La spallation : quelle activité ?
 
11 mars 2003



Contact DAPNIA :
S. Leray

On désigne sous le nom de réactions de spallation l'ensemble des réactions induites par un nucléon (proton, neutron) de quelques centaines de mégaélectronvolts (MeV) à quelques gigaélectronvolts (GeV) sur une cible composée d'éléments lourds. Une multitude de produits de réaction est éjectée lors de ces collisions et en particulier des neutrons. C'est pourquoi la spallation constitue un champ d'études prometteur pour les sources intenses de neutrons et la transmutation des déchets radioactifs.

De tels systèmes nécessitent la caractérisation de la cible de production de neutrons, généralement constituée de plomb ou de plomb-bismuth. En particulier, il est important de prédire le plus précisément possible l'activité de la cible, à court et à long terme, pour les problèmes de maintenance et de stockage. Il est également fondamental de connaître la concentration des divers éléments chimiques, produits lors des réactions de spallation, pour estimer la radioactivité venant des éléments volatils et les problèmes de corrosion sur les matériaux de structure.

Des mesures de taux de production de noyaux lourds ont été obtenues récemment auprès du GSI à Darmstadt (Allemagne). Ces résultats ont permis d'améliorer les descriptions théoriques des réactions de spallation et de valider les codes de simulation utilisés. Nous avons pu ainsi calculer la concentration des éléments produits et l'activité globale dans une cible plomb-bismuth irradiée durant une année par un faisceau de proton de 1 GeV.

Ces études montrent d'une part que le choix d'un modèle de spallation, validé sur les données expérimentales tel INCL4-KHS, est important pour estimer de façon fiable les concentrations des éléments chimiques produits dans la cible. D'autre part, on observe que l'activité totale de la cible est dominée par les réactions de spallation, même dans le cas d'une forte thermalisation du flux neutronique. Ce travail sera poursuivi par des études de radio-toxicité et l'analyse d'expériences menées avec des cibles épaisses irradiées par des faisceaux de protons de haute intensité.

Sont présentés ci-dessous les résultats de calculs d'irradiation par un faisceau de protons de 1 GeV et d'intensité 1 mA obtenus pour une cible cylindrique de plomb-bismuth (R = 10 cm, L = 1 m) à l'issue d'une période de un an. La cible est entourée d'un modérateur d'eau lourde.

Nous avons calculé la concentration des éléments chimiques produits dans la cible au moyen de deux modèles nucléaires. Le rapport des deux prédictions est donné par la courbe verte. Le premier modèle, Bertini-Dresner, est le code généralement utilisé par les concepteurs de systèmes, le second, INCL4-KHS, est le code que nous avons développé et testé sur nos données. Ce nouveau modèle prédit une concentration de produits de fission plus grande que les prédictions de Bertini-Dresner, pouvant atteindre un facteur trois. Cette observation a des implications importantes pour la radioprotection lorsqu'on s'intéresse à la production d'éléments volatils tels que le xénon, l'iode ou le krypton.

Après irradiation, l'activité de la cible se décompose en deux contributions. La première (points noirs) résulte de la décroissance des résidus lourds produits par les réactions de spallation. L'activité de la cible atteint une valeur élevée de 6×105 Ci 1 (ou 350 Ci/kg), ce qui est comparable en activité massique à un combustible déchargé d'un REP. Les noyaux proches de la cible, dont les taux de production sont très bien décrits par les modèles, contribuent principalement à cette activité (lignes colorées). La seconde composante (points rouges) montre l'activation de la cible par le flux de neutrons ralentis dans l'eau lourde. L'activité globale diminue avec le temps et est dominée par la contribution des réactions de spallation. Notons, qu'après quelques mois de refroidissement, la décroissance du 210Po, formé à partir de la capture neutronique sur le 209Bi de la cible pendant la phase d'irradiation (voir fait marquant daté du 09/10/2002), génère une activité similaire à celle induite par la spallation, qui disparaît au bout de quelques années (demi-vie de 138 jours).


1 L'activité, ou nombre de désintégrations par seconde, d'un échantillon radioactif se mesure en becquerels (Bq). Le curie (Ci) est une ancienne unité souvent utilisée correspondant à la radioactivité d'un gramme de radium soit 37 GBq.