Des chercheurs du Laboratoire d'Étude des Phénomènes Cosmiques de Haute Énergie et des experts en simulations numériques du groupe COAST, ont réalisé le couplage entre un code hydrodynamique 3D et un modèle d'accélération de particules, permettant pour la première fois d'étudier de façon réaliste les signatures morphologiques des protons accélérés par l'onde de choc d'un reste de supernova, en fonction de l'efficacité du mécanisme d'accélération, et en prenant en compte des instabilités qui affectent la zone choquée.
Les rayons cosmiques sont des particules élémentaires possédant une énergie très élevée et emplissant tout l'espace. Près d'un siècle après leur découverte, on s'interroge toujours sur leur(s) mécanisme(s) de production. Dans la galaxie, les meilleurs candidats accélérateurs de particules semblent être les restes de supernovae, vestiges de la mort violente de certaines étoiles. On dispose déjà, grâces aux satellites observant en rayons X, de preuves observationnelles de l'accélération d'électrons jusqu'à de hautes énergies dans ces objets (via le rayonnement synchrotron), mais on ne dispose toujours pas de preuves directes de l'accélération de protons (qui représentent pourtant l'essentiel du rayonnement cosmique). Les nouveaux instruments observant en rayons gamma (tels que HESS et Fermi) ont détecté une émission non-thermique à très haute énergie provenant de certains restes, mais les mesures n'ont pas encore permis de trancher sur la source de cette émission : voit-on des électrons ou des protons ?
Une méthode alternative prometteuse, pour mettre en évidence les protons accélérés, consiste à réaliser des diagnostiques morphologiques du reste de supernova. En effet, si une partie importante de l'énergie de la supernova sert à l'accélération de protons, on s'attend à ce que ces derniers rétro-agissent sur leur accélérateur, c'est-à-dire sur la structure de la zone choquée (les électrons sont eux trop légers pour avoir un impact dynamique). Et les performances des derniers observatoires de rayons X (tels que l'européen XMM-Newton ou l'américain Chandra) permettent d'étudier en détails cette structure dans les restes de supernovae jeunes (figure 1).
Figure 1. Image en rayons X du reste de la supernova de Tycho, obtenue avec le satellite Chandra (crédit NASA / CXC / Rutgers / J.Warren & J.Hughes et al.), près de 500 ans après l'observation de la supernova par l'astronome Tycho Brahe (en 1572). L'émission thermique des éjectas choqués apparaît en teintes de vert, jaune et rouge. L'émission synchrotron des électrons accélérés (en bleu-violet) trace la position du choc principal.
Figure 2. Représentation schématique de la structure d'un reste de supernova. La propagation supersonique des éjectas dans le milieu interstellaire (MIS) provoque la formation d'un choc autour de la structure en expansion (choc principal). La décélération des éjectas se traduit par la formation d'un second choc se déplaçant vers l'intérieur du reste (choc en retour). L'interface entre les éjectas choqués et le MIS choqué (discontinuité de contact) est instable.
Pour pouvoir interpréter ces observations, il faut disposer de modèles d'évolution de restes de supernovae qui tiennent compte des effets dynamiques de l'accélération de particules. Les effets principaux avaient été mis en évidence par des membres de l'équipe, à l'aide de simulations auto-similaires 1D couplées à un modèle d'accélération simple (Decourchelle et al 2000). Mais la discontinuité de contact, interface entre les éjecta et le milieu ambiant (voir figure 2), est instable : elle est sujette à l'instabilité de Rayleigh-Taylor. Cela nécessite de réaliser des simulations 3D, pour capturer la dynamique complète du reste et pouvoir confronter les modèles aux observations. Les seules simulations hydrodynamiques 3D de restes réalisées jusque là (Blondin & Ellison 2001) ne traitaient qu'une fraction de la structure, et n'incorporaient pas de modèle d'accélération (la présence des particules était mimée en changeant artificiellement la compressibilité du gaz). Le travail réalisé ici combine pour la première fois ces deux approches, en réalisant dessimulations numériques 3D de l'évolution d'un reste de supernova sur un huitième de sphère, en incluant l'accélération et la rétro-action de particules.
Pour simuler le reste de supernova, l'équipe a ré-utilisé le code hydrodynamique RAMSES, développé au SAp pour l'étude de la formation des grandes structures dans un cadre cosmologique (Teyssier 2002). Il a fallu l'adapter à l'étude des restes de supernovae, en utilisant en particulier une grille comobile qui permet de s'affranchir de l'évolution globale du reste et de concentrer la puissance de calcul sur l'évolution de la zone choquée. Pour simuler l'accélération, l'équipe a couplé au code hydrodynamique un nouveau modèle semi-analytique développé par une équipe italienne (Blasi 2002). Ce modèle permet de calculer les spectres de particules accélérées à chaque instant en fonction de la configuration du choc, et aussi de prédire les modifications induites en retour sur le choc, lesquelles sont ré-injectées dans le code hydrodynamique, réalisant ainsi un couplage non-linéaire entre des échelles totalement différentes.
Les premiers résultats de ce nouveau code de simulation (figure 3) permettent d'étudier l'évolution conjointe du reste de supernova et des particules, sans limitations spatiales ou temporelles (Ferrand et al 2010). Les chercheurs ont observé que la rétro-action sur le choc présente des régimes distincts selon le taux d'injection, c'est-à-dire la fraction de particules du gaz qui entrent dans le processus d'accélération (un paramètre très important mais essentiellement inconnu). Ils ont confirmé que la morphologie de la zone choquée est très sensible à la présence de protons accélérés - par contre, de façon surprenante, le développement des instabilités hydrodynamiques ne semble pas affecté par l'accélération. La comparaison de ces résultats avec les observations X d'un reste de supernova jeune comme celui de Tycho montre la pertinence de cette approche. Les observations telles que celles de la figure 1 ne s'accordent pas avec ce qu'on attendrait d'une évolution purement hydrodynamique du reste : la structure choquée est plus compacte que la théorie ne le prédit. Les simulations telles que celles de la figure 3 peuvent par contre les reproduire facilement dès lors qu'on suppose une injection suffisamment élevée de protons au choc principal. Cela appuie, indirectement mais clairement, l'idée que les restes de supernovae jeunes peuvent être des accélérateurs très efficaces de protons.
Ces travaux sont la première étape d'un projet porté au SAp (avec l'appui d'un financement ANR-JC) visant à réaliser des simulations 3D de l'évolution morphologique et spectrale des restes de supernova, en incluant l'accélération de particules. Les prochains développements permettront le calcul de l'émission multi-longueur d'onde du reste (à la fois thermique et non-thermique), dans le but d'une quantification précise de l'intensité de l'accélération.
Figure 3. Résultats extraits d'une simulation numérique 3D à t = 500 ans, pour un reste de supernova du type de Tycho.
La moitié gauche de l'image montre une coupe du reste, ce qui permet de voir sa structure interne, à comparer au schéma de la figure 2 (les éjectas sont représentés en vert, et le milieu interstellaire en violet). La moitié droite de l'image montre une projection du carré de la densité, ce qui donne une idée de l'émission thermique des éjectas en rayons X, à comparer aux observations de la figure 1.
La moitié haute de l'image montre un cas purement hydrodynamique, sans accélération de particules. La moitié basse de l'image montre un cas modifié par l'accélération de particules.
animations téléchargeables de l'évolution temporelle du reste, de 10 à 500 ans après la supernova :
- à haute résolution, pour une sélection d'âges : GIF animé (524 ko)
- à plus basse résolution, année par année :
. dans le référentiel du milieu ambiant : vidéo MPEG4 (1.6 Mo)
. dans le référentiel du choc : vidéo MPEG4 (1.6 Mo)
Contacts : ,
Publication : "3D simulations of supernova remnants evolution including non-linear particle acceleration"
Gilles Ferrand (1), Anne Decourchelle (1), Jean Ballet (1), Romain Teyssier (1,2) et Federico Fraschetti (3,4)
(1) Laboratoire AIM, CEA/Irfu, CNRS/INSU, Université Paris VII
(2) Institute for Theoretical Physics, University of Zürich
(3) LUTh, Observatoire de Paris, CNRS-UMR8102 et Université Paris VII
(4) Lunar and Planetary Lab & Dept. of Physics, University of Arizona
Publié dans la revue "Astronomy and Astrophysics" de janvier 2010, volume 509
Voir aussi :
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules Modélisation, calcul, analyse des données
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM