Le trou noir central de la Galaxie, aujourd'hui étonnamment calme, a connu il y a plusieurs centaines d'années un violent regain d'activité. C'est en étudiant l'émission à haute énergie des nuages moléculaires situés dans les régions centrales de la Galaxie, qu'une équipe internationale dirigée par des astrophysiciens du laboratoire APC et incluant des chercheurs du Service d'Astrophysique du CEA-Irfu est arrivée à cette conclusion. Les chercheurs ont découvert des variations étonnantes, dont certaines semblent se propager par un effet d'optique à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière. Elles révèlent une éruption géante amorcée il y a environ 400 ans. Le puissant sursaut est visible aujourd'hui après sa réflexion sur des nuages moléculaires qui jouent le rôle de miroirs célestes. L'histoire récente ainsi retracée montre que le trou noir du centre galactique n'est pas aussi éloigné de la famille des trous noirs supermassifs des noyaux actifs de galaxies. Ces travaux, basés sur deux programmes à long terme sur les satellites XMM-Newton et Integral, font l'objet de deux publications complémentaires dans la revue The Astrophysical Journal.
Sur des images en rayons X obtenues par le satellite XMM, les chercheurs ont découvert des variations de luminosité étonnantes entre 2004 et 2009, qui montre que le trou noir gigantesque du centre de la galaxie a eu une éruption géante il y a environ 400 ans. Animation R. Terrier (APC) Crédits APC/CEA-SAp /ESA. |
Au centre de la Voie lactée existe un trou noir de 4 millions de masses solaire, associé à la source radio Sgr A*. Malgré de nombreuses campagnes d'observations, il semble étonnamment discret et seule la dernière génération de télescopes à rayons X (Chandra et XMM-Newton) a permis jusqu'à présent de détecter une faible activité sous la forme de bouffées sporadiques. La méthode employée par les chercheurs pour déceler les traces d'activité a consisté à étudier l'émission des nuages moléculaires [1], nombreux dans la région du centre galactique. En effet, lorsqu'un nuage moléculaire est illuminé par un rayonnement de haute énergie, il réfléchit la lumière sous la forme d'un rayonnement caractéristique dit rayonnement de fluorescence [2]. Ce phénomène, analogue à un écho sonore, a déjà été mis en évidence dans le cas de nébuleuses. L'éclat décelé dans les années 90 de Sgr B2, nuage moléculaire le plus massif de la région centrale de la Galaxie avait de cette manière été attribué à une éruption du trou noir il y a 300 ans. Néanmoins, d'autres explications comme l'existence d'une source excitatrice placée à l'intérieur du nuage ou celle de particules chargées en interaction avec le nuage étaient également évoquées. Les nouvelles observations obtenues par le satellite Integral sur plus de six ans viennent de démontrer aujourd'hui que l'émission du nuage Sgr B2 est sans doute bien provoquée par le trou noir.
Obtenue par la caméra Isgri entre 20 et 60 keV, l'intensité du signal observé décroit de façon régulière entre 2003 et 2009. Une observation complémentaire par XMM-Newton en 2004 exclut la présence au sein du nuage d'une source variable suffisamment intense pour expliquer le flux détecté par Integral. L'importance de la variation, le signal est divisé par deux en huit ans, écarte une origine due à un bombardement de particules chargées, protons ou électrons énergétiques, incapable de produire une variation si rapide. Argument supplémentaire pour une origine externe au nuage, des observations effectuées par d'autres équipes montrent une variation similaire du rayonnement de fluorescence [2]. Les chercheurs concluent que l'émission observée de Sgr B2 résulte de la réflexion d'une éruption géante du trou noir central de la Galaxie. La décroissance observée est le reflet du déclin du sursaut, amorcé il y a 100 ans. Ce résultat est conforté par la découverte d'un second nuage moléculaire, G0.11-0.11, dont le rayonnement de fluorescence montre une décroissance identique : ce nuage voit également la fin du sursaut.
La région du centre galactique vue par la caméra Isgri à bord du satellite INTEGRAL entre 2003 et 2009 dans la bande d'énergie 20-60 keV. L'intensité lumineuse du nuage moléculaire Sgr B2 (cercle vert dans l'image 2003) décroit clairement entre 2003 et 2009, signature du déclin il y a 100 ans d'une éruption du trou noir central dont la position est indiquée par une croix. Le champ de chaque image est de 2x6 degrés et chaque pose totalise trois millions de secondes. Hormis Sgr B2, les sources détectées sont principalement des couples d'étoiles contenant des objets compacts (systèmes binaires X).
Si ces deux nuages témoignent de la fin du sursaut, on peut alors imaginer que d'autres nuages, judicieusement placés par rapport au trou noir et à l'observateur, permettent de remonter à sa naissance.
Au cours d'un programme de cartographie du centre galactique par le satellite XMM-Newton, les chercheurs ont ainsi découvert d'étonnantes variations de plusieurs nuages moléculaires. Le résultat le plus spectaculaire obtenu est le comportement d'un nuage moléculaire appelé « bridge (le pont) » qui semble s'allumer progressivement à différents endroits entre 2004 et 2009. Cette illumination est produite comme si un front de lumière externe balayait ce nuage progressivement. Mais la variation est de l'ordre de 5 ans alors que la taille minimale du nuage est de 15 années-lumière: tout se passe comme si la vitesse apparente était trois plus élevée que la vitesse de la lumière ! Cet écho de lumière superluminique, similaire à ceux observés autour de nova ou de supernova, est une illusion d'optique. Il résulte d'un effet de projection sur le ciel, et est dû à une configuration géométrique particulière entre la source émettrice et le nuage moléculaire. Il s'explique selon les chercheurs en plaçant le nuage « derrière » Sgr A* (par rapport à l'observateur), à une distance supérieure à 50 années-lumière et illuminé par un front de rayonnement de haute énergie presque parallèle à la surface du nuage visible par l’observateur et en provenance du trou noir.
Cette séquence d’images obtenue par XMM-Newton montre l’évolution entre 2004 et 2009 de l’émission de fluorescence (dans la raie du Fer neutre à 6.4 keV) de plusieurs nuages moléculaires proches de Sgr A* (situé hors du champ). L'excellente résolution spatiale et spectrale des instruments de ce satellite à rayons X permet de produire des images fines dans la raie de fluorescence du Fer à 6.4 keV et seulement dans cette raie. Les sous régions 1, 2, 3 et 4 (en pointillé) du nuage appelé "bridge" (grande ellipse bleu) s’allument progressivement. La dimension de ce nuage est sur le ciel d’environ 2 minutes d’arc soit à la distance du centre galactiques 15 années-lumière. La flèche blanche pointe dans la direction de Sgr A*.
L'observation des nuages moléculaires a donc permis de retracer l'histoire récente du trou noir du centre galactique. Les auteurs de ces deux articles concluent qu'il s'est violemment réveillé il y a 400 ans pour s'éteindre à nouveau lentement il y a 100 ans avant de rentrer dans la phase de léthargie actuelle. L'intensité de l'éruption, un million de fois le niveau présent, le rapproche par cet épisode d'activité de la famille des trous noirs supermassifs tapis au cœur des galaxies actives. Les nuages moléculaires apportent la preuve que le trou noir central de la Galaxie est probablement moins atypique qu'il ne paraissait.
Contact : (CEA)
Publications :
« Fading Hard X-ray Emission from the Galactic Centre Molecular Cloud Sgr B2»
Terrier R. (1), Ponti G. (1,2), Bélanger G. (3), Decourchelle A. (4,5), Tatischeff V. (6), Goldwurm A. (1,4), Trap G. (1,4), Morris M. R. (7) and Warwick R. (8), Astrophysical Journal, 2010, pour une version electronique arXiv:1005.4807
(1) APC-Paris (F), (2) University of Southampton (UK), (3) ESAC/ESA Villanueva de la Canada (SP), (4) SAp/IRFU-Saclay (F), (5) AIM-Saclay (F), (6) CSNSM/CNRS-Orsay (F), (7) UCLA-Los Angeles (US), (8) University of Leicester (UK)
« Discovery of a Superluminal Fe K Echo at the Galactic Centre: The Glorious Past of Sgr A* Preserved by Molecular Clouds»
Ponti G. (1,2), Terrier R. (1), Goldwurm A. (1,3), Belanger G. (4) and Trap G. (1,3), Astrophysical Journal, 2010 May 1, Vol 714, p. 732, pour une version électronique arXiv:1003.2001
(1) APC-Paris (F), (2) University of Southampton (UK), (3) SAp / IRFU-Saclay (F), (4) ESAC/ESA Villanueva de la Canada (SP)
Voir : le texte du communiqué de presse CNRS-CEA
Voir également : - "Sursaut au centre de la Galaxie" , Janvier 2003
: - "Le trou noir central de la Galaxie" , Octobre 2003
Notes :
[1] Les nuages moléculaires sont des nébuleuses interstellaires principalement constituées d'hydrogène moléculaire (H2) et dans une moindre proportion d'autres molécules comme le monoxyde de carbone (CO). Ils représentent une fraction importante, jusqu'à 50 %, de la masse de gaz total de la Galaxie et sont le site privilégié de formations d'étoiles. La région du centre galactique abrite de nombreux nuages moléculaires dont les plus massifs atteignent un million de masse solaire.
[2] Rayonnement de fluorescence. Si la matière constituant un nuage moléculaire est illuminée par un rayonnement X d'énergie supérieure à 7 keV, les atomes de Fer présents dans le milieu peuvent absorber les rayons X en perdant un électron des couche internes et, dans la transition qui suit (remplacement du niveau électronique vide avec un électron de la couche supérieure), émettre un photon de 6.4 keV, énergie de la transition. Le nuage brille alors dans cette raie dite de fluorescence du Fer neutre. Les rayons qui ne sont pas absorbés par les électrons internes du Fer sont par contre diffusés par les électrons externes en ne cédant que très peu d'énergie. La distribution en énergie du flux réfléchi par le nuage est alors pratiquement identique au rayonnement incident, aux pertes dues à la diffusion près. Ces deux types de rayonnement, dans une raie et dans le continu, caractérisent une nébuleuse en réflexion.
Rédaction : Andrea Goldwurm, Christian Gouiffès
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Phénomènes Cosmiques de Haute Énergie
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