L'étude des images de plus de mille galaxies lointaines a permis à une équipe internationale conduite par Emanuele Daddi du Service d’Astrophysique du CEA-DAPNIA de découvrir une nouvelle population de trous noirs massifs. C'est en comparant les images en lumière infrarouge du satellite Spitzer et celles en rayons X du satellite Chandra que les astronomes ont pu montrer que 20% au moins des galaxies situées à des distances comprises entre 9 à 11 milliards d'années-lumière (correspondant à l'Univers jeune ayant seulement le quart de son âge actuel) contenait bien un trou noir mais que celui-ci était fortement masqué par des poussières. Cette nouvelle population de trous noirs géants montre que, dès son plus jeune âge, l'Univers aurait donc déjà formé plusieurs centaines de millions de trous noirs massifs. Ces travaux sont à paraitre dans le numéro du 10 novembre 2007 de la revue Astrophysical Journal.
Depuis des années, les astronomes cherchent une population de trous noirs massifs (plusieurs centaines de millions de fois la masse du Soleil) qui manquent à l'appel. Des trous noirs géants ont bien été découvert au coeur de nombreuses galaxies proches mais trop peu jusqu'ici dans les galaxies lointaines par rapport aux prévisions théoriques. Les trous noirs supermassifs, parfois appelés "quasars" [1] pour les plus énergétiques d'entre eux, sont situés au centre de galaxies et sont entourés d'un nuage de gaz et de poussières en forme d'anneau. Le gaz tombe progressivement vers le trou noir en émettant un rayonnement de très haute énergie sous forme de rayons X qui peut être détecté, mais qui est parfois absorbé par le gaz et les poussières environnantes, rendant le quasar invisible depuis la Terre.
Pour tenter de percer l'écran de la poussières, les chercheurs ont analysé les images d'un millier de galaxies lointaines dans lesquelles aucun quasar n'était jusqu'ici connu. Ces galaxies aussi massives que la notre, sont situées à une distance de 9 à 11 milliards d'années-lumière de la Terre, et en raison du temps mis par la lumière à nous parvenir, sont donc observées telles qu'elles existaient dans l'Univers jeune âgé de quelques 3 ou 4 milliards d'années. Pour les observer, deux des grand satellites actuellement en orbite ont été nécessaires, le satellite Spitzer pour capter la lumière infrarouge et le satellite Chandra pour détecter les rayons X. Ces observations ont été réalisées dans le cadre du programme GOODS" (pour "Great Observatories Origins Deep Survey", programme d'observation simultanée de deux champs de l'Univers lointain par des satellites de la NASA, de l'ESA, et de télescopes au sol).
Image infrarouge obtenue grâce au satellite Spitzer (longueur d'onde 24 microns) montrant un champ de galaxies dans lequel les galaxies encerclées sont celles présentant un excès de flux infrarouge par rapport a leur luminosité aux autres longueurs d'onde (champ de 5x5 arcmin). Au moins 20% de ces galaxies situées à des distances de 9 à 11 milliards d'année-lumière contiennent un trou noir supermassif. Droits réservés Spitzer/NASA JPL Caltech- CEA/SAp.
Les observations du satellite Spitzer ont révélé que 20% des galaxies observées émettaient une quantité anormale de rayonnement infrarouge mais aucun rayonnement X n'était visible sur les images correspondantes du satellite Chandra. C'est seulement en utilisant une méthode originale, qui consiste à fusionner ensemble par superposition toutes les images, que le faible rayonnement X est apparu, indiquant la présence de trous massifs en leur sein. Ces galaxies lointaines de l'Univers jeune sont en fait si poussiéreuses que le rayonnement X du trou noir est fortement absorbé par les grains de poussières et ne peut nous parvenir. Le rayonnement absorbé sert à chauffer la poussière, qui émet alors l'excès de rayonnement infrarouge détecté dans les images du satellite Spitzer.
"Nous avons sans doute trouvé l'essentiel de la population cachée des trous noirs massifs dans l'Univers jeune", confie Emanuele Daddi. Auparavant, seuls quelques quasars particulièrement énergétiques avaient pu être détectés dans l'Univers jeune. L'observation de ces quasars implique la présence d'un grand nombre de trous noirs supermassifs en phase de croissance dans l'Univers. Selon les calculs des chercheurs, chaque région du ciel de la taille du disque solaire contient au moins 800 trous noirs massifs. Ce sont donc des centaines de millions de trous noirs supplémentaires par rapport à ceux dont on soupçonnait déjà l'existence qui auraient échappé aux observateurs.
Ces quasars nouvellement détectés permettent de mieux comprendre la formation des galaxies dans l'Univers lointain. Ils indiquent en particulier que les collisions entre galaxies ne joueraient pas un rôle déterminant dans l'évolution des galaxies jeunes comme on le pensait jusqu'ici. Les collisions de galaxies étaient souvent évoquées comme le mécanisme déclenchant les phases d'activité des quasars. En réalité, un grand nombre de galaxies massives, qu'elles soient ou non en collision, héberge un quasar.
Contact :
"Multiwavelength study of massive galaxies at z~2. I. Star formation and galaxy growth"
E. Daddi et al.; à paraitre dans la revue Astrophysical Journal 2007
pour une version électronique (voir arxiv:0705.2831 et fichier PDF- 960 Ko)
"Multiwavelength study of massive galaxies at z~2. II. Widespread Compton thick AGN and the concurrent growth of black holes and bulges"
E. Daddi et al.; à paraitre dans la revue Astrophysical Journal 2007
pour une version électronique (voir arxiv:0705.2832 et fichier PDF- 460 Ko)
voir aussi
-le communiqué de presse CEA (25 octobre 2007) | |
-le communiqué de presse CNRS (25 octobre 2007) | |
-le communiqué de presse NASA (25 octobre 2007, en anglais) | |
-le communiqué de presse Chandra (25 octobre 2007, en anglais) | |
-le communiqué de presse Spitzer (25 octobre 2007, en anglais) |
pour en savoir plus
- Formation d'étoiles dans l'Univers lointain" |
Notes :
[1] Quasars : "Quasar" pour "Quasi-star" (appelés aussi "QSO" pour "Quasi-Stellar Objects") désignent les sources très lumineuses découvertes à partir de 1963 à très grandes distances dans l'Univers et dont l'aspect sur le ciel ressemblait a une étoile. Ce sont en fait des coeur de galaxies contenant très probablement un trou noir très massif.
Rédaction: F. Bournaud, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire