit dans des galaxies naines, soit dans des objets en interaction ou aux morphologies perturbées. Ces observations renforcent de plus les hypothèses sur la relation entre ces phénomènes cataclysmiques et la formation d'étoiles, celle-ci étant en effet fréquemment observée dans les bras des galaxies spirales. |
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(*) : "GRB" correspond à l'acronyme anglais ``Gamma-Ray Burst'',
et la numérotation 990705 indique que l'évènement
s'est produit le 5 juillet 1999. Article: "Very Large Telescope
and Hubble Space Telescope observations of the host galaxy of GRB 990705"
Auteurs: E. Le Floc'h, P.-A. Duc, I.F. Mirabel, D.B. Sanders, G. Bosch, I. Rodrigues, T.J.-L. Courvoisier, S. Mereghetti and J. Melnick Astrophysical Journal Letters, 2002, sous presse (astro-ph/0211250) Cette
collaboration inclut les laboratoires du service d'astrophysique du CEA,
l'Instituto de Astronomía y Física del Espacio (Argentine),
l'Institute for Astronomy de l'université d'Hawaï (Etats-Unis),
le Max-Planck Institut für Extraterrestriche Physik (Allemagne), la
Facultad de Ciencias Astronomicas y Geofisica de La Plata (Argentine),
l'INTEGRAL Science Data Center (Suisse), l'Observatoire de Genève
(Suisse), l'Istituto di Astrofisica Spaziale e Fisica Cosmica (Italie)
et l'Observatoire Européen Austral (Chili).
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