La mesure du gaz d'hydrogène moléculaire (H2) contenu dans le disque entourant une étoile très jeune, âgée de seulement trois millions d'années, vient d'être réalisée pour une des premières fois par une équipe française du Service d'Astrophysique du CEA/DAPNIA et de l'Institut d'Astrophysique Spatiale. Ce gaz est l'ingrédient principal dans la formation des planètes mais il est particulièrement difficile à observer directement car les molécules d'hydrogène (H2) émettent principalement dans un domaine de l'infrarouge fortement absorbé par l'atmosphère terrestre. Les observations ont été réalisées grâce à l'imageur-spectromètre infrarouge à haute résolution, VISIR, conçu au CEA et installé au foyer d'un des grands télescopes européens du VLT (Very Large Telescope) au Chili. Elles ont permis de montrer l'existence de gaz moléculaire dans la partie la plus interne du disque confirmant que ce gaz intervient de façon prépondérante dans la formation des planètes. Ces résultats sont publiés dans la revue "Astrophysical Journal (Letter)" du 10 septembre 2007.
Les étoiles se forment dans l'effondrement d'un nuage de gaz. Au début de leur vie, elles restent entourées d'une enveloppe qui se transforme progressivement en disque. C’est à l’intérieur de ce disque de gaz et de poussières que les planètes vont se former. L’évolution des disques autour des étoiles et la formation des planètes sont donc intimement liées. Les disques sont composés de gaz et de poussières mais le gaz représente 99% de leur masse. Ce gaz est principalement composé d’hydrogène moléculaire, la molécule la plus abondante dans l’Univers. C'est évidemment un élément clé dans l’évolution des disques circumstellaires et il est aussi le principal constituant des futures planètes géantes, comme Jupiter et Saturne.
Mais H2 est une molécule très difficile à observer car elle n'émet que dans l'ultraviolet totalement arrêté par l'atmosphère ou l'infrarouge moyen (aux longueurs d'ondes supérieures à 10 microns). Or, l’eau et l’ozone contenues dans l’atmosphère terrestre absorbent énormément le rayonnement infrarouge moyen. Les principales transitions de H2 se trouvent au bord de profondes zones d’absorption atmosphériques (voir la figure). Pour atténuer cette absorption, les astronomes français ont eu l'idée originale d'utiliser habilement la vitesse de la Terre sur son orbite autour du Soleil. Du fait de cette vitesse relative variable par rapport à l'étoile, les raies spectrales se décalent vers le rouge ou vers le bleu par l'effet Doppler [2] et donc, en fonction de l’époque des observations, la raie d’émission de H2 peut être plus ou moins éloignée de la zone d’absorption atmosphérique. La période d’observation est donc un élément déterminant pour ce type d’observations.
En raison de la vitesse de la Terre sur son orbite autour du Soleil (à gauche), la longueur d'onde de la lumière émise par une étoile se décale par l'effet Doppler vers le rouge (lorsque la Terre se rapproche de l'étoile) ou vers le bleu (lorsqu'elle s'éloigne). L'émission de l'hydrogène moléculaire est située sur le bord d'une large zone d'absorption due à l'atmosphère terrestre (à droite). En fonction de l’époque des observations, la raie d’émission de H2 peut donc être plus ou moins éloignée de la zone d’absorption atmosphérique, soit complètement absorbée par cette dernière (vers le bleu), soit au contraire très peu affectée par cette absorption (vers le rouge). C'est l'utilisation de cet effet qui a permis aux astronomes de détecter l'hydrogène moléculaire.
L'équipe française a choisi d'observer l'étoile HD97048, une très jeune étoile située à environ 600 années-lumière dans la constellation du Cameléon, déjà connue pour posséder un disque très étendu et épais. Cette étoile est dite de type Herbig (du nom de l'astronome américain qui les étudia en premier), une classe d'étoiles très jeunes et de masses intermédiaires, de 2 à 8 fois la masse du Soleil. Les observations ont été réalisées très exactement au mois de Juin, période à laquelle l'effet Doppler terrestre était le plus favorable. Grâce à des conditions exceptionnelles d'observations (temps très clair, humidité faible) et à l'instrument VISIR, un des rares instruments au monde et le seul dans l'hémisphère Sud, capable grâce à sa résolution d'utiliser l'effet Doppler terrestre, l'hydrogène moléculaire (H2) a bien été mesuré. C'est seulement la deuxième fois que cet élément est mesuré directement autour d'une étoile de type Herbig, l'autre étoile 'AB Aur' est située dans l'hémisphère Nord.
A gauche: image en fausses couleurs du disque de HD97048. Les pointillés blancs représentent la position de la fente d'observation de l'instrument VISIR lors de l’observation de la raie d’hydrogène moléculaire. Le rectangle violet représente la région interne du disque d’où provient l’émission d’hydrogène moléculaire. A droite : la raie d’émission infrarouge de l’hydrogène moléculaire à 17.035 µm observée dans le disque de HD97048.
La cartographie précise de VISIR a également permis de montrer que le gaz était présent dans la zone la plus proche de l'étoile, dans un rayon de seulement 35 fois la distance Soleil-Terre, soit l'équivalent de l'orbite de Pluton dans le Système Solaire.
Cette mesure est en réalité inattendue. Jusqu'ici les astronomes pensaient que le gaz moléculaire devait être "évaporé" rapidement par le rayonnement de l'étoile. Ils ont maintenant la confirmation que ce gaz reste présent beaucoup plus longtemps et joue donc un rôle important durant toute la durée de formation des planètes.
Contact : , et
" Detection of warm molecular hydrogen in the circumstellar disk around the Herbig Ae star HD97048"
C. Martin-Zaïdi, P-.O. Lagage, E. Pantin, E. Habart
dans la revue Astrophysical Journal (Letter) du 10 septembre 2007, vol 666, L117.
pour une version électronique (voir arxiv:0707.4060 et fichier PDF- 356 Ko)
voir aussi
- Anatomie d'un disque protoplanétaire (28 septembre 2006) | |
- le site VISIR du service d'Astrophysique |
Notes :
[1] Collaboration française : Laboratoire AIM, CEA/DSM/DAPNIA/SAp - CNRS - Université Paris Diderot et Institut d'Astrophysique spatiale Orsay.
[2] Effet Doppler : L'effet Doppler-Fizeau est un changement apparent de la fréquence d'une onde, tel que le son ou la lumière lorsque la source est en mouvement par rapport à l'observateur. La fréquence s'accroît lorsque la source se rapproche de l'observateur (décalage vers le bleu) et décroît lorsqu'elle s'éloigne (décalage vers le rouge). Cet effet a été découvert de façon indépendante par le français Hippolyte Fizeau (1819-1896) et l'autrichien Christian Doppler (1803-1853).
[3] L'instrument VISIR (VLT Imager and Spectrometer for the InfraRed) est destiné à étudier l'émission des astres dans le domaine de longueur d'onde compris entre 8 et 25 micromètres. Fruit d'une collaboration entre le Service d'Astrophysique du CEA-DAPNIA et l'institut ASTRON aux Pays-Bas, cet instrument est installé depuis le printemps 2004 au foyer du télescope Melipal, un des 4 télescopes géants de 8 mètres de diamètre du VLT (Very Large Telescope) de l'ESO (Observatoire Européen Austral) .
Rédaction: C. Zaïdi, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Formation des Etoiles et du Milieu Interstellaire
• VISIR • pas de titre