La forme de l'Univers
 
9 octobre 2003



Contact DAPNIA :
Roland Lehoucq

 

La forme de l'Univers

Topologie cosmique.

Forme de l'espace
 

Une équipe franco-américaine de cosmologistes, parmi lesquels Roland Lehoucq du Service d'Astrophysique (SAp) du CEA-DAPNIA et Alain Riazuelo du Service de Physique Théorique du CEA-DSM  vient de proposer une explication originale pour expliquer un détail surprenant observé dans le rayonnement de fond de l'Univers récemment cartographié par le satellite WMAP. Selon ces scientifiques qui viennent de publier leur étude dans la revue "Nature" du 9 octobre 2003, une anomalie particulière dans la texture lumineuse du fond de l'Univers pourrait en effet s'expliquer par une "topologie" particulière, une forme globale très spécifique de l'espace. L'Univers pourrait être refermé sur lui-même.

Les fluctuations primordiales

Les cosmologistes étudient la topologie de l'espace en analysant en détail les fluctuations de température du rayonnement cosmologique fossile [1]. Le modèle cosmologique standard décrit l'Univers par une géométrie euclidienne, en expansion perpétuelle sous l'effet d'une "énergie noire". Les données collectées par le satellite WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe), qui a fourni récemment une carte très précise du rayonnement de fond, a permis de vérifier la validité de ce modèle d'expansion. Les fluctuations à petites et moyenne échelle (c'est à dire qui concerne des régions du ciel de petites et moyennes dimensions) confirme bien ce modèle. En effet, pour des dimensions inférieures à 60 degrés, les corrélations de température du fond diffus cosmologique mesurées par WMAP sont telles que les astrophysiciens les prévoyaient. En revanche, à des échelles plus grandes, supérieures à 60 degrés, les corrélations observées sont plus faibles que les prédictions théoriques.

Les fluctuations de température du fond diffus cosmologique sont, pour l'essentiel, la conséquence des fluctuations de densité de l'univers primordial : un photon en provenance d'une région dense perdra une fraction de son énergie pour lutter contre la gravité et nous parviendra plus froid. A l'inverse, les photons émis par une région peu dense nous parviendra plus chaud. Les fluctuations de densité résultent, quant à elles, de la superposition d'ondes sonores se propageant dans le fluide primordial. L'équipe de chercheurs a récemment développé un modèle théorique pour reproduire l'amplitude de ces fluctuations qui  peuvent être considérées comme des vibrations de l'Univers. Ils ont en particulier simulé différentes cartes à haute résolution du rayonnement fossile pour différents types de topologies de l'Univers [5] et ont pu comparer ces simulations aux résultats de WMAP.  Selon la topologie choisie, la répartition des fluctuations est différente. Ainsi, dans un espace euclidien infini, toutes les longueurs d'onde sont autorisées et les fluctuations doivent être présentes à toutes les échelles.

La forme de l'espace

Comme les ondes sonores, les fluctuations de température du fond diffus cosmologique peuvent être décomposées en une somme d'harmoniques sphériques. La première harmonique observable est le quadrupole (dont le nombre d'onde est l=2). WMAP a observé un quadrupole 7 fois plus faible que ce qui était attendu dans un Univers euclidien infini (figure 1). La probabilité que cet écart se produise par hasard a été estimée à 0.2%. L'octopole (dont le nombre d'onde est l=3) est aussi un peu plus faible que la prédiction, 72% de la valeur attendue. Pour les plus grandes valeurs du nombre d'onde et jusqu'à l=900 (qui correspondent à des fluctuations de température sur de petites échelles angulaires) les observations sont en revanche remarquablement bien expliquées par la modélisation standard.

Figure 1 : Comparaison de l'amplitude des fluctuations observées par WMAP (en noir) avec celle calculée pour un espace euclidien infini (gris foncé).  Le calcul  a été effectué pour un contenu matériel de 0.28 et une constante cosmologique de 0.714. Le désaccord est important pour le premier nombre d'onde (l=2). L'accord est bien meilleur pour un espace particulier dit "'espace de Poincaré" (gris clair).

La faible valeur du quadrupole signifie qu'il manque les ondes de grande longueur d'onde, peut-être parce que l'espace n'est pas suffisamment grand pour les supporter. Cette situation se compare à celle d'une corde vibrante fixée aux deux extrémités, sur laquelle la longueur d'onde maximale d'une onde sonore est égale au double de la longueur de la corde. Une explication naturelle de ce phénomène se fonde sur un modèle d'univers fini dans lequel la taille de l'espace impose une valeur maximum aux longueurs d'onde autorisées (voir figure 2). L'espace proposé est l'espace dodécaédrique de Poincaré.

Figure 2 : La longueur d'onde des fluctuations de densité est limité par la taille d'un univers se refermant sur lui-même. a. Une créature vivant à la surface d'un cylindre se déplace et revient à son point de départ après avoir fait un tour complet. b. Un cylindre découpé se transforme en un carré et le trajet de la créature sort par le côté droit pour entrer par le côté gauche. c. Un tore plat est aussi construit à partir d'un carré dont on identifie les côtés opposés ; un tel espace est dit multi-connexe. d. Des ondes se propageant dans un univers torique ne peuvent pas avoir une longueur d'onde supérieure au côté du carré. Pour construire un espace multi-connexe à trois dimensions, on identifie deux à deux les faces d'un polyèdre, un cube par exemple. Dans un telle configuration, la forme des ondes autorisées à se propager dépend de la géométrie de l'espace et de la façon dont les faces sont associées.

Le spectre associé, c'est à dire la répartition des fluctuations en fonction de leur longueur d'onde,  correspondant à l'espace de Poincaré dépend fortement de la valeur du paramètre de masse-énergie (voir figure 3). Il existe un petit intervalle de valeurs pour lequel l'accord est bon du point de vue spectral et cohérent avec la valeur du paramètre de masse-énergie déterminé par WMAP (1.02 à 0.02 près). Ce résultat est d'autant plus étonnant que l'espace de Poincaré n'offre aucun degré de liberté dans sa construction. Par opposition, le tore à trois dimensions, construit en identifiant les faces opposées d'un cube, peut être déformé en un parallélépipède quelconque : il a donc 6 degrés de liberté dans sa construction géométrique.

Figure 3 : Valeurs du paramètre de masse-énergie pour lequel l'espace dodécaédrique de Poincaré (courbe 2 pour le quadrupole et 4 pour l'octopole) s'accorde avec les observations de WMAP (courbe 1 pour le quadrupole et 3 pour l'octopole). L'accord est optimal pour une valeur du paramètre de masse-énergie compris entre 1.012 et 1.014.

L'espace de Poincaré est capable de rendre compte de la faible valeur du terme quadrupolaire observé par WMAP dans le spectre des fluctuations sans engendrer un terme octupolaire excessif. Pour être confirmé, ce modèle doit maintenant satisfaire deux tests expérimentaux :

  • Les données futures de WMAP, ou du futur satellite européen Planck Surveyor, devraient permettre de déterminer le paramètre de masse-énergie à 1% près. Une valeur inférieure inférieure à 1.01 réfuterait l'espace de Poincaré comme modèle cosmologique alors qu'une valeur supérieure à 1.01 serait un argument en sa faveur.

  • Si l'espace est multi-connexe, il doit y avoir des corrélations particulières dans le fond diffus cosmologiques prenant la forme de paires de cercles le long desquels les fluctuations de température sont identiques [6]. Ce modèle prédit qu'il doit y avoir 6 paires de cercles dont le rayon angulaire est de l'ordre de 35 degrés. L'espace de Poincaré est donc un bon candidat pour la méthode dite "cirle-in-the-sky" mise au point par les astrophysiciens américains N. Cornish, D. Spergel et G. Starkman [7]

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    Notes
    [1] Le rayonnement cosmologique, aussi appelé "fond diffus cosmologique", est un rayonnement produit très tôt dans l'histoire de l'Univers (environ 300 000 ans après le début de l'expansion) lorsque matière et lumière se sont séparées. Les infimes irrégularités dans la température de ce rayonnement permettent de mesurer les fluctuations de densité de matière présentes à cette époque, fluctuations à partir desquelles  se sont formés plus tard les amas et galaxies.
    [2] Les fluctuations de température du fond diffus cosmologique peuvent être décomposée en une somme d'harmoniques sphériques, comme le son produit par un instrument peut être décomposé en harmoniques ordinaires. L'harmonique fondamentale fixe la hauteur du son (par exemple le la du diapason a une fréquence de 440 hertz) tandis que l'amplitude relative de chaque harmoniques détermine le timbre (le la du piano est différent de celui joué sur un clavecin). Dans le cas du fond diffus, l'amplitude relative de chaque harmonique sphérique fixe le spectre de puissance, une signature de la géométrie de l'univers et des conditions qui prévalaient au moment de l'émission du rayonnement du fond diffus.
    [3] L'espace de Poincaré peut se représenter mentalement par un dodécaèdre (polyèdre régulier à 12 faces pentagonales) dont les faces opposées sont identifiées après une rotation de 36° ; c'est une variante multi-connexe de l'hypersphère dont le volume est 120 fois plus petit. Un mobile sortant du dodécaèdre à travers l'une de ses faces y retourne en entrant par la face opposée. De même, la lumière se propage de cette façon de sorte qu'un observateur regardant dont la ligne de visée traverse une paroi a l'illusion de voir l'intérieur d'une copie du dodécaèdre d'origine (en réalité sa ligne de visée rentre dans le dodécaèdre par le côté opposé).
    [4] Le paramètre de masse-énergie de l'Univers caractérise le contenu en matière et énergie de l'Univers. La géométrie précise de l'Univers dépend de la valeur de ce paramètre, appelé aussi "Omega". Si il est supérieur à 1, la géométrie est dite "sphérique", s'il est inférieur à 1 la géométrie est "hyperbolique", enfin s'il est exactement égal à 1, la géométrie est "euclidienne".

    Références
    [5] Simulating cosmic microwave background maps in multi-connected universes, A. Riazuelo, J.-P. Uzan, R. Lehoucq and J. Weeks (e-print astro-ph/0212223).
    Detecting topology of nearly flat spherical universes, R. Lehoucq, J.-P. Uzan and J. Weeks, Class. Quant. Grav. 20, 1529-1542, 2003, (e-print astro-ph/0209389)
    Eigenmodes of lens and prism spaces, R. Lehoucq, J.-P. Uzan and J. Weeks, Kodai Journal of Mathematics 26, 119-136, 2003, (e-print math.SP/0202072)
    Eigenmodes of compact spherical spaces and their applications to cosmology, R. Lehoucq, J.-P. Uzan, J. Weeks, J.-P. Luminet and E. Gausmann, Class. Quantum Grav. 19, 4683-4708, 2002, (e-print gr-qc/0205009)
    [6]  L'univers... vu d'ailleurs, J.-P. Uzan, Pour la Science 308, p. 56, juin 2003.
    [7] N. Cornish, D. Spergel et G. Starkman, Classical and Quantum Gravity 15, 2657-2670, 1998 (e-print astro-ph/9801212)

    voir aussi       "Les fluctuations de l'Univers primordial "   (1 octobre 2002)


    Publication :
    "Dodecahedral space topology as an explanation for weak wide-angle temperature correlations in the cosmic microwave background"
    J.-P. Luminet, LUTH, CNRS-UMR 8102, Observatoire de Paris, France
    J. Weeks, Canton, USA
    A. Riazuelo, Service de Physique Théorique, CEA Saclay, France
    R. Lehoucq, Service d'Astrophysique, CEA Saclay, France
    J.-P. Uzan, Laboratoire de Physique Théorique, Orsay et Institut d'Astrophysique de Paris, France
    article publié dans la revue Nature du 9 octobre 2003.
    Pour une version électronique : format PDF (420kB)
                   


    Contact :   Roland Lehoucq