Les simulations numériques

par Frédéric Bournaud 

La formation et l’évolution des trous noirs relèvent de mécanismes physiques complexes, couplés entre eux :

Pour étudier cette grande gamme de processus, les équipes de l’Irfu ont recours depuis plus de dix ans à la simulation numérique sur les supercalculateurs massivement parallèles, sur lesquels plusieurs milliers de processeurs de calcul sont utilisés simultanément afin à la fois d’accélérer le calcul et de disposer de grandes quantités de mémoire nécessaire à stocker le grand volume d’informations physiques mises en jeu.

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Figure 1 Structure du champ magnétique dans la
simulation numérique d’un résidu d’étoile massive en
effondrement. Le champ magnétique et la rotation de
l’objet peuvent réguler son effondrement, déterminant
ainsi la formation d’une étoile à neutrons ou d’un
trou noir. La vitesse radiale d’effondrement d’un tel
objet peut atteindre quelques millions de kilomètres
par heure [1]
.

 

La formation des objets compacts et leur évolution en trous noirs

Les trous noirs stellaires, dont la masse est de l’ordre de celle du Soleil, naissent lors de l’effondrement des étoiles massives en fin de vie. Lorsqu’elles ont achevé les réactions de fusion nucléaire en leur cœur, les étoiles dont la masse va d’une dizaine à une centaine de masses solaires, s’effondrent sur elles-mêmes sous l’effet de leur propre gravité. Ce phénomène porte le nom de supernova. Cet effondrement conduit à la formation d’un objet compact, pouvant contenir plusieurs fois la masse du soleil dans un rayon de seulement quelques kilomètres.

Si l’effondrement s’arrête suffisamment tôt, une étoile à neutron  ou  un pulsar  sera formé. Si l’objet poursuit son effondrement, il finira par devenir un trou noir. 

Les simulations numériques sont notamment utilisées pour étudier l’influence de la rotation sur l’effondrement de l’objet, ainsi que la génération du champ magnétique par effet dynamo. Ces deux processus peuvent en effet freiner ou stopper l’effondrement de l’ancienne étoile. La simulation numérique est ainsi un élément décisif pour identifier les conditions favorables à la formation d’un éventuel trou noir (Figure 1, [1])

 

 

Les trous noirs supermassifs, leur croissance et leurs effets sur les galaxies

Les trous noirs peuvent gagner en masse par divers mécanismes : accrétion du gaz ténu constituant le milieu entre les étoiles des galaxies, accrétion d’étoiles passant dans leur voisinage, voire même fusion avec d’autres trous noirs. 

 Les simulations numériques de ces processus réalisées à l’Irfu prédisent depuis une dizaine d’années que les galaxies à disque, telles que notre Voie Lactée, devraient contenir en leur centre un trou noir dit « supermassif », dont la masse peut atteindre plusieurs millions de fois celle du Soleil.

 L’objet compact massif au centre de la Voie Lactée, dont la découverte a été récompensée par le Prix Nobel de Physique 2020, possède toutes les caractéristiques attendues d’un tel trou noir supermassif.

Dans le même temps, les trous noirs supermassif expulsent de grandes quantités de matière des galaxies. Si la matière entrée dans le trou noir n’en ressort pas, la matière située à proximité du trou noir subit d’intenses accélérations gravitationnelles. En interagissant avec l’intense champ magnétique régnant au voisinage des trous noirs, cette matière peut se retrouver éjecter à grande vitesse.

Les astrophysiciens estiment ainsi que seuls quelques pourcents de la matière approchant d’un trou noir supermassif sera accrété par le trou noir, la majorité étant expulsé à grande vitesse.

Les simulations numériques réalisées à l’Irfu ont montré que l’énergie réinjectée dans le gaz environnant les trous noirs supermassif est suffisante pour que la majorité de ce gaz quitte définitivement la galaxie hôte (Figure 2, [3]). Dans certains cas, ce processus pourrait littéralement vider la galaxie de son gaz et conduire à l’arrêt total de la formation de nouvelles étoiles. Ce scénario issu de simulations numériques est cohérent avec les récentes observations des télescopes spatiaux Hubble et Herschel et de l’interféromètre ALMA.

Vue d’une galaxie à disque semblable à notre voie Lactée dont le trou noir central supermassif expulse du gaz à grande vitesse. La carte montre la température du gaz : le disque galactique, froid apparaît en sombre, vu la tranche. L’accélération du gaz au voisinage des trous noirs supermassifs conduit à l’expulsion de bulles de gaz chaud (en clair sur l’image), qui quitte la galaxie à des vitesses de plusieurs milliers de kilomètres par seconde – parfois même une fraction significative de la vitesse de la lumière [3].

Les trous noirs à l’échelle de l’Univers

Les astrophysiciens savent que l’essentiel de la matière de l’Univers est invisible, et détectée uniquement par ses effets gravitationnels sur la matière visible. Seule une infime partie de cette « matière sombre » peut être constitués de trous noirs, car ces derniers grandissent en s’alimentant de matière visible. L’expansion accélérée de l’Univers prouve quant à elle la présence d’une « énergie sombre » de nature inconnue. Comprendre la nature de la matière et de l’énergie sombres nécessite d’observer de très grandes régions d’Univers.

Ces observations sont affectées par les trous noirs qui redistribuent le contenu de l’Univers sur de très grandes échelles. En effet, le gaz expulsé des galaxies par les trous noirs supermassifs se propage à de telles vitesse qu’il finit par occuper une fraction significative du volume de l’Univers, qui est alors rempli de gaz chaud (plusieurs millions de degrés), au lieu de contenir du gaz primordial 100 fois plus froid. Seules les simulations numériques « cosmologiques », de grands volumes d’Univers (Figure 3), peuvent quantifier ce phénomène et permettre d’interpréter les observations pour mieux comprendre la nature de l’énergie sombre. Le grand projet de simulation « Extreme Horizon », menée récemment par l’IRFU, a ainsi permis pour la première fois de corriger certains sondages cosmologiques des effets des trous noirs, et de mesurer alors certaines propriétés de la matière sombre avec une précision inégalée.

 

Figure 3 – Simulation « Extreme Horizon » d’un grand volume d’Univers (150 millions d’années-lumière de côté). Si le gaz primordial  de l’Univers forme habituellement des filaments ténus (bleu sombre sur l’image), le gaz expulsé des galaxies par les trous noirs supermassifs remplit de grandes parties de l’Univers de grandes bulles de gaz chaud en expansion rapide (en vert-orange sur l’image). La simulation numérique est un outil indispensable à la prise en compte de ces effets dans la quête des constituants ultimes de l’Univers.


 

[1] R. Raynaud, J. Guilet, H-T Janka, T. Gastine, 2020, Science Advances, 6, 11

[2]  F. Bournaud et al., 2011, Astrophysical Journal Letters, 741, 33

[3] J. M. Gabor & F. Bournaud, 2014, MNRAS 441, 1615

[4] S. Chabanier et al., 2020, A&A Letters, 643, 8

 

 

 


 

 

#930 - Mise à jour : 10/11/2020

 

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