La lumière de quasars distants (les points rouges à gauche) est partiellement absorbée lorsqu’elle traverse des nuages d’hydrogène intergalactique (au centre). Ce phénomène crée une « forêt » de raies d’absorption, qui peut être interprétée pour dresser une carte du gaz intergalactique. La résolution obtenue par le relevé BOSS est de l’ordre de quelques millions d’années lumière.
Les astronomes du Sloan Digital Sky Survey (SDSS) ont utilisé 15 000 quasars lointains très lumineux pour mesurer la masse des neutrinos. En considérant simultanément les mesures de l'expérience BOSS et celles du fond diffus cosmologique avec les données du satellite Planck de 2013, une approche combinée aboutit à la limite à 0.15 eV, ce qui constitue la meilleure contrainte à ce jour sur la somme des masse des neutrinos. Les chercheurs de l’Irfu ont joué un rôle moteur dans cette étude.
L’expérience BOSS (Baryon Oscillation Spectroscopic Survey), principale composante de la troisième génération des relevés SDSS (Sloan Digital Sky Survey), est la première à utiliser les fabuleux émetteurs que sont les quasars dans le but de cartographier l'hydrogène intergalactique gazeux et de mesurer ainsi la distribution de la matière dans l'univers âgé de 1 à 3 milliards d’années seulement. La sélection des objets à observer est réalisée par des chercheurs de l'institut de recherche sur les lois fondamentale de l'univers (Irfu, CEA). Le catalogue de quasars du relevé BOSS est produit par des chercheurs du laboratoire Astroparticule et Cosmologie (CNRS/CEA/Université Paris Diderot/Observatoire de Paris/CNES) et de l’Institut d’Astrophysique de Paris (CNRS/Université Pierre et Marie Curie).
Lorsque la lumière d'un quasar lointain passe à travers l'hydrogène gazeux qui constitue l’essentiel du milieu intergalactique, elle est plus ou moins absorbée selon la densité plus ou moins grande de la région traversée. Le spectre du quasar, quand il est finalement observé sur Terre par le télescope de l’expérience BOSS, comporte ainsi une succession de pics d’absorption correspondant à toutes les régions denses rencontrées sur la ligne de visée. L’analyse de ces absorptions a déjà permis de réaliser une carte de l’univers tel qu’il était il y a environ 11 milliards d’années, avec laquelle les chercheurs ont pu étudier la formation des structures à grande échelle (typiquement la centaine de millions d’années-lumière) et mesurer la vitesse d’expansion de l’univers à cette époque reculée. Dans cette nouvelle publication, l’équipe de l’Irfu s’est concentrée sur des structures beaucoup plus petites, de l’ordre de quelques millions d'années-lumière, soit de la taille d’un amas de galaxies. A cette résolution, nous observons les nuages de gaz sur le point de former des galaxies.
Ces nouvelles données sont suffisamment précises pour transmettre des informations sur l'un des ingrédients les moins bien compris de l’univers primordial: les neutrinos. De très faible masse, ces particules se déplacent dans l'univers à des vitesses proche de la vitesse de la lumière, et contrairement à la matière ordinaire, elles ne peuvent pas se regrouper pour former des galaxies. Leur présence a un effet sur la distribution des nuages de gaz, en diluant les grumeaux de l’univers primordial à l’origine de ces nuages. Les cartes cosmologiques mesurées par BOSS portent l’empreinte de l’impact des neutrinos sur les « petites » structures de l'univers, nous permettant ainsi de contraindre indirectement la masse des neutrinos.
Cependant, ce n’est qu’au moyen de simulations numériques poussées que l’on peut appréhender l’impact des neutrinos dans la formation des galaxies et des nuages de gaz d’hydrogène intergalactique. Grâce à plus de 5 millions d’heures de calcul alloués par des organismes nationaux (GENCI) ou européen (PRACE) sur les super-calculateurs du très grand centre de calcul (TGCC) de Bruyères-le-Châtel, les chercheurs de l’Irfu ont pour la première fois pu simuler avec une précision inégalée un grand nombre de cartes reproduisant l’effet de la masse des neutrinos sur la distribution des nuages de gaz dans l’univers alors âgé de moins de 3 milliards d’années. L’équipe de l’Irfu a également étudié simultanément l’effet sur ces cartes des paramètres cosmologiques (tels la densité de matière dans l’univers, la vitesse d’expansion de l’univers ou la taille des grumeaux primordiaux) qui régissent le contenu et l’évolution de l’univers, ainsi que des hypothèses faites sur les propriétés du gaz intergalactique (sa température, son degré d’ionisation…).
Les scientifiques de l’Irfu ont produit au TGCC de Bruyères-le-Châtel des simulations numériques précises de l'univers pour les comparer aux observations de l’expérience BOSS. Cette image montre une carte simulée des nuages de gaz dans un cube d'univers de 65 millions d'années-lumière de côté. Les points rouges indiquent l'emplacement des amas de galaxies, et les filaments bleus sont les régions de gaz de faible densité.
Courbes de niveaux de confiance à 68% et 95% dans le plan densité de matière de l’univers (en abscisse) - somme de la masse des neutrinos primordiaux (en ordonnée). Les courbes rouges correspondent à l’analyse de la distribution du gaz intergalactique par BOSS. Les courbes bleues sont déduites des mesures du fond diffus cosmologique par le satellite Planck et les télescopes au sol ACT et SPT. En combinant la mesure de BOSS à celle du fond diffus cosmologique, on obtient les contours verts, meilleure limite mondiale à ce jour.
Ultime étape de cette analyse délicate, il a fallu confronter les mesures obtenues avec les spectres de quasars de l’expérience BOSS à cet ensemble de simulations, pour déterminer la combinaison de paramètres qui représente au mieux l’univers observé. Les chercheurs de l’Irfu ont ainsi obtenu une contrainte sur la masse des neutrinos, ou plus précisément, sur la somme des masses des neutrinos primordiaux, seul paramètre auquel les observations cosmologiques sont sensibles. Ils ont montré que la somme des masses des neutrinos doit être inférieure à 1.1 eV à 95% de niveau de confiance. Ce résultat seul est déjà à un niveau comparable à la limite supérieure de 0.6 eV obtenue en combinant les données sur le fond diffus cosmologique du satellite Planck et des télescopes au sol ACT (Atacama cosmology telescope) et SPT (South Pole telescope). Une contrainte plus forte encore a pu être atteinte, en considérant simultanément les mesures de BOSS et celles du fond diffus cosmologique. Cette approche combinée aboutit à la limite à 0.15 eV, ce qui constitue la meilleur contrainte à ce jour sur la somme des masse des neutrinos.
Références:
The one-dimensional Lyα forest power spectrum from BOSS
Nathalie Palanque-Delabrouille, Christophe Yèche, Arnaud Borde, Jean-Marc Le Goff, Graziano Rossi, Matteo Viel, Eric Aubourg, Stephen Bailey, Julian Bautista, Michael Blomqvist, Adam Bolton, James S. Bolton, Nicolas G. Busca, Bill Carithers, Rupert A.C. Croft, Kyle S. Dawson, Timothée Delubac, Andreu Font-Ribera, Shirley Ho, David Kirkby, Khee-Gan Lee, Daniel Margala, Jordi Miralda-Escudé, Demitri Muna, Adam D. Myers, Pasquier Noterdaeme, Isabelle Pâris, Patrick Petitjean, Matthew M. Pieri, James Rich, Emmanuel Rollinde, Nicholas P. Ross, David J. Schlegel, Donald P. Schneider, Anze Slosar, and David H. Weinberg.
Ces résultats sont disponibles sur le site Astronomy & Astrophysics et à http://arxiv.org/abs/1306.5896
New approach for precise computation of Lyman-α forest power spectrum with hydrodynamical simulations
Arnaud Borde, Nathalie Palanque-Delabrouille, Graziano Rossi, MatteoViel, JamesS.Bolton, Christophe Yèche Jean-Marc Le Goff and Jim Rich
Ces résultats sont disponibles sur le site de Journal of Cosmology and Astroparticle Physics et à http://arxiv.org/abs/1401.6472
Suite of hydrodynamical simulations for the Lyman-α forest with massive neutrinos
Graziano Rossi, Nathalie Palanque-Delabrouille, Arnaud Borde, Matteo Viel, Christophe Yèche, James S. Bolton, James Rich, Jean-Marc Le Goff.
Ces résultats sont disponibles sur le site Astronomy & Astrophysics et à http://arxiv.org/abs/1401.6464
Constraint on neutrino masses from SDSS-III/BOSS Lya forest and other cosmological probes
Nathalie Palanque-Delabrouille, Christophe Yèche, Julien Lesgourgues, Graziano Rossi, Arnaud Borde, Matteo Viel, Eric Aubourg, David Kirkby, Jean-Marc Le Goff, James Rich, Natalie Roe, Nicholas P. Ross, Donald P. Schneider, and David Weinberg.
Ces résultats sont disponibles sur le site de Journal of Cosmology and Astroparticle Physics et à http://arxiv.org/abs/1410.7244
contact : Nathalie Palanque-Delabrouille ; Christophe Yèche
• Modélisation, calcul, analyse des données › Méthodes de modélisation et de visualisation Structure et évolution de l'Univers