Grâce à des simulations numériques à très haute résolution, une équipe de chercheurs du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu menée par Florent Renaud a pu analyser pour la première fois en détail les effets de la turbulence générée lors de la collision de deux galaxies. Les simulations numériques, en résolvant les mouvements du gaz jusqu'à de très petites échelles de quelques années-lumière, montrent que le mouvement tourbillonnaire du gaz, qui normalement s'oppose à l'effondrement de la matière, aboutit dans certains cas à un effet compressif. Ce processus de turbulence compressif permet d'expliquer pourquoi certaines galaxies forment leurs étoiles bien plus efficacement que d'autres. Ces résultats sont publiés dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society d'avril 2014.
Dans une galaxie, les étoiles se forment lorsque le gaz de la galaxie devient suffisamment dense. La question de leur formation revient donc à comprendre quels sont les mécanismes capables de comprimer ce gaz interstellaire. La gravitation est la force fondamentale qui tend à faire s'effondrer le gaz sur lui-même, mais elle entre en général en compétition avec d'autres processus qui ralentissent cet effet jusqu'à l'annuler.
Parmi ces processus, la turbulence du milieu interstellaire joue un rôle de premier ordre. La turbulence est l'ensemble des mouvements désordonnés du gaz. Dans une galaxie ordinaire "normale" telle que notre Voie Lactée, la turbulence est générée par de nombreux processus, notamment les mouvements à grande échelle, comme la rotation du disque galactique. Cette énergie turbulente est transférée jusqu'aux petites régions de gaz où se forment les étoiles. Le gaz y est alors perturbé, entrainé par des tourbillons semblables aux volutes de fumée de cigarette, ce qui le stabilise contre son effondrement sous l'effet de la gravitation. Dans de telles conditions, les étoiles se forment alors très lentement uniquement dans les rares régions où la gravitation l'emporte sur la turbulence.
Dans le cas des collisions de galaxies, les effets ne sont plus les mêmes. Lors de ces collisions qui sont des événements fréquents dans la vie d'une galaxie, on observe en géneral une flambée de formation des étoiles. L'efficacité de la formation des étoiles s'est révélée bien plus importante que dans les galaxies isolées, pour une raison jusqu'alors inconnue.
Simulation d'une rencontre de deux galaxies, similaire à celle qui a donné naissance à la paire de galaxies baptisée "Les Antennes". La simulation montre la déformation des galaxies après leur première rencontre (à gauche). Les simulations à haute résolution permettent de conserver les plus fins détails. Sur le zoom (à droite) est représentée la densité du gaz (croissante du bleu au rouge). Les étoiles se forment dans les régions denses (en jaune et rouge) sous l'effet d'un processus de "turbulence compressive". La formation d'étoiles y est plus efficace que dans la Voie Lactée. Crédits CEA-SAp
Pour trouver la clé de la formation des étoiles lors de ces collisions, les chercheurs du Sap ont utilisé les super-calculateurs les plus puissants d'Europe [1] pour modéliser tout à la fois une galaxie isolée comme la Voie Lactée et une collision de deux galaxies comme celle qui a donné naissance à la paire de galaxies dites "Les Antennes". Ces nouvelles simulations ont pu atteindre une finesse de détails inédite, près de dix fois plus élévée que celles réalisées auparavant, permettant de résoudre des structures 1000 fois moins massives. Les astrophysiciens ont pu ainsi suivre le mouvement du gaz dans un cube de plusieurs centaines de milliers d'années-lumière de dimension tout en préservant l'exploration de détails de seulement une fraction d'années-lumière. Grâce à ce gain décisif, de nouveaux effets physiques sont apparus.
Normalement, une collision de galaxies augmente les mouvements désordonnés du gaz et introduit ainsi une turbulence supplémentaire. On s'attendrait donc à ce que cette turbulence accrue freine la formation des étoiles or c’est l'inverse qui est observé. Les simulations à haute résolution ont pu montrer qu’en réalité la collision modifiait la nature même de la turbulence à petite échelle: un mode de compression du gaz remplace l'effet purement tourbillonnaire. La turbulence contribue alors contre toute attente à l'effondrement du gaz. C'est cet effet de "turbulence compressive" qui génère un excès de gaz dense et donc une flambée de formation stellaire dans des régions couvrant un important volume des galaxies et non pas seulement dans leurs régions centrales. Ce processus apparait désormais comme essentiel pour déclencher la formation des étoiles.
Evolution de l'énergie de la turbulence compressive (rouge) et du taux de formation stellaire (bleu) au cours de l'interaction des galaxies des Antennes. Les lignes verticales marquent la première rencontre entre les galaxies, puis leur fusion. L'énergie turbulente augmente à chaque collision, suivie, avec un petit écart de seulement quelques millions d'année d'une flambée de formation stellaire, montrant le lien direct entre les deux phénomènes. Crédits CEA-SAp
Contact : Florent Renaud
« Starbursts triggered by inter-galactic tides and interstellar compressive turbulence »
Florent Renaud (1), Frédéric Bournaud (1), Katarina Kraljic (1) & Pierre-Alain Duc (1), publié dans la revue MNRAS (pour une version numérique PDF: http://arxiv.org/pdf/1403.7316v1)
(1) Laboratoire AIM Paris-Saclay, CEA/IRFU/SAp, CNRS, Université Paris Diderot, F-91191 Gif-sur-Yvette Cedex, France
-voir : - le communiqué de presse du CEA (12 mai 2014)
- le communiqué de prese MNRAS (12 mai 2014, en anglais)
- voir aussi : - les clés de l'évolution des galaxies Dossier de Presse (7 juin 2013)
- le Message des Antennes (04 octobre 2010)
- une nouvelle théorie pour la formation des galaxies (22 janvier 2009)
[1] Les simulations de la Voie Lactée ont été réalisées sur le super-calculateur Curie (utilisant 6080 processeurs en parallèle) dans un cube de 300 000 années-lumière avec une résolution de 0,1 année-lumière et ont nécessité un temps équivalent de 12 milions d'heures de calcul. Le super-calculateur Curie appartient au Genci (Grand Equipement de Calcul Intensif) et au consortium PRACE (Partnerhsip for Advanced Computing in Europe) et est hébergé dans les locaux du Très Grand Centre de Calcul du CEA (TGCC).
Les simulations de la collision de galaxies ont été réalisées sur le super-calculateur SuperMUC (Leibniz-Garching - 4096 processeurs en parallèle) dans un cube de 600 000 années-lumière avec une résolution de 3 années-lumière et ont nécessité un temps équivalent de 8 milions d'heures de calcul.
Rédaction : F. Renaud, J.M. Bonnet-Bidaud
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