Plusieurs décennies après sa découverte, la nature de la matière noire reste une énigme. Récemment, des observations astrophysiques ont motivé de nouveaux modèles cosmologiques dits "matière noire tiède" et "matière noire ultra-légère", pour expliquer ses propriétés. Les spectres des quasars mesurés en particulier par les relevés BOSS auprès du télescope Sloan et XQ100 auprès du VLT ont permis aux chercheurs du DPhP de les tester. Leurs observations favorisent l'hypothèse d'une matière noire froide standard, et placent parmi les contraintes les plus fortes sur les masses de ces particules.
Les observations cosmologiques et astrophysiques démontrent l'existence d'une matière noire, source principale des forces de gravité qui produisent et soutiennent les grandes structures de l'univers. Malgré plusieurs décennies d'investigations, la nature de cette matière noire reste en revanche inconnue. En particulier aucune trace de particules de type WIMPs, longtemps évoquées, n'a été trouvée à ce jour que ce soit au LHC, dans les expériences de détection dite directe comme EDELWEISS, ou indirecte comme HESS. D'autres modèles de matière noire font donc l'objet d'attentions croissantes.
Par ailleurs, un certain nombre d'observations menées à l’échelle des galaxies présente des désaccords avec le modèle le plus simple de matière noire froide, qui pourraient être dus aux propriétés de la matière noire elle-même: celle-ci pourrait inhiber la formation des premières structures de l'univers à ces échelles. Ceci est notamment le cas pour les modèles suivants auxquels se sont intéressés les chercheurs du DPhP:
figure 1. Les quasars (illustration haut gauche) émettent une lumière intense qui est partiellement absorbée lorsqu'elle traverse le milieu intergalactique jusqu'à l'observateur (image centrale). Cela créé une "forêt" de raies d'absorption dans les spectres optiques de ces objets, comme illustré en bas à gauche.
figure 2. Carte des grandes structures de l'univers obtenue à partir des calculs de simulation au CCRT. Les cubes représentés ont une largeur d'environ 300 millions d'années-lumière. Gauche: scénario "matière noire froide" standard. Droite: scénario WDM avec une masse m = 0.5 keV. On observe clairement le lissage des structures dans le cas WDM.
Pour tester ces modèles, l’équipe du DPhP exploite un outil très efficace : la forêt Lyman-α des quasars. Les quasars sont des "phares" astronomiques à très grande distance qui illuminent le gaz intergalactique situé entre ceux-ci et l'observateur terrestre (voir figure 1). Les atomes d'hydrogène du gaz absorbent une partie de cette lumière, et ce d'autant plus que leur densité est élevée. En utilisant l'effet de décalage vers le rouge, la mesure du spectre optique de ces quasars permet de reconstruire la distribution spatiale de la matière. L'observable associée, appelée "spectre de puissance de la forêt Lyman-α", est directement reliée à la formation des grandes structures de l'univers aux échelles pertinentes pour tester les modèles WDM ou FDM. Experte dans la mesure de cette forêt Lyman-α depuis son implication dès 2009 dans les grands relevés BOSS, eBOSS et DESI, l’équipe du DPhP a en particulier développé un ensemble de simulations de formation des grandes structures qui permettent l'interprétation de ces données (figure 2).
Pour étudier spécifiquement les modèles FDM, WDM, ainsi que certaines de ses extensions, les chercheurs ont utilisé la puissance de calcul du CCRT, au Très Grand Centre de Calcul du CEA à Bruyères-le-Châtel, afin de simuler la formation des structures dans le cadre de chacun de ces scénarios, et d'en déduire le spectre de puissance Lyman-α théorique associé.
En comparant les résultats de ces calculs aux données, on observe que le meilleur ajustement est obtenu avec le modèle de base de matière noire froide, par rapport aux scénarios WDM ou FDM qui sont ainsi relativement défavorisés
Des analyses statistiques détaillées ont été menées pour prendre en compte les nombreuses sources d'incertitude, tant au niveau de la modélisation de la formation des structures et du milieu intergalactique que des erreurs observationnelles.
Les limites obtenues sur la masse des particules de WDM -Warm Dark Matter- (m > 4.65 keV ou m > 28.8 keV en fonction du modèle de production), ainsi que sur celles des particules de FDM -Fuzzy Dark Matter- (m > 2.9x10-21 eV), sont parmi les meilleures mondiales et contraignent ces modèles de manière significative.
En particulier, la figure 3 illustre les contraintes obtenues dans le scénario de production résonante, qui réduisent le champ possible pour l’interprétation des observations astrophysiques en rayons X et excluent à plus de 3 sigmas, un neutrino stérile de 7 keV (le point expérimental tombe dans des zones de paramètres exlcues après comparaison des données et de la suimulation).
Publications :
Contacts: Eric Armengaud, Julien Baur, Nathalie Palanque, Christophe Yèche
figure 3. Contraintes à 3 sigmas obtenues sur les paramètres de masse ms et d’angle de mélange \theta des modèles de neutrinos stériles dans le cas d’une production résonante. Les lignes noires correspondent aux différentes valeurs du paramètre d'asymétrie leptonique L6. La zone en bleu est exclue par les données des forêts Lyman-a du relevé BOSS. L’exclusion s’étend à la zone en rouge lorsque l’on adjoint à ces données celles des observations XQ100 notamment. Le point avec une barre d’erreur à m = 7 keV correspond à l’interprétation en termes de neutrino stérile d’une raie à 3.5 keV détectée par l’observation d’amas de galaxies en rayon X par le satellite XMM. La région colorée en vert clair est exclue par l’absence de détection de raies en rayon X dans d'autres régions du ciel.
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre Structure and evolution of the Universe
• Le Département de Physique des Particules (DPhP)
• BAO