Figure 1 : le nouveau de type de “violation CP” mesuré par DZero est en désaccord avec les prédictions théoriques du modèle standard des particules et de leurs interactions. Crédit : Fermilab.
Dans le cadre de l'expérience DZero(1) réalisée auprès de l'accélérateur Tevatron de Fermilab(2) (Chicago) et à laquelle participent le CNRS/IN2P3 et le CEA/Irfu, les physiciens ont mesuré une violation significative de la symétrie matière-antimatière dans le comportement des particules contenant des quarks b, appelées "mésons B" (ou "mésons beaux")(3), et ceci au-delà des prédictions du modèle standard, la théorie actuelle de la physique des particules. Ce résultat a été soumis pour publication dans la revue Physics Review D.
La prédominance de la matière sur l'antimatière que nous voyons dans l'Univers n'est possible que s'il existe des différences de comportement entre particules et antiparticules. Bien que les physiciens aient déjà observé de telles différences depuis des décennies (on appelle ce phénomène la "violation de CP"), elles étaient pour l'instant beaucoup trop infimes pour expliquer la prédominance de la matière sur l'antimatière dans l'Univers, tout en étant compatibles avec le Modèle standard. L'article de DZero annonce une différence d'un pour cent entre les taux de production de paires de muons et de paires d'antimuons observés lors de la désintégration des paires de mésons B produits lors des collisions à grande énergie au Tevatron du Fermilab.
S'il est confirmé par de futures observations, l'effet vu par des physiciens de DZero marque une nouvelle étape vers la compréhension de la prédominance de la matière dans l'Univers et indique l'existence de nouveaux phénomènes de physique qui dépassent nos connaissances du moment.
Utilisant les dispositifs uniques de leur détecteur de précision et des méthodes d'analyse développées récemment, les chercheurs de DZero ont prouvé que la probabilité que leur mesure soit compatible avec tout autre effet connu est inférieure à 0,1 pour cent (3,2 écarts-types), ce qui favoriserait donc une explication faisant appel à des théories dépassant le modèle standard (voir figure 1).
Quand des particules de matière et d'antimatière de grande énergie entrent en collision, elles se transforment en énergie et produisent de nouvelles particules et antiparticules. Grâce au collisionneur proton-antiproton du Fermilab, les chercheurs observent chaque jour des centaines de millions de collisions. Les processus similaires qui ont eu lieu lors des premiers instants de l'Univers, auraient dû donner naissance à un Univers contenant autant de matière que d'antimatière. Or, ce que nous voyons autour de nous n'est uniquement composé que de matière, alors que les antiparticules ne peuvent seulement être produites que dans les réactions à haute énergie des collisionneurs ou par les rayonnements cosmiques. La question de savoir pourquoi l'antimatière a quasiment disparu de notre Univers est une énigme majeure de la physique des particules du XXIe siècle. Une des réponses possibles résiderait en l'existence d'un léger excédent de particules créé au cours des premiers instants de l'Univers, à cause justement d'une violation significative de la symétrie CP ; l'Univers s'est ensuite refroidi, l'antimatière s'est annihilée avec la matière en produisant du rayonnement, et l'infime excédent initial de matière aurait permis ensuite de former les galaxies et les étoiles qui nous entourent.
Figure 2 : schéma expliquant le principe de la mesure de l’asymétrie matière-antimatière grâce au détecteur DZero. Crédit : Fermilab (traduction : CNRS/IN2P3)
Les physiciens de DZero ont fait une analyse de données "en aveugle" afin d'éviter tout biais dans leurs observations : c'est seulement après une longue période de vérification de leurs outils d'analyse et de leurs échantillons de données de contrôle qu'ils ont alors mis en œuvre l'ensemble des données. Certaines incertitudes instrumentales importantes ont été éliminées par le renversement régulier de la polarité des champs magnétiques de leurs deux aimants pendant la collecte de données (voir figure 2).
La précision des mesures de DZero est encore limitée par le nombre de collisions enregistrées jusqu'à présent. Les physiciens de CDF (l'autre expérience du Tevatron, qui n'a cependant pas la possibilité de changer la polarité de son aimant) et de DZero continuent donc d'accumuler des données et d'affiner leurs analyses pour résoudre ce problème et beaucoup d'autres tout aussi fondamentaux. Le résultat actuel de DZero est fondé sur les données collectées dans l'expérience au cours des huit dernières années, où des centaines de trillions de collisions (pour les physiciens, cela correspond à une luminosité totale intégrée de plus de six "femtobarns inverses", avec 1 fb-1 = 10-39 cm-2) entre les protons et les antiprotons du collisionneur Tevatron ont été enregistrées.
(1) La collaboration internationale DZero comprend environ 500 physiciens provenant de 86 instituts de 19 pays. Le financement de l'expérience DZero provient du Department of Energy's Office of Science, de la National Science Foundation, et de plusieurs agences de moyens internationales, dont le CNRS (IN2P3) et le CEA. Une cinquantaine de physiciens français des laboratoires de l'IN2P3 et du CEA collaborent depuis une dizaine d'années à l'expérience Dzero et sont cosignataires de cette découverte. En France, les laboratoires participant à DZero sont : le Laboratoire de physique nucléaire et de hautes énergies à Paris (CNRS/IN2P3 - Université Pierre et Marie Curie - Université Paris Diderot), le Laboratoire de physique corpusculaire de Clermont-Ferrand (CNRS/IN2P3, - Université Blaise Pascal), le Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie à Grenoble (CNRS/IN2P3, Université Joseph Fourier, Institut Polytechnique de Grenoble), l'Institut de physique nucléaire de Lyon (CNRS/IN2P3 - Université Claude Bernard-Lyon 1), le Centre de physique des particules de Marseille (CNRS/IN2P3 - Université de la Méditerranée), le Laboratoire de l'accélérateur linéaire à Orsay (CNRS/IN2P3 - Université Paris-Sud 11), l'Institut pluridisciplinaire Hubert Curien à Strasbourg (CNRS/IN2P3 - Université de Strasbourg) et l'Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) du CEA à Saclay.
(2) Fermilab, acronyme de Fermi National Accelerator Laboratory, est situé près de Chicago, et son accélérateur principal est le Tevatron.
(3) Appelés aussi "mésons beauty" ou "bottom" dans le jargon des physiciens.
Pour en savoir plus
Contacts chercheur
• Constituants élémentaires et symétries fondamentales › Physique des particules auprès des collisionneurs
• Le Département de Physique des Particules (DPhP)
• D0