Des chercheurs du Centre de physique théorique (CNRS/École Polytechnique) et du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM (CNRS/CEA/Université Paris Diderot) ont identifié un phénomène-clé dans l’émergence des éruptions solaires. A l’aide de données satellite et de modèlisations numériques, les chercheurs ont pu suivre l’évolution du champ magnétique solaire, sur une zone spécifique du Soleil ayant donné lieu à une éruption. Leurs calculs ont mis en évidence la formation d’une « corde magnétique »[1] émergeant de l’atmosphère interne du Soleil et associée à l’apparition d’une tache solaire. Ils montrent que cette structure joue un rôle important dans le déclenchement de l’éruption. En reproduisant par le calcul l’évolution complète vers l’éruption, ces travaux ouvrent la voie à la prévision des tempêtes solaires qui affectent la Terre. Ils font la Une de la revue Nature du 23 octobre 2014.
Les éruptions solaires sont des évènements qui ont lieu dans l’atmosphère du Soleil. Elles se caractérisent par des émissions de lumière et de particules ainsi que, pour celles à très grande échelle, appelées aussi éjections de masse coronale, par l’émission d’une bulle de gaz très chaud.
Comprendre l’origine de ces phénomènes est intéressant à plusieurs niveaux :
• Ce sont des exemples proches de nous de phénomènes physiques se produisant dans tout l’Univers et illustrant notamment l’interaction de la matière chaude avec le champ magnétique.
• Mais c’est surtout en raison de leur impact sur l’environnement terrestre que l’étude et la prévision des éruptions représentent un enjeu important. Elles génèrent en effet sur Terre des perturbations multiples qui touchent entre autres les générateurs électriques au sol, les satellites ainsi que les systèmes GPS et de communication. Anticiper les éruptions solaires majeures est devenue une priorité pour la protection de nombreux systèmes technologiques.
A gauche : exemple d’une éruption solaire observée sur le bord du Soleil le 14 octobre 2012. Issue d’une tache solaire, une bulle de gaz chaud est emprisonnée par la structure en arche du champ magnétique du soleil dont les dimensions peuvent atteindre plus de 100 000 kilomètres de dimension (par comparaison, une image de la Terre à l’échelle a été superposée au centre de l’arche). Lorsque cette arche est rompue par la pression du gaz, la matière est éjectée dans l’espace et peut atteindre la Terre en causant de fortes perturbations dans l’atmosphère. Credit NASA/SDO. A droite : La modélisation de la corde magnétique observée pendant l’éruption du 13 décembre 2006, projetée sur le limbe solaire, montrant la similitude des deux évènements. © Tahar Amari / Centre de physique théorique
L’atmosphère solaire est structurée en plusieurs couches dont la photosphère – qui équivaut à la surface du Soleil – et la couronne, zone la plus externe où se produisent les éruptions. Il existe un champ magnétique au niveau de ces couches et il joue un rôle prépondérant dans les éruptions solaires car il fournit la majeure partie de l’énergie des éruptions dont les plus intenses peuvent atteindre jusqu’à 10% de l’énergie totale rayonnée par le Soleil.
Jusqu’ici les observations n’avaient cependant pas permis de comprendre exactement le mécanisme et les structures impliqués, notamment parce qu’il est difficile d’évaluer le champ magnétique en tout point de la couronne car le gaz très chaud y est trop peu dense pour effectuer des mesures.
Une éruption survenue dans la nuit du 12 au 13 décembre 2006 a cependant permis une avancée importante : la région du Soleil concernée était observée par le satellite japonais Hinode au moment de l’éruption et dans les jours la précédant. Des données sur le champ magnétique de la photosphère, plus froide et plus dense que la couronne, ont pu être recueillies par le satellite et ont permis aux chercheurs de calculer l’évolution de l’environnement magnétique dans la couronne durant ce laps de temps
Modèlisation du champ magnétique dans la région du Soleil où est survenue une éruption majeure le 13 décembre 2006. Ce modèle est obtenu à l’aide de données du champ magnétique mesuré à la surface du Soleil et d’un code de calcul adaptatif à haute résolution. Il met en évidence la présence d’une corde magnétique (en gris) quelques heures avant l’éruption, maintenue à l’état d’équilibre par des arcades magnétiques (en orange). © Tahar Amari / Centre de physique théorique
A partir de calculs réalisées à l’Idris (Institut du développement et des ressources en informatique scientifique- CNRS), les scientifiques ont montré qu’une structure caractéristique, en forme de "corde magnétique", apparaît progressivement dans les jours précédant l’éruption, jusqu’à sa formation complète la veille du phénomène. Ce résultat correspond aux observations faites au niveau de la photosphère et de la couronne : la formation de la corde magnétique concorde avec l’évolution de taches solaires dans la région de l’éruption et avec l’apparition d’autres phénomènes comme une émission en rayons X en forme de « S », des émissions en extrême ultraviolet et une protubérance de matière froide, toutes observées avant l’éruption. Leurs calculs mettent également en lumière que l’énergie de cette corde magnétique augmente au fur et à mesure de son émergence depuis l’intérieur du Soleil.
Grâce à une simulation numérique complète du phénomène, les chercheurs ont ensuite suivi l’évolution du champ magnétique dans la couronne une fois la corde présente. Leurs résultats montrent que cette structure est bien à l’origine de l’éruption et est même nécessaire pour que le phénomène apparaisse. La transition vers la phase finale de l’éruption n’est pas possible avant sa formation. Plusieurs critères entrent alors en jeu :
- un seuil énergétique doit être atteint pour lequel le système est proche d’une énergie maximale
- une altitude donnée au-delà de laquelle les arcades magnétiques qui retiennent la corde s’affaiblissent.
Si ces points critiques sont dépassés, il y a éruption solaire.
Ces travaux montrent qu’il est désormais possible d’envisager une véritable prévision des éruptions solaires. En se basant sur des données du champ magnétique solaire accumulées en « temps réel » et une chaîne de modèles numériques adaptés, il pourra être à terme possible, un peu comme en météorologie standard, de prévoir alors la météorologie dans l’espace et prévenir les conséquences sur Terre des tempêtes solaires.
Contact : Jean-Jacques Aly
Publication :
« Characterizing and predicting the magnetic environment leading to solar eruptions » Tahar Amari, Aurélien Canou et Jean-Jacques Aly publié dans la revue Nature du 23 octobre 2014 (cliquer pour une version numérique)
voir aussi - le communiqué de presse commun CNRS-CEA (23 octobre 2014)
Notes :
[1] Une corde magnétique est un enchevêtrement de lignes de force magnétiques torsadées comme une corde de chanvre.
Rédaction : T. Amari, DCOM CEA, J.M. Bonnet-Bidaud
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