L'hélium 8, un noyau très exotique
 
25 juin 2003



Contacts DAPNIA :
Valérie Lapoux
Flore Skaza

Le noyau d'8He est un isotope radioactif et très riche en neutrons de l'4He, le noyau d'hélium stable. Pour étudier sa structure il faut le synthétiser en laboratoire, en produire un faisceau et le faire interagir avec une cible. Le Grand Accélérateur National d'Ions Lourds (Ganil) a produit et accéléré son premier faisceau d'8He pour une expérience menée par des physiciens du Service de physique nucléaire du Dapnia. Ils ont mesuré les probabilités d'interaction de l'8He avec une cible de proton pour en déduire les propriétés de ce noyau et compléter notre connaissance de la matière nucléaire très riche en neutrons.

L'8He est un noyau radioactif, de demi-vie de 118 ms, qui décroît par radioactivité β-. Parmi les noyaux liés connus actuellement, il possède le plus grand rapport du nombre de neutrons sur celui de protons (N/Z = 3). Déterminer précisément sa structure est donc particulièrement intéressant car il peut servir de banc d'essai pour les modèles nucléaires dont les prédictions divergent à mesure que l'on s'éloigne de la vallée de stabilité vers les noyaux très riches en neutrons. Ce noyau est dit « exotique » car il développe une structure inhabituelle, un coeur d'4He (alpha) entouré de quatre neutrons, conduisant à une densité de matière très étendue1. C'est la conséquence de sa faible énergie de liaison. On peut facilement lui enlever un, deux, quatre neutrons : il suffit de 2,6 ; 2,1 ; 3,1 MeV respectivement. Son premier état excité, un 2+, est non lié (au-delà du seuil d'émission de neutron).

Les théories nucléaires le décrivent comme doté d'une peau de neutrons fortement corrélés. Ces corrélations ne sont pas encore élucidées expérimentalement. Elles seront une contrainte pour les théories. Les densités nucléaires (la répartition spatiale des nucléons) dans l'état fondamental et lors d'une transition vers des états excités peuvent être explorées, via un modèle, par des diffusions élastiques et inélastiques du faisceau d'8He sur une cible de proton. Ces réactions constituent ainsi un outil d'analyse privilégié des faisceaux exotiques.

Cette expérience (p, p') a été réalisée au Ganil, en novembre 2001, par un groupe de physiciens du Service de physique nucléaire du Dapnia, en collaboration avec des équipes de l'IPN d'Orsay, du Ganil et du FLNR de Dubna (Russie). Le faisceau d'8He, produit par Spiral2 à 15 MeV/nucléon avec une intensité de 14000 particules/s, est envoyé sur une cible de polypropylène riche en protons. Le dispositif expérimental est présenté en figure 1. Le proton de recul est identifié et détecté dans un ensemble de huit détecteurs (dits télescopes), Must3, en coïncidence avec l'éjectile mesuré dans un mur de scintillateurs plastiques : l'8He dans la diffusion élastique, l'6He ou 4He, produits de décroissance de l'8He, dans la diffusion inélastique.

Une mesure de précision implique l'identification du proton, sa localisation et la détermination de son énergie, ainsi que la connaissance du point d'impact du faisceau sur la cible. Chaque télescope de Must, constitué de trois étages de détection (silicium mince à pistes, silicium-lithium épais suivi d'un scintillateur de CsI), fournit la position (x, y), l'énergie et le temps de vol du noyau de recul. A 15 cm de la cible, une localisation de 1 mm conduit à une précision angulaire de 0,4°. La position et l'angle du faisceau sur la cible sont déterminés pour chaque ion incident grâce à deux chambres à fils à basse pression, développées au Sédi : les Cats4.

Grâce à la bonne couverture angulaire de Must et l'identification de particules, nous avons pu également recueillir des données de réactions de transfert (p, d) et (p, t) ; la particule de recul est alors un deuton ou un triton au lieu d'un proton. La figure 2 présente, dans le référentiel du laboratoire, l'énergie de la particule légère détectée dans Must en fonction de son angle de diffusion. On distingue les lignes cinématiques correspondant aux diffusions élastique et inélastique d'une part, et aux réactions de transfert d'autre part. La mesure d'un hélium dans le scintillateur plastique permet d'affiner la sélection des événements, notamment pour la diffusion inélastique (p, p').

Le spectre en énergie d'excitation de l'8He (figure 3) confirme la présence d'un premier état excité 2+ à 3,6 MeV et fait apparaître des structures à plus haute énergie d'excitation dont l'analyse est en cours. Les distributions angulaires des réactions élastique et inélastique, ainsi que les positions des résonances au-delà du 2+, nous permettront d'avoir des informations sur les densités de neutrons dans l'8He, et d'approfondir notre connaissance de la matière nucléaire très riche en neutrons.

Voir ScintillationS n°53, « Un hélium disparu ressuscité », janvier 2002.





Fig. 1 : Dispositif expérimental installé dans la chambre à réaction : L'axe du faisceau est matérialisé par un trait horizontal. On aperçoit un détecteur de faisceau Cats situé en amont de la cible, en position hors faisceau (tourné de 30°). Derrière le porte-cible (tourné à 45°), sont implantés les télescopes Must, en 2 colonnes de 4 détecteurs, chacun ayant une surface active 60×60 mm2. Le mur de scintillateurs plastiques, partiellement visible à gauche, est placé au fond de la chambre.


Fig. 2 : Spectre de diffusion obtenu pour la réaction 8He+p : l'énergie des particules légères (p, d, t) détectées dans Must est présentée en fonction de leur angle de diffusion.


Fig. 3 : Spectre en énergie d'excitation de l'8He obtenu par la réaction (p, p'). Sur l'agrandissement, le pic correspondant au premier état excité 2+ est clairement visible.




1Le rayon quadratique moyen de l'8He est de 2,5±0,1 fm, comparable à celui du 12C.
2Système de production d'ions radioactifs accélérés en ligne, installé au Ganil (Caen).
3Mur à strips, collaboration entre l'IPN (Orsay), la DAM (Bruyères-le-Châtel) et le Dapnia (Saclay).
4Chambres a trajectoires de Saclay.