Le projet HARPO (Hermetic ARgon POlarimeter) est un démonstrateur pour prouver la faisabilité d’un détecteur d’un nouveau type pour l’astronomie gamma du MeV au GeV permettant pour la première fois la mesure de la polarisation du rayonnement. C’est le fruit d’une collaboration d'un groupe du LLR (Laboratoire Leprince Ringuet, Ecole Polytechnique & CNRS/IN2P3) et d'un groupe de l'Irfu. La mesure de la polarisation fournira un diagnostic puissant de la compréhension des phénomènes violents de l’Univers issus des sources astrophysiques comme des pulsars ou des noyaux actifs de galaxie. Harpo a été testé au Japon fin 2014 à l’aide d’un faisceau photons polarisés et l’analyse en cours révèle déjà de bonnes performances du détecteur. L’analyse se poursuit pour optimiser ce démonstrateur. La prochaine étape : réaliser un test en ballon stratosphérique, étape nécessaire pour permettre au projet de passer dans une phase de mission spatiale.
Le but de ce prototype est de démontrer la faisabilité d’un polarimètre gamma à l’aide d’une chambre à projection temporelle (TPC ou Time Projection Chamber) contenant un mélange gazeux à base d’argon sous pression. La gamme d’énergie concernée se situe entre le MeV et le GeV. En effet, un photon d’une telle énergie (Eg ≥ 1,022 MeV = 2 × x c2) est capable de créer une paire électron-positon dont l’angle dans le plan perpendiculaire à la direction du photon incident donnera sa polarisation. La TPC permet une imagerie en trois dimensions de la paire e+e–. En mesurant la distribution de l'angle du plan formé par les 2 leptons (e+ et e-) on peut remonter à la polarisation des gammas.
Gammas polarisés dans l’espace
La polarisation d'une onde électromagnétique, et en particulier la polarisation de la lumière, décrit la direction de l'un des champs (par exemple le champ électrique) de l'onde et l'évolution de cette direction lors de la propagation. Certains processus radiatifs, comme l'émission thermique ou la désintégration d'un pion neutre π⁰, produisent un rayonnement non polarisé, et la direction du champ électrique est alors aléatoire. D'autres processus produisent par contre un rayonnement dont le taux de polarisation peut être élevé. On parle de taux ou de fraction de polarisation car c’est un chiffre compris entre 0 (non polarisé) et 1 (polarisation totale). Par exemple le taux de polarisation peut atteindre par exemple 80 % pour le rayonnement synchrotron des particules chargées relativistes (électrons, protons) des sources cosmiques (pulsars, sursauts γ –GRB-, noyaux actifs de galaxie –AGN-) dans les champs magnétiques monstrueusement élevés de ces sources, ou celui issu de la diffusion Compton inverse sur des photons de basse énergie. La polarisation du rayonnement dépend des paramètres de la source et du modèle théorique employé pour la décrire. La mesure de la polarisation est donc un diagnostic majeur pour la compréhension du fonctionnement du processus d'émission et donc de la nature de ces sources. Diagnostic qui manque actuellement au-dessus du MeV.
Les structures d’HARPO et ses principes de détection
Ce démonstrateur a été construit sur un financement du labex P2IO, puis de l’ANR démarrée en 2014. Une enceinte contient un gaz. Une imagerie 3D d'une grande finesse des traces traversant ce gaz est obtenue de la façon suivante :
Une « cage » de 30x30x30 cm3 établit un champ électrique uniforme qui permet la dérive des électrons issus de l'ionisation du gaz vers un plan de lecture. Celui-ci est composé d’un système d’amplification des électrons, comprenant deux GEM (Gas Electron Multiplier) placés au-dessus d’un bulk-Micromegas de 128 microns d’espace d’amplification. L’anode de lecture est segmentée en pistes au pas de 1 mm, 288 dans une direction x et 288 pistes dans la direction orthogonale y. La mesure de la durée de la dérive fournit la 3ème coordonnée z. Le photon énergétique est converti dans le gaz de l’enceinte. Ensuite l’électron et le positon produisent des ionisations dans ce mileu gazeux et les deux traces sont reconstruites. L’angle entre un axe de référence (ex : vertical) et le plan contenant la paire est calculé et la distribution angulaire permet de remonter à la polarisation des gammas incidents.
1ère Campagne de tests
Le démonstrateur a été testé en novembre 2014 avec un faisceau monochromatique de gammas polarisés obtenus par diffusion Compton inverse d’un faisceau d’électrons de 1.5 GeV de l’anneau de stockage NewSUBARU opéré par le LASTI (Université de Hyôgo au Japon), sur un faisceau laser pulsé. Les gammas ont une énergie maximale lorsque la diffusion a lieu à l'avant, et la monochromaticité est donc obtenue par collimation. La polarisation éventuelle du laser est alors transmise aux gammas.
Cette campagne de tests a duré 3 semaines durant lesquelles le démonstrateur a été exposé à des photons gamma ayant des énergies comprises entre 1,7 et 74 MeV, couvrant la plage en énergie la plus critique pour le détecteur. En effet, à basse énergie, les traces sont plus erratiques, l'efficacité du système de déclenchement diminue, la section efficace s'écroule et le bruit de fond augmente. Or c’est aussi la gamme d’énergie la plus importante pour la détection en astrophysique car les flux des sources cosmiques ayant un spectre décroissant en loi de puissance, typiquement en 1/E², émettent plus de rayonnement à basse énergie.
Des premières caractéristiques performantes
La figure ci-contre montre un exemple d’un événement issu de la conversion d’un gamma de 12 MeV (dont on ne détecte pas le passage) dans le volume de la TPC en une paire d’électron-positon produisant alors deux traces pouvant être reconstruites après leurs projections sur les plans (x,z) et (y,z). A partir des directions de ces deux traces à leur vertex, l'angle « azimutal » φ qui repère le plan de conversion est calculé. La distribution de cet angle, modulée en 1 + A*Pcos(2φ), où A est l'asymétrie de polarisation, permet d'ajuster la valeur du taux de polarisation P.
Durant cette période le gaz n’a pas été renouvelé (fonctionnement en mode scellé). Aucune dégradation sensible des performances du détecteur n’a été remarquée et cela malgré le flux intense de photons gamma. La stabilité de la qualité du gaz est importante pour un type de détecteur qui a vocation à équiper une prochaine mission spatiale indispensable pour éviter l’absorption des gammas par l’atmosphère.
Optimiser le démonstrateur et continuer vers l’espace
De manière générale, cette campagne de prise de données s’est parfaitement déroulée. L’analyse des données ne fait que commencer. Elle devra, non seulement, valider le concept, mais aussi apporter des résultats quantitatifs sur l’efficacité du trigger, l’efficacité de conversion par création de paires ou par diffusion Compton, sur la résolution spatiale de reconstruction des traces par la TPC et finalement sur la précision de mesure de la polarisation. Celle-ci, pour un détecteur parfait de volume fiduciel 1m³ à 5 bar et disposant d'un trigger d'efficacité 100 %, serait de 1.4 % pour le pulsar du Crabe, après une prise de données effective de 1 an.
Les prochaines étapes seront de valider les simulations à partir des données et d’optimiser les concepts d’électronique (durcie pour le spatial), de trigger et de détecteur en vue d’obtenir et de réaliser un test en ballon stratosphérique du Cnes, étape nécessaire pour permettre au projet de passer dans une phase de mission spatiale.
Contacts : David Attié (Sedi), Alain Delbart (Sedi), Denis Bernard (LLR)