Le centre de notre galaxie, la Voie Lactée est une région très particulière où est situé un probable trou noir massif, une concentration de plusieurs millions de fois la masse du Soleil, baptisé Sagitarius A* (Sgr A*). C'est également dans cette région que se trouve la plus grande densité de matière de notre galaxie, sous forme d'étoiles, de gaz et d'astres condensés, sources d'une forte émission de rayons X. Depuis plusieurs années, un gaz très chaud, à une température de près de cent millions de degrés, avait aussi été décelé dont l'origine et la répartition exacte n'avaient pu être déterminées. C'est grâce aux images exceptionnelles du satellite XMM-Newton, qu'une équipe européenne dirigée par Anne Decourchelle du Service d'Astrophysique (SAp) du CEA-DAPNIA, vient de dresser la première carte précise de la distribution de ce gaz brûlant. Sa température et sa répartition, presque uniforme dans un large volume, semble indiquer qu'il n'est sans doute pas produit par le trou noir central mais par des sources encore à découvrir.
Dans le cadre d'une collaboration entre le Sap, l'Université de Leicester (U.K.) et l'Institut Max Plank (Allemagne), une observation exceptionnelle de la région centrale de la Galaxie a été planifiée en utilisant les puissants télescopes du satellite XMM-Newton. Pas moins de douze observations différentes, étalées sur deux ans entre septembre 2000 et octobre 2002 avec une durée totale de 70 heures, ont été nécessaires pour reconstituer une image complète d'une région d'une dimension approximative de 1200 par 500 années-lumière.
Bien que XMM-Newton (ESA) possède une résolution spatiale (capacité à distinguer de fins détails) inférieure à son concurrent américain Chandra (NASA), il bénéficie en revanche d'une surface de miroirs plus de cinq fois supérieure. Ceci lui permet de recueillir une quantité de rayons X suffisante pour construire des images aux différentes énergies. Aussi, si la qualité visuelle des images XMM semble inférieure, elle contient une information scientifique sur l'énergie de la lumière que ne peuvent révéler les images Chandra, pour un temps de pose équivalent. Cette capacité s'est révélée capitale pour l'étude du rayonnement X du centre de la Galaxie.
La carte de l'émission en rayons X du centre de notre galaxie obtenue par le satellite XMM-Newton (aux énergies de 0.3 à 9 kilo-électronvolt). La région couverte (2,5 degrés par 1 degré) a une surface équivalente à environ trois fois le disque du Soleil et correspond à la distance du centre galactique (25 000 a.l.)à des dimensions d'environ 1200 par 500 années-lumière. Les couleurs traduisent l'intensité du rayonnement X (croissant du bleu au blanc). En dehors de plusieurs sources identifiées, une émission diffuse est également nettement visible dans la région centrale. Elle correspond à un gaz très chaud de plusieurs millions de degrés. (cliquer pour agrandir). Crédits ESA/SAp.
L'image globale obtenue a été révélée pour la première fois lors d'une réunion scientifique tenue en octobre dernier à Palerme par les scientifiques responsables des caméras EPIC du satellite XMM. La région couverte est d'une dimension totale de 2,5 par 1 degré, soit une surface sur le ciel correspondant à environ 3 fois le disque du Soleil. Elle montre plusieurs sources ponctuelles extrêmement brillantes dont l'étalement apparent sur l'image est dû à la résolution spatiale limitée des miroirs. Déjà connues, ces sources sont nommées d'après leurs coordonnées: 1E1743.1-2843, SAX J1747.0-2853 et le microquasar 1E1740.7-2942 et correspondent à des systèmes d'étoiles doubles contenant un astre condensé. Sur cette image, le centre exact de la Galaxie est légèrement décalé par rapport à l'intersection (0°-0°) des coordonnées dites galactiques. Le centre et le trou noir massif, Sgr A*, se trouve englobé dans le complexe de Sgr A et émet très peu de rayons X. Le rayonnement X de Sgr A, provient en grande partie d'un reste de supernova, Sgr A East, une nébuleuse générée par l'explosion d'une étoile massive par effondrement gravitationnel. Enfin, sur l'image, une source particulière, baptisée G0.9+0.1, correspond à un reste de supernova, avec au centre une étoile à neutron en rotation, résidu de l'explosion. Le reste de l'émission présente sur l'image ne peut être associée à des sources ponctuelles seules et correspond au gaz chaud dont l'existence avait été révélée en 1996 par les observations du satellite japonais ASCA.
L'image du centre de la galaxie en rayons X (en haut à gauche) et en ondes radio (en bas à gauche).
La carte de l'émission en rayons X à l'énergie de 6.4 kilo-electronvolt, correspondant à l'émission d'atomes de fer neutre ou faiblement ionisés (en haut ) droite) comparé à l'émission en ondes radio (en bas à droite). Les contours tracent l'émission en rayons X.
(cliquer pour agrandir). Crédits ESA/SAp
L'image XMM démontre que cette émission diffuse en rayons X n'est pas uniforme, elle est structurée et présente certaines corrélations intéressantes avec la carte de la même région en ondes radio. En ondes radio, la région centrale est très brillante et on observe des zones brillantes baptisées Sgr C, Sgr B2 et B1 ainsi que de nombreux filaments orientés perpendiculairement au plan galactique et probablement reliés à la direction du champ magnétique. L'image totale en rayons X est assez différente mais la qualité des données des caméras EPIC de XMM a permis pour la première fois de produire des images détaillées en isolant seulement une certaine énergie, de la même façon que l'on peut isoler dans une image visible le rouge, du jaune ou du bleu. Ces informations ont permis de distinguer très clairement les différentes composantes jusqu'ici confondues dans cette région très complexe.
Il a été en particulier possible de produire une carte de la contribution spécifique des seuls atomes de fer neutre ou faiblement ionisé (atome ayant perdu au plus 16 de ses 26 électrons) qui produisent des rayons X d'une énergie très précise de 6,4 kilo-électronvolt (keV). Une comparaison de l'émission à 6.4 keV et de l'émission radio (Very Large Array VLA 90 cm) révèle alors une similitude beaucoup plus grande. Trois régions se distinguent, associées à des nuages moléculaires: Sgr B2, Sgr C et la région située entre l'arc radio et le complexe de Sgr A. Ces émissions correspondent à un gaz dont les atomes sont excités par l'interaction avec des particules rapides (émission non thermique). La carte XMM à cette énergie démontre que ce gaz est très probablement le produit de l'irradiation de nuages moléculaires du centre Galactique par des électrons de haute énergie (environ un million d'électronvolt), accélérés lors des explosions d'étoiles très fréquentes dans le centre de la Galaxie.
Mais la surprise la plus étonnante est venue d'une deuxième composante dont la distribution a pu être isolée pour la première foi, grâce au luxe de détails des observations XMM. Elle correspond cette fois-ci à l'émission des atomes de fer fortement ionisés (ne conservant autour du noyau que 2 électrons sur 26), qui émettent des rayons X d'énergie 6.7 keV. La carte détaillée obtenue par XMM à cette énergie montre pour la première fois que cette émission est aussi diffuse et qu'elle ne correspond à aucune région connue.
La carte de l'émission d'un gaz très chaud, de l'ordre de quarante millions de degrés, révélée par les caméras EPIC du satellite XMM-Newton (en bas). La répartition de ce gaz ne correspond pas a des régions déjà connues et visibles sur l'image globale (en haut). Son origine reste actuellement inconnue (cliquer pour agrandir). Crédits ESA/SAp.
La carte de cette émission est très différente de l'émission générale en rayons X et de l'émission à 6.4 keV. Elle est maximale près du centre galactique et décroît rapidement en s'en éloignant, de façon non symétrique, approximativement le long du plan galactique (latitude 0°). La nature de cette deuxième composante, dont la morphologie est enfin révélée, n'a pas encore pu être élucidée. Elle correspond à un gaz dont la température a pu être précisément évaluée, grâce à XMM, à 40 millions de degrés, température suffisamment importante pour arracher presque tous ses électrons aux atomes de fer. Bien qu'inférieure aux estimations précédentes, cette valeur reste étonnamment élevée car le confinement et la production d'un tel plasma est très problématique. En effet, un gaz à une température si élevée ne peut être retenu par le potentiel gravitationnel de notre Galaxie. Il possède une telle énergie qu'il entre en expansion et s'évapore du disque de la Galaxie. Ceci impose donc une source continue de ce gaz dans la Galaxie. Les observations du satellite Chandra ont suggéré qu'environ 10 % de l'émission dans cette régions pouvait être due à des sources discrètes mais il reste à comprendre l'origine des 90 % restant !
Ce gaz chaud, riche en fer, pourrait avoir été produit par une succession de récentes et nombreuses explosions d'étoiles dont les restes n'auraient pas encore identifiés. Mais il faut alors imaginer un confinement particulier, peut être dû au champ magnétique de la Galaxie. On a également longtemps cru qu'un gaz aussi chaud pouvait être produit par l'énergie rayonnée par le trou noir central, mais la détection récente de sursauts en rayons X de Sgr A * prouve que ces sursauts ont des intensités beaucoup trop faibles pour chauffer du gaz à de telles températures. Ce gaz est-il une relique d'une activité ancienne beaucoup plus élevée ? Est-il produit par des sources encore inconnues ? Le vent brûlant qui souffle dans le centre de la Galaxie n'a pas encore révélé tous ses secrets mais il démontre que cette région de notre Univers très local est toujours le siège d'évènements très violents.
Contact :
"Diffuse X-ray emission of the Galactic Centre observed with XMM-Newton"
A. Decourchelle (1), R. Warwick (2), J.L. Sauvageot (1), M. Sakano (2), D. Porquet (3)
(1) CEA/DSM/DAPNIA, Service d'astrophysique, Saclay France, (2) Leicester, UK, (3) MPE, Germany
à paraitre dans Memorie della Societa' Astronomica Italiana. (2004)
communication présentée à la conférence "EPIC CONSORTIUM MEETING", Palermo, 14-16 October 2003
Pour une version électronique : Proceedings (version postcript 3.7Mo) ou (version comprimée (1.87Mo)
Les données de cette observation exceptionnelle du satellite XMM ont aussi donné lieu à plusieurs publications concernant les différentes sources astrophysiques de l'image:
- "Observation du plus puissant sursaut en rayons X de Sgr A* " (astro-ph/0307110))
- " Un nouveau sursaut du centre galactique" (astro-ph/0307620)
- " Etude de la source de rayons X persistante 1E1743.1-2843" astro-ph/0305489)
- " Analyse spectrale de la nébuleuse composite SNR G0.9+0.1" (astro-ph/0211426)
- " Découverte d'un nouveau filament en rayons X" (astro-ph/0211572)
- " Observations du pulsar à sursaut GRO J1744-28 en quiescence" (astro-ph/0202209)
voir aussi : "Sursaut au centre de la Galaxie" (10 Janvier 2003)
Notes
[1] Electron-volt. L'énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en "électron-volt (eV)". Cette unité correspond à l'énergie communiquée à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à 1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d'environ 2 eV, les rayons X dits "mous" de 0.1 à 10 kilo-electronvolt (keV), ceux dits durs de 10 à environ 500 keV. Par convention, la limite entre rayons X et rayons gamma est située à 511keV, énergie à partir de laquelle deux photons peuvent se convertir en matière en produisant une paire électron-positon.
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM