Kabes s'installe dans NA48
 
12/12/2003



Contact DAPNIA :
Bernard Peyaud
(Dapnia/SPP)

Le spectromètre de faisceau Kabes développé au Dapnia pour le dispositif expérimental de l'expérience NA48 au Cern, a donné toute satisfaction. Il a permis la collecte de plusieurs milliards de désintégrations de kaons chargés dont l'analyse donnera accès à une nouvelle et délicate mesure difficile de la violation de la symétrie CP, un des ingrédients nécessaires à la compréhension de l'histoire de notre univers.

Les kaons sont des mésons - des particules formées d'un quark et d'un antiquark - qui se désintègrent en pions ; c'est dans les désintégrations des kaons neutres qu'avait été observée voilà 40 ans une très faible violation d'une loi de conservation subtile des interactions élémentaires, la symétrie CP. Cette symétrie est en fait le « produit » de la conjugaison de charge C et de la parité P. C relie les interactions des particules à celles de leurs antiparticules : si C est « conservée », on peut, par exemple, déduire exactement les propriétés de l'interaction de deux antiprotons de celles de deux protons. P fait passer de ce que l'on observe dans une expérience à ce que l'on observerait dans la même expérience « inversée » comme dans un miroir ; à l'échelle de notre monde, P est conservée puisqu'une voiture britannique dont tous les organes auraient été « inversés » fonctionnerait parfaitement. Une des propriétés fascinantes du produit des symétries C et P est qu'il doit ne pas être parfaitement respecté s'il l'on veut expliquer la prédominance de la matière sur l'antimatière après le Big Bang.

L'expérience NA48/I installée au Cern a exploité jusqu'en 2002 des faisceaux de kaons neutres pour la mesure du paramètre ε'/ε qui caractérise la violation directe de la symétrie CP et pour l'étude de nombreux modes rares de désintégration des kaons. La théorie prévoit que la violation de CP doit aussi se manifester dans certains canaux de désintégrations des kaons chargés K+ et K-. Cette prédiction a orienté la prise de données de 2003 pour NA48/II, pour laquelle on a construit une nouvelle ligne de faisceaux de K+ et K- simultanés, et apporté quelques modifications au détecteur. C'est ainsi que le Dapnia a conçu, développé et construit le spectromètre de faisceau de kaons (Kaon Beam Spectrometer, Kabes) en se fondant sur les essais probants effectués en 2002.

Kabes utilise le principe de la chambre à projection temporelle (TPC) dans laquelle l'amplification du signal d'ionisation, de type Micromegas, se développe dans un intervalle de 50 μm. Cette configuration a été choisie pour détecter, avec une grande efficacité et en introduisant le moins de matière possible, chaque particule des faisceaux de K+ et de K- dont le flux peut atteindre plusieurs dizaines de million de particules par seconde dans un disque de 1,5cm de rayon. La mise en service (figure 1) des trois stations de mesure de Kabes a été effectuée quelques semaines avant le début de la prise de données. Les deux premières stations détectent les faisceaux de K+ et de K- à l'endroit où la déviation apportée par un dispositif de dipôles magnétiques les sépare, et la troisième est placée en aval, là où ils se superposent (figure 2). La mesure des positions verticales d'une trace du faisceau dans le spectromètre permet de déterminer l'impulsion de la particule correspondante.

Kabes se compose de six ensembles de 48 canaux dont les signaux sont mis en forme par une électronique rapide entièrement développée au Dapnia/Sédi. La mesure des temps de dérive repose sur l'emploi d'un circuit à haute performance (HPTDC) développé au Cern pour les détecteurs du LHC et sur l'architecture du système de numérisation, conçue au Sédi, et réalisée puis mise en service par nos collaborateurs du JINR/Dubna. Les performances nominales du spectromètre sont remarquables puisque la précision spatiale dans la direction perpendiculaire au faisceau est de l'ordre de 100 μm. L'énergie des faisceaux dont la valeur centrale est de 60 GeV est ainsi mesurée avec une précision meilleure que le pourcent. En outre, l'excellente précision temporelle, inférieure à la nanoseconde, permet de distinguer pratiquement sans ambiguïté les K+ des K-. L'apport essentiel de Kabes réside dans la mesure précise de la direction et de l'impulsion des kaons, rendant encore plus performante l'étude de leurs modes de désintégration, tout particulièrement ceux pour lesquels une ou plusieurs particules échappent à la détection dans le dispositif de NA48.

La prise de données 2003 qui s'est déroulée du 19 mai au 8 septembre a permis d'enregistrer plusieurs milliards de désintégrations de K+ et K-. Leur l'exploitation devrait révéler plus en détail la nature de la violation de CP.





Figure 1: Un des détecteur de Kabes déplacé horizontalement de 20 cm hors de la ligne du faisceau pour en apercevoir la fenêtre d'entrée.


Figure 2: Les profils des faisceaux K+ et K- mesurés par Kabes :
à gauche, les faisceaux séparés en amont du spectromètre ;
à droite, les faisceaux superposés en aval.