La collaboration Double Chooz vient de présenter au CERN de nouveaux résultats fondés sur l’apport des données du détecteur « proche » localisé à 400 m des réacteurs nucléaires de Chooz. Ce détecteur permet désormais la mesure la plus précise de la section efficace des antineutrinos de réacteur, avec une incertitude de 1.2%. Par ailleurs les mesures concernant les oscillations de neutrinos ont été affinées.
Neutrinos et oscillations
Les neutrinos sont les particules de matière les plus abondantes de l’univers. Ils sont notamment produits en grande quantité dans des réacteurs nucléaires à fission, mais aussi dans la croûte et le manteau terrestre, le corps humain, ou encore les étoiles. Les neutrinos existent sous la forme de trois saveurs, chacune étant associée aux trois familles de leptons connues (électronique, muonique, ou tauique). Ils ont la propriété étonnante, appelée « oscillation », de pouvoir changer de saveur en se déplaçant, la probabilité d’occurrence de ce phénomène étant fonction de leur énergie et de la distance parcourue.
Double Chooz
L’expérience Double Chooz comporte deux détecteurs identiques. L’oscillation est recherchée dans le premier d’entre eux situé à une distance d’environ 1 km des réacteurs. Le deuxième détecteur, à 400 m des cœurs, sert à étalonner le flux de neutrinos avant qu’ils oscillent. Initiée par des physiciens de l’Irfu et du CNRS, l’expérience Double Chooz mesure, depuis 2011, l’un des paramètres clefs de la physique des oscillations de neutrinos, l’angle de mélange nommé θ13, ou plutôt une fonction de cet angle, sin2(2θ13). Les nouveaux résultats de Double Chooz viennent d’être présentés lors d’un séminaire au CERN, le 20 septembre 2016.
Un détecteur proche pour une efficacité absolue !
Les données du détecteur proche permettent de mesurer la section efficace d’interaction moyenne des antineutrinos électroniques de réacteurs. Cette grandeur caractérise la probabilité d’interaction des antineutrinos, indépendamment du phénomène d’oscillation. Il s’agit notamment d’un paramètre clef pour la compréhension de l’anomalie des antineutrinos de réacteur, mise en évidence par les physiciens de l’Irfu en 2011. Du fait d’une excellente maîtrise des erreurs systématiques de détection et des bruits de fond, la collaboration vient de présenter la mesure la plus précise à ce jour: <σf>=0.564.10-42 cm2/fission avec une incertitude de 1.2%. La précision de ce résultat est à comparer au précédent record mondial, 1.4%, établi en 1994 par l’expérience Bugey-4, ainsi qu’à la valeur obtenue par l’expérience concurrente Daya Bay, 2.1%.
Valeurs de la section efficace des neutrinos de réacteurs, normalisée par fission, mesurées par les expériences Double Chooz, Bugey-4 et Daya Bay. La nouvelle mesure réalisée avec le détecteur proche de Double Chooz (point noir) constitue la détermination la plus précise à ce jour, avec une incertitude de 1.2%.
Rapport des spectres des antineutrinos de réacteurs observés dans les détecteurs à 1.1 km et à 400 m lors du fonctionnement simultané des deux réacteurs. La déviation à l’unité marque la signature de l’oscillation des antineutrinos, fonction de leur énergie (l’énergie visible est reliée à l’énergie des neutrinos selon E? = Evis + 0.8 MeV).
θ13 : deux détecteurs en action !
Par ailleurs les efforts pour affiner la mesure des oscillations continuent. La collaboration Double Chooz a ainsi réévalué la mesure de l’angle de mélange θ13 en utilisant désormais 363 jours de données du détecteur à 1 km, opérant seul, combinés à 258 jours de données avec les deux détecteurs opérant simultanément. Rappelons que la mesure du paramètre θ13 repose sur la comparaison des taux et spectres en énergie des antineutrinos mesurés dans les deux détecteurs. Elle est donc à présent largement indépendante des incertitudes venant de la prédiction des flux d’antineutrino de réacteurs, spécialement du fait de la configuration simplifiée de l’expérience avec seulement deux réacteurs. L’impact des incertitudes systématiques de détection est lui aussi fortement limité grâce à l’utilisation de deux détecteurs quasi-identiques. La valeur obtenue est sin2(2θ13) = 0.119 ± 0.016. Meilleure que prévue dans la proposition initiale de l’expérience, l’incertitude sur θ13 reste supérieure à celle de l’expérience Daya Bay. Néanmoins, la mesure de Double Chooz pourrait encore être sensiblement améliorée, notamment par un affinement de la connaissance du nombre de protons cibles sur lesquels interagissent les antineutrinos, par des mesures photogrammétriques lors du démantèlement de l’expérience en 2018.
La suite…
L’expérience Double Chooz continuera sa prise de données jusqu’à la fin de l’année 2017. D’ici là, des progrès significatifs sont attendus quant à la mesure de θ13 et de la section efficace par fission. A suivre…
Contacts :
Thierry Lasserre (IRFU/SPP) :
David Lhuillier (IRFU/SPhN) :
• Constituants élémentaires et symétries fondamentales › Physique des neutrinos
• Le Département de Physique des Particules (DPhP) • Le Département de Physique Nucléaire (DPhN)
• Neutrinos sources et réacteurs • Laboratoire d'études et d'applications des réactions nucléaires (LEARN)