L'ESS (European Spallation Source) sera la source de neutrons la plus puissante au monde. Les gains en intensité des faisceaux de neutrons obtenus grâce à la méthode de spallation et à la mise au point de nouvelles méthodes d'observation permettront aux scientifiques d'analyser et de comprendre le déroulement de phénomènes au niveau atomique et moléculaire. Sa construction devrait bientôt commencer à Lund pour une mise en service à la fin de la décénie.
L'Irfu (Institut de Recherche sur les lois Fondamentales de l'Univers) a été impliqué dans la phase préparatoire du projet, en contribuant notamment à l'estimation des quantités et types de déchets générés par la cible de spallation et en évaluant le coût de démantèlement de l'installation ESS. Cette étude a aussi permis de démontrer l'importance du choix du type de cible pour le coût de démantèlement ultérieur.
La spallation désigne l'ensemble des réactions induites lorsqu'un proton ou un neutron frappe un noyau avec une énergie cinétique de l'ordre du GeV1. Le noyau évacue alors le surcroît d'énergie qui vient de lui être apporté par l'émission de particules ou en fissionnant dans le cas des noyaux lourds. Chaque impact peut produire vingt à trente neutrons, par proton incident de 1 GeV. C'est ainsi que la spallation est utilisée comme source de faisceaux intenses de neutrons (de 2 à 10 MeV). On utilise dans ce but une cible d'un métal lourd, soumise au bombardement de protons de haute énergie.
Dans la phase préparatoire d'ESS trois cibles ont été étudiées pour identifier celle qui engendrera le moins de risques en termes de sécurité et radioprotection vis-à-vis des travailleurs et de l'environnement lors du démantèlement de l'installation. Les aspects liés à la gestion des déchets générés suite à l'irradiation de la cible constitueront un des critères pour le choix de la cible ESS. Il s'agit de deux cibles liquides (Pb-Bi, Hg) et d'une cible solide (W-Ta). La première implication de l'Irfu a concerné à la fois l'étude de la cible solide W-Ta en termes d'activation et de déchets générés ainsi que les orientations techniques et/ou organisationnelles pour pallier aux risques associés.
Cette implication a offert l'opportunité de réaliser une étude complète, qui traite tous les aspects spécifiques à un déchet de très haute activité à vie longue. Les ingénieurs du LENAC (Laboratoire d'Expertises Nucléaires en Assainissement et Conception) ont pu ainsi approfondir le domaine de la réglementation associée dans le contexte européen. L'étude a abouti à une caractérisation complète des déchets générés, des indications sur les types de colis utilisables pour leur transport et également sur leur entreposage dans des sites adaptés.
L'estimation du coût de démantèlement d'une installation nucléaire avant même l'établissement de son design définitif nécessite un travail d'analyse important qui doit aboutir à la prise en compte des hypothèses représentant au mieux le futur fonctionnement de l'installation. Or, dans le contexte particulier du projet ESS, l'absence d'information dans la phase préparatoire a amené les ingénieurs du LENAC à proposer une méthodologie différente de celle habituellement suivie. Cette méthodologie repose sur deux principaux retours d'expérience avec l'application de bons ratios afin de prendre en compte les spécificités de la future installation ESS. Celle-ci a permis d'une part la valorisation de l'expérience de l'Irfu dans le domaine du démantèlement (synchrotron SATURNE) et d'autre part l'utilisation d'une expérience internationale dans ce domaine (installation SNS aux USA). Les coûts ainsi estimés s'élèvent à environ 10 M€ pour les bâtiments annexes (hors bâtiment cible).
L'étude a permis de mettre en évidence que la cible de W constitue un bon compromis pour ESS, avec un taux de production de neutrons comparable aux autres cibles et sans engendrer plus de contraintes quant à la gestion des déchets radioactifs suite à son irradiation. Ces contraintes sont néanmoins importantes, compte tenu des niveaux d'activité de la cible en fin de vie (déchet de haute activité à vie longue) nécessitant la mise en place des techniques de transport et d'entreposage particuliers. La Figure 2 montre ainsi une activité résiduelle de la cible de l'ordre de 105 TBq à l'arrêt de l'installation et d'environ 103 TBq 10 ans après. Ceci implique l'utilisation des colis de transport appropriés de type C qui doivent satisfaire des conditions particulières de résistance mécanique (en accord avec la réglementation AIEA). L'étude à permis de démontrer qu'au bout de 100 ans les déchets pourraient être transportés en utilisant des colis moins contraignants de type B pour lesquels la tenue aux accidents ne doit pas être vérifiée.
Cette étude a également démontré l'importance du choix du type de cible pour le coût de démantèlement ultérieur. La comparaison en termes de déchets générés par les trois cibles envisagées pour ESS à mis en évidence les difficultés particulières à chacune d'entre elles, notamment en ce qui concerne la cible Hg. En effet, le choix de cette dernière option pour la production des neutrons dans ESS générerait un coût de démantèlement du bâtiment cible d'environ 200 M€. Ce coût très élevé est principalement dû au traitement chimique particulier que nécessitent les déchets contenant du mercure avant leur entreposage.
1 Un giga électronvolt (GeV) correspond à une énergie d'un milliard d'électronvolts. L'électronvolt est l'énergie acquise par un électron plongé dans un champ électrique d'un volt. Par la formule d'Einstein faisant le lien entre énergie et masse, E=mc2, le GeV/c2 est une unité de masse.
Contact : Valentin BLIDEANU